L'etat-actionnaire dans une société issue de l'OHADA. Cas de Congo Airways société anonyme avec conseil d'administrationpar Anthony NTENDELE BIKELA ISC - Liège - MBA 2021 |
2.2.1.2. La figure de la tutelleL'Etat lui-même ne peut pas envisager une société comme Congo Airways, avec une forte participation des personnes morales de droit public, donc une entreprise publique, sans tutelle. Une telle société est rattachée, d'une façon ou d'une autre, à la tutelle de gouvernement par le biais des ministres. En France, REVERDY (1998) refuse le nom « entreprise » à l'entreprise publique et juge comme « un mensonge dangereux » cette appellation reconnue à cette entité ; car du fait du poids des tutelles, l'entreprise publique devient un simple organisme qui ne détermine pas lui-même ni sa politique tarifaire, ni sa politique d'effectif, ni sa politique d'investissement. Ceci revient à dire que la tutelle pèse sur l'entreprise publique comme sur ses actes et à tous les niveaux (Assemblée générale, conseil d'administration et la direction) et à tous les stades (délibération, décisions, contrats), un pouvoir discrétionnaire35(*), qui au demeurant, n'est que l'expression de la puissance publique. A ce titre, le procès-verbal de l'Assemblée constitutive de Congo Airways, tenue le 23 mars 2015, est éloquent lorsque dans une des résolutions il est prévu que la rotation des Administrateurs interviendra chaque deux ans et l'Etat actionnaire majoritaire aura la latitude de décider des personnes morales de droit public qui feront partie du Conseil, lors de chaque rotation. Emanation de l'Etat, l'on observe que les tutelles sont à la fois l'ensemble des mécanismes par lesquels l'Etat contrôle et vérifie que les règlements ont été correctement appliqués par l'entreprise publique et le pouvoir de l'Etat actionnaire de peser sur les choix, d'orienter les investissements et de contrôler la stratégie de l'entreprise publique. Dans ces mécanismes de contrôle, de choix et d'orientation dans l'entreprise publique, l'Etat n'hésite pas, au besoin, à se prévaloir de la puissance publique qui constitue d'ailleurs un des éléments constitutifs de sa définition. Le contrôle de Congo Airways, tient d'abord à ce qu'il s'exerce à différents niveaux de l'administration centrale de l'État. En principe, ce contrôle est exercé par le ministère du portefeuille et celui des transports et voies de communication, dits ministères « de tutelle ». Mais le Premier ministre dispose également de prérogatives de tutelle à l'égard des entreprises publiques et du portefeuille de l'Etat36(*) dont fait partie Congo Airways et il arrive que son cabinet soit en désaccord avec ces ministères. Il arrive également que le Président de la République impose ses vues au Gouvernement, notamment dans la nomination des dirigeants. De telles interférences restent toutefois difficiles à analyser car, d'une façon générale, les arbitrages politiques concernant l'Etat actionnaire s'opèrent dans l'opacité37(*). Congo Airways est tiraillée par le poids de la tutelle. D'un côté la tutelle financière, incarnée par le Ministère du Portefeuille qui impose la rentabilité ; de l'autre côté la tutelle technique, incarnée par le Ministère des Transports et Voies de Communication lui réclame la technicité aux standards de l'OACI, aussi le Ministère de l'Economie, au nom de l'intérêt général, impose un seuil par rapport au prix des billets. En outre, la tutelle du Ministère du Portefeuille et celui des Transports et voies de communication restent permanentes, en ce sens que, ces Ministères ont désigné leur représentant, appelés censeur pour assister à toutes les réunions du Conseil d'Administration. L'omniprésence de l'Etat chez Congo Airways par le biais des organes tutélaires est que les dirigeants sociaux, le conseil d'administration par exemple et la direction générale perdent parfois leur légitimité. Or, en considération des règles de droit des sociétés OHADA, c'est à ceux-ci qu'il appartient de diriger l'entreprise publique. Dans la pratique, l'on observe que l'essentiel du pouvoir est cristallisé autour du contrôle gouvernemental et les pouvoirs du conseil d'administration sont restreints au profit de la tutelle incarnée par le Gouvernement. Partant de cette réalité, AYANGMA (2014) a pu noter que le véritable dirigeant de l'entreprise publique n'est pas nécessairement celui qui trône au sommet de la pyramide sociétale ; le dirigeant officiel connu n'est qu'un manager officiellement consacré. Le véritable dirigeant, c'est-à-dire celui qui détient le pouvoir et l'exerce directement dans l'entreprise publique serait la tutelle effective en veilleuse. C'est ce dernier qui décide et fait prévaloir sa rationalité au dirigeant officiel qui se charge de l'appliquer. Celui-ci devient donc une sorte d'agent d'exécution, à défaut d'être spectateur de l'exercice du pouvoir managérial. Le rôle du conseil d'administration de Congo Airways est souvent réduit par le fait que ses compétences essentielles (nommer les dirigeants, approuver la stratégie et le budget, surveiller la gestion) sont en partie exercées directement par l'État. Beaucoup d'administrateurs constatent cette influence limitée du conseil, qui est informé de tout, mais ne décide pas toujours de tout, et n'est pas au centre de la gouvernance de l'entreprise. D'un côté, le contrôle du conseil d'administration est réduit par la concurrence qui lui est faite par les contrôles administratifs de la tutelle. De l'autre, ses pouvoirs sont limités du fait même du mode d'organisation de la représentation de la puissance publique au sein du conseil, en particulier le mode de désignation des censeurs par simple lettre des Ministres adressée au Président du Conseil d'Administration. Enfin, ils le sont également, par l'intervention de la puissance publique dans la désignation du Directeur Général de l'entreprise. De ce qui précède, il est important de relever la question sur la contrariété en droit interne congolais des sources formelles, en l'occurrence la loi (ou les actes ayant force de loi) et le règlement au regard du droit de l'OHADA. Il s'agit d'examiner les dispositions tant législatives que règlementaires sus-évoquées, si elles subsistent en présence de l'AUSCGIE. Deux pistes de solution sont envisageables : - celle provenant de l'orientation que donne la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA en son Avis n°001/2001/EP du 30 avril 2001, à la question posée par l'Etat de la Côte d'Ivoire quant à l'effet abrogatoire tiré de l'article 10 du Traité de l'OHADA et la solution tirée de la hiérarchie des sources formelles en droit interne congolais en vertu des articles 150 alinéa 2 et 153 alinéa 4 de la Constitution du 18 février 2006. La question du champ d'application des Actes uniformes au regard de l'article 10 du Traité de l'OHADA en rapport avec son effet abrogatoire est très vaste mais on peut simplement retenir de l'Avis de la CCJA que la contrariété peut porter soit sur toutes les dispositions, quelques-unes des dispositions d'un texte et, selon le cas, la disposition peut désigner un article d'un texte, un alinéa de cet article ou une phrase de cet article en la (la contradiction) situant dans l'esprit (le fond) ou dans la lettre (la forme) ; - Cette position de la CCJA est à coupler avec le rapport hiérarchique entre la loi et le règlement qui peut opérer en ce sens que, ce dernier, en tant que mesure d'application et sans être contraire, peut être complémentaire à la loi. Ce principe découle de l'article 153 alinéa 4 de la Constitution en vertu duquel, les juges appliquent les traités internationaux dûment ratifiés, les lois, les actes réglementaires pour autant qu'ils soient conformes aux lois ainsi que la coutume pour autant que celle-ci ne soit pas contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs. * 35 Il faut nuancer pour dire que parfois l'organe de tutelle exerce son pouvoir soit par voie d'autorisation, soit par voie d'approbation ou encore par voie d'opposition. * 36 Il participe notamment à l'approbation préalable des décisions les plus importantes des entreprises publiques. * 37 Lorsque les arbitrages remontent à l'échelon politique, il est très difficile de retracer les étapes d'un mécanisme décisionnel qui fait principalement intervenir les cabinets ministériels. Or, si certaines opérations doivent être préparées dans la plus grande confidentialité, ce défaut de formalisation et de traçabilité constitue une anomalie du processus décisionnel. |
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