2.2.3.2. Le pacte d'actionnaires est
différent de contrat de société
L'altérité s'impose avec la force de
l'évidence dès que l'on évoque la proximité du
pacte d'actionnaires et du contrat de société. Toute assimilation
ou, plus spécifiquement, toute intégration du pacte
d'actionnaires dans l'ensemble des instruments contractuels formant le «
complexe statutaire » est en effet exclue. A ce sujet MONSALLIER (1998, p.
23)oppose ainsi le « complexe statutaire », qui comprend, à
côté des statuts, le préambule, aux documents
extra-statutaires, lesquels regroupent essentiellement les pactes
d'actionnaires et le règlement intérieur. D'un côté,
le contrat de société présente l'originalité de
donner naissance à une personne morale distincte et lie l'ensemble des
actionnaires. D'un autre, le pacte d'actionnaires a un domaine d'application
réduit aux seuls actionnaires qui en sont signataires, dont il organise
les relations inter-individuelles en marge du fonctionnement collectif de la
société selon le point de vue de CUISINIER, (2008).
Il apparaît que la distinction du pacte d'actionnaires
et du contrat de société tient à leur différence de
nature. En l'état actuel du débat majeur qui anime le droit des
sociétés, relatif à la nature de la société,
on peut affirmer que cette dernière est un contrat présentant
certaines caractéristiques de l'institution(BERTREL (1996, p.
595) ; MAY (2004) et GERMAIN (2009). Au contraire, le pacte
d'actionnaires a une nature exclusivement contractuelle et présente,
à ce titre, des qualités de souplesse et plasticité, en
comparaison avec la rigidité qui affecte le contrat de
société, décisives dans le choix des actionnaires de
recourir à cette pratique. Le pacte d'actionnaires se distingue ainsi du
contrat de société par sa nature exclusivement contractuelle,
laquelle le dote en outre d'un atout de flexibilité. Le pacte
d'actionnaires se distingue également du contrat de
société au regard de l'intérêt dont la satisfaction
est recherchée d'une part, et au regard du rayonnement de l'accord,
d'autre part. La finalité du contrat de société est ainsi
de faire prévaloir la volonté collective des associés par
la satisfaction d'un intérêt commun aux membres du groupement. Au
contraire, dans les contrats de droit commun, et singulièrement dans le
pacte d'actionnaires, les parties sont animées par la satisfaction de
leurs intérêts essentiellement égoïstes.
2.2.3.3. Les Finalités du pacte
d'actionnaires
La poursuite par les actionnaires d'un intérêt
qui leur est commun, lequel peut être défini comme la
réalisation et le partage entre eux des profits de la
société, constitue en effet la finalité de ce
contratSCHMIDT (2004) ; CUISINIER (2008, p. 229). De cette finalité
du contrat de société découlent des principes
supérieurs parmi lesquels celui de l'égalité entre
actionnaires, principe non expressément proclamé par la loi mais
qui sous-tend plusieurs textes législatifs et consacré par le
Conseil constitutionnel à diverses occasions(Cons. const., 7 janvier
1988, Rev. sociétés, 1988, 229, note
GUYON ; Cour d'appel d'Aix-en-Provence 5 décembre 2003,
Bull. Joly, 2004, p. 1077, note CERATI-GAUTIER). La jurisprudence
relative aux abus de majorité ou de minorité, lesquels ont pour
effet de favoriser les intérêts de certains actionnaires au
détriment de celui de la collectivité des actionnaires, en est
une bonne illustration. Rappelons à ce titre que l'égalité
entre actionnaires s'apprécie exclusivement dans les rapports que les
actionnaires entretiennent collectivement avec la société, et non
dans les rapports interindividuels des actionnaires(DONDERO (2008, p. 245)).
Pendant longtemps, cette finalité de poursuite d'un
intérêt commun, de même que le principe
d'égalité entre actionnaires, ont été
absorbés, en droit positif, par la notion d'affectio
societatis(CUISINIER (2008, p. 253)). La doctrine et la jurisprudence
présentent en effet l'affectio societatis comme un élément
constitutif et caractéristique du contrat de société, ne
figurant pas expressément dans les textes, qui suppose que «
les associés collaborent de façon effective à
l'exploitation dans un intérêt commun et sur un pied
d'égalité » (Cass. com. 3 juin 1986, Rev.
sociétés, 1986, p. 585, note GUYON).
D'après CARBONNIER (1996), la notion
d'intérêt commun a été redécouverte par la
doctrine dans le cadre de la réflexion opérée en France
autour du débat sur la corporategovernance, dont l'enjeu
réside essentiellement dans la finalité à attribuer
à l'exercice du pouvoir dans les sociétés selon la
conception que l'on se fait de l'intérêt de la
société : l'intérêt social. Plus
précisément, cette réflexion a engendré une
controverse au sein de la doctrine entre l'intérêt commun et
l'intérêt social. La tâche consistant à
définir et partant, à délimiter, l'une par rapport
à l'autre, les notions d'intérêt commun des actionnaires et
d'intérêt de la société est en effet ardue. Si la
finalité de la société est l'intérêt commun
des actionnaires, l'intérêt de la société
coïncide-t-il nécessairement avec cet intérêt commun ?
Dans la négative, quel intérêt faire primer ? Pour GERMAIN
(2009), l'intérêt commun des associés, la
réalisation et le partage des bénéfices, passe
nécessairement, au moins à terme, par le succès de
l'activité sociale. Mais à plus court terme, et surtout dans les
sociétés de capitaux, la recherche de profits presque
immédiats par les actionnaires est peut-être difficilement
conciliable avec l'impératif de pérennité que commande
l'intérêt social. Ce dernier semble ne pouvoir être
appréhendé que comme une notion fonctionnelle permettant au juge,
selon les circonstances, de privilégier l'intérêt des
actionnaires ou celui de la société de la façon qui
paraît être la plus opportune à ce dernier, compte tenu de
la situation factuelle(MONSALLIER (1998, p. 324)).
Il est à préciser, dans l'optique d'une
distinction avec les pactes d'actionnaires, que l'assimilation de
l'intérêt social à l'intérêt de la
société elle-même, prise en tant que personne morale,
dotée d'un intérêt propre, distinct de celui des membres
qui la composent, ne fait qu'accroître la particularité du contrat
de société au regard des contrats de droit commun en
général et du pacte d'actionnaires en particulier.
Selon CARBONNIER (2000), la poursuite d'un
intérêt commun dans le contrat de société s'oppose
ainsi à la logique contractuelle des pactes d'actionnaires dont la
finalité, essentiellementégoïste, est purement et simplement
fondée sur un échange d'obligations réciproques
destinées à satisfaire des intérêts antagonistes.
Le recours aux pactes d'actionnaires se justifie par la
présence, au sein d'une même société, d'actionnaires
diversifiés, dont les mobiles personnels diffèrent. La poursuite
d'un intérêt commun, condition inhérente au contrat de
société, et qui s'impose aux actionnaires, n'implique
évidemment pas que les actionnaires renoncent à leurs
intérêts personnels. SCHMIDT (2004) affirme que
l'intérêt commun, de nature objective, permet la coexistence au
sein de la société, d'actionnaires diversifiés, dont les
motivations subjectives sont diverses et divergentes, qu'il s'agisse, le plus
souvent, de la recherche du pouvoir et donc d'une participation active et
influente dans la prise des décisions sociales ou, au contraire, d'un
investissement motivé exclusivement par le profit et
désintéressé des affaires sociales.
Mais ces motivations personnelles des actionnaires ne sont pas
au coeur du contrat de société. Le pacte d'actionnaires se situe
sur un tout autre plan, extérieur au contrat de société,
qualifié de para-statutaire, dès lors il peut intégrer et
même avoir pour cause de telles considérations qui sont
demeurées en dehors du champ contractuel des statuts.
Par la conclusion de pactes extra-statutaires, certains
actionnaires recherchent précisément à satisfaire leurs
intérêts personnels et particuliers, qu'il s'agisse principalement
de contrôler l'évolution de l'actionnariat et assurer ainsi la
stabilité du pouvoir d'une part, ou d'organiser la sortie de la
société à des conditions privilégiées
d'autre part. Les mobiles des signataires de pactes d'actionnaires peuvent
ainsi être rassemblés dans ces deux grandes catégories
d'objectifs, selon que ces derniers appartiennent au groupe majoritaire pour la
première catégorie ou au groupe minoritaire pour la seconde.
Par exemple, les actionnaires du groupe majoritaire
s'engageront ensemble à limiter la transmission des titres de
contrôle en dehors du groupe au moyen de pactes de
préférence réciproques. Si au cas particulier, leurs
intérêts individuels convergent vers la conservation du
contrôle conjoint, les partenaires demeurent essentiellement
animés par des intérêts égoïstes qui
diffèrent fondamentalement de l'intérêt commun qui gouverne
le contrat de société.
La convergence d'intérêts égoïstes
n'est pas un intérêt commun. Ainsi en va-t-il des clauses de
sortie conjointe qui mettent en valeur les intérêts antagonistes
qui président souvent à la conclusion de pactes d'actionnaires.
Au terme d'une telle convention, un actionnaire, en
général majoritaire, s'engage à faire racheter par le
cessionnaire de ses titres de contrôle, aux mêmes conditions, les
actions d'un minoritaire, et faute pour le cessionnaire d'accepter, le
partenaire débiteur s'expose à devoir racheter lui-même les
titres du minoritaire. Un tel engagement des actionnaires majoritaires est
souvent exigé par les investisseurs financiers, comme condition de leur
prise de participation minoritaire dans le cadre d'opérations de
capital-investissement, afin d'accroître la liquidité de leurs
titres, d'échapper à toute décote de minorité et
également d'éviter qu'ils se retrouvent bloqués dans une
société qui va être dirigée par une nouvelle
équipe qui leur est inconnue.
Les pactes d'actionnaires permettent ainsi d'introduire une
dose d'intuitus personae dans les sociétés par actions
dans lesquelles ce dernier est en général exclu. On peut
qualifier en quelque sorte cet intuitus personae de «
négatif » en ce sens qu'il s'explique par la volonté
d'écarter certaines personnes en raison des défauts qu'elles
présentent plutôt que d'en attirer d'autres pour leurs
qualités déterminantes comme le note CUISINIER (2008). Il s'agit
en effet souvent, par ces pactes, d'écarter de la société
certaines personnes jugées indésirables au regard des
intérêts égoïstes poursuivis par leurs auteurs ou, au
contraire, de bloquer dans la société en les maintenant à
un statu quo au moyen de la soumission à des obligations de ne
pas faire, certains actionnaires dont la présence n'est pas
forcément jugée indispensable mais tout au moins plus souhaitable
que toute autre personne susceptible d'initier un changement. A ce titre,
certains pactes, comme le dit CUISINIER (2008), peuvent devenir des «
instruments de domination, de confiscation du pouvoir».
En somme, les pactes d'actionnaires sont l'expression de
rapports de force entre différents groupes d'actionnaires. Ils visent la
satisfaction des intérêts individuels et particuliers de certaines
catégories d'actionnaires, signataires de ces pactes, et sont donc bien
loin de la poursuite de l'intérêt commun des actionnaires qui
anime le contrat de société. Mais cela ne signifie aucunement que
les pactes d'actionnaires sont incompatibles avec la finalité du contrat
de société. Bien au contraire, ces pactes permettent d'assurer
une cohésion au sein de l'actionnariat en instaurant un équilibre
entre les différents intérêts des acteurs qui font vivre la
société. En ce sens, ils complètent le contrat de
société et facilitent la poursuite de la propre finalité
de ce dernier. A ce titre, CUISINIER (2008) renvoyant à Didier (2000, p.
240)relève à ce titre que la pratique des pactes d'actionnaires
est « considérée par la doctrine contractualiste
américaine comme le moyen le moins onéreux d'obtenir entre les
majoritaires et les minoritaires une cohabitation efficiente ».
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