La blockchain et l'offre au public de titres financierspar Lise Wantier Université Paris Nanterre - Master 2 Droit des affaires 2017 |
Section I. La disparition des tiers de confianceL'utilisation d'une blockchain privée ne remet pas en cause le cadre juridique déjà existant, puisqu'elle peut s'y conformer sans le bouleverser, cependant, une application de la blockchain publique semble plus révolutionnaire en terme d'innovation mais son application (§1) ne va pas sans poser des difficultés (§2). §1. La technologie blockchain comme substitut aux tiers de confiance Comme nous l'avons vu selon la Place de Paris un DEEP pourrait tout à la fois tenir le rôle d'une bourse, d'une chambre de compensation et d'un dépositaire central, voire même d'un système de règlement-livraison. Le registre distribué pourrait avoir un impact sur la structure globale des marchés financiers. Il pourrait mener à une désintermédiation de certaines fonctions, voire de certaines entités. Il convient dès lors d'analyser comment la technologie blockchain pourrait effectivement se présenter comme un substitut aux activités de post marché, et comment la législation l'envisagerait, car cela introduirait des acteurs qui ne sont couverts ou régulés par aucun régime législatif existant123 et supprimerait des acteurs qui sont aujourd'hui obligatoires. Le premier bouleversement pourrait être la suppression des chambres de compensation. Cette hypothèse est envisagée par la place de Paris et la BCE. La BCE a analysé l'impact de la technologie de la chaîne de blocs sur les chambres de compensation124. La technologie blockchain peut permettre que la négociation et le règlement de titres aient lieu presque en même temps, pas seulement le même jour (dans le cycle T + 0), mais instantanément. Lorsque les plates-formes de négociation sont reliées à un registre distribué, il est possible d'effectuer l'affichage des ordres sur le lieu de négociation par les acheteurs et les vendeurs dépendant du système de registre distribué intégré, ayant vérifié la disponibilité des titres sur le 123 CPMI, « Distributed ledger technology in payment, clearing and settlement », p.19 124A.PINNA, W. RUTTENBERG, « Occasional Paper Series, Distributed ledger technologies in securities post-trading, Revolution or evolution? » p.27 33 compte du vendeur. Si ces deux systèmes étaient séparés, l'impact des DLT se limiterait à une simplification des procédures de compensation et de gestion des risques, comme nous l'avons vu ci-dessus. En encodant les contrats intelligents dans le registre, une contrepartie centrale peut rendre les appels de marge automatiquement exécutables dans les comptes de ses membres compensateurs. Pour la Place de Paris, le smart contract serait donc le point de référence central, il certifierait chaque étape, garantirait les droits d'accès pour chaque partie prenante, supprimerait par essence le besoin de réconciliation et, permettrait un audit en temps réel par les régulateurs. La compensation serait donc inutile. L'impact de la DLT sur les chambres de compensation dépend néanmoins de la volonté des régulateurs de déléguer le processus de compensation à des smart contracts. Pour rendre cela possible, il faudrait conférer à l'inscription au registre dans un DEEP la valeur d'une représentation ou la valeur juridique d'une inscription, reconnaître la valeur légale d'un smart contract et modifier la législation relative aux chambres de compensation, afin de permettre la délégation du processus à un DEEP. Selon la BCE et la Place de Paris une harmonisation globale des outils blockchain et des normes relatives à son usage sur les marchés financiers est également nécessaire. Pour avoir des gains en termes de sécurité et d'efficacité à l'échelle globale du marché, chaque système pourrait devoir être en mesure de communiquer avec tous les différents registres distribués adoptés125. Il faudrait également prévoir des clés d'identification afin de réattribuer l'historique des événements aux entités juridiques concernées. Ainsi cette hypothèse serait une révolution, dans le sens où un tiers de confiance actuel serait remplacé par une blockchain à l'aide des smart contracts et semble l'hypothèse disruptive la plus probable et réalisable à court voire moyen terme. Mais la BCE est allée encore plus loin et a étudié trois scénarios d'application des DLT aux marchés secondaires. Dans le troisième elle envisage l'hypothèse où les sociétés émettrices, les gouvernements ou les legalTechs prennent l'initiative de mettre en place des systèmes de pair à pair pour les transactions sur titres, faisant ainsi du secteur du marché secondaire un « nouveau monde ». Dans ce scénario tous les processus postérieurs à la transaction seraient remplacés par un système automatisé de compensation et de règlement, se déroulant au sein d'un réseau d'entités émettrices et d'investisseurs finaux. Les entreprises et les gouvernements pourraient émettre leurs instruments financiers directement sur le grand livre. Dans ce scénario, la découverte des prix se fait sur une plate-forme de négociation ouverte et le règlement s'effectue automatiquement sur le registre distribué. Les règles KYC et AML constituent toutefois un obstacle pour la BCE à la réalisation de ce scénario. Mais des innovations dans le domaine de l'identité électronique sont déjà en marche et pourraient faciliter les changements majeurs qui seraient nécessaires afin de lever cet obstacle126. Egalement, pour la mise en oeuvre de ce scénario des preuves à connaissance zéro devront être utilisées afin de garder un niveau de confidentialité nécessaire. Une application de la technologie blockchain à tous les niveaux devra donc susciter un bouleversement législatif pour être possible. Une révolution est possible, mais qu'en serait-il du « nouveau monde » ? En faisant table rase de la réglementation existante, et en postulant l'utilisation d'une blockchain publique, comment réguler ce nouveau grand registre ? Pourrait-on réellement proposer des solutions pour encadrer cette utilisation généralisée ? Plusieurs problèmes juridiques se posent à une application globale de la blockchain. 125Ibid, p.28 126Ibid, p.31 et 32 34 §2. Les problèmes relatifs à une application généralisée de la blockchain dans sa forme originelle La première difficulté à résoudre pour une utilisation de la blockchain publique au service de l'offre au public de titres financiers est relative à la gouvernance. La chaîne de blocs fonctionne selon un mode décentralisé, c'est la communauté propre à une blockchain qui valide les transactions sur celle-ci, selon des règles prédéfinies. La transaction est donc validée par consensus. Or qui définit ces règles ? Les utilisateurs, les développeurs, les mineurs ? En terme de responsabilité, il semble nécessaire pour la confiance envers le système d'avoir un sujet de droit vers qui se tourner en cas de dommage. En effet, Une Blockchain qui prétendrait échapper à l'application d'un droit permettant de déterminer une responsabilité ne saurait subsister de façon pérenne. Les applications Blockchain du secteur financier devront nécessairement intégrer, au travers de la régulation, une gestion de la responsabilité des différents acteurs impliqués dans celle-ci127. Alors qui pourrait être responsable dans une blockchain publique ? La responsabilité de l'éditeur du logiciel est-elle envisageable ? Selon un article d'Eric A. Caprioli128 non, car la plupart des blockchains se sont développées sur des logiciels libres, et les développeurs restent souvent anonymes. Il envisage plutôt la création d'une organisation disposant de la personnalité morale. Cela permettrait de fixer un cadre, d'établir les règles de fonctionnement de l'entité et les droits et obligations de chaque intervenant dans la blockchain, et également de prévoir le droit applicable et la juridiction compétente. Ainsi, l'utilisation d'une blockchain, se ferait sous l'égide d'une personne morale qui respecterait la réglementation en vigueur et la ferait appliquer. Mais finalement, cela ne revient-il pas à rétablir un tiers de confiance ? Dans le cadre de l'offre au public de titres financiers et de leur négociation sur les marchés réglementés la gouvernance ne semble donc pas pouvoir être résolue sans l'intervention d'un tiers de confiance. Cependant les modalités de son rôle peuvent être redéfinies. Il y a plusieurs degrés possibles dans la décentralisation. Ainsi sur une ligne allant d'un système totalement centralisé à totalement décentralisé, on placerait au départ le système actuel, puis des systèmes soumis à autorisation, privés et partagés. Ensuite, des systèmes soumis à autorisation, public et partagés . Enfin, au bout de la ligne comme système complètement décentralisé, les systèmes sans autorisations, publics et partagés (le cas de la blockchain bitcoin). Ainsi face à l'impossibilité d'utiliser une chaîne de blocs complètement décentralisée, il serait envisageable d'adopter un système intermédiaire. Une autre question relative à l'identité des différents acteurs doit également être résolue, notamment, l'identification de l'auteur de la transaction. Elle pourrait résulter d'un processus extérieur à la blockchain, via notamment des fournisseurs d'e-identité129. Dans cette optique plusieurs start'ups proposent des solutions comme UniquID130, Sho card131, ou Onename132. Ces start'ups proposent des solutions diverses d'authentification des membres d'une chaîne de blocs. Nous verrons par la suite que la signature électronique pourrait également être une solution envisageable. Un autre problème doit également être considéré. La validation des transactions dans une blockchain publique serait en principe déléguée à des noeuds exploités par un éventail de 127I. RENARD, « Fonctionnement de la Blockchain», Revue de Droit bancaire et financier n° 1, Janv 2017, dossier 3 128E. A. CAPRIOLI, « Les enjeux juridiques et sécurité des blockchains », Cahiers de droit de l'entreprise n° 3, Mai 2017, dossier 19 129D. LEGEAIS, Jurisclasseur commercial 130Pour plus d'informations: http://uniquid.com 131Pour plus d'informations: https://shocard.com/ 132F. REYNAUD, « Onename, un curieux projet de carte d'identité numérique », Le Monde.fr, 04.02.2016 35 participants au marché. Ceci, soulève des questions liées à la confidentialité. La difficulté résulte du fait que la validation efficace des transactions dans un registre distribué nécessite actuellement que ceux qui les valident accèdent aux détails de la transaction (même indirectement) afin de vérifier sa validité. Les acteurs du marché, cependant, ont un intérêt inhérent à maintenir leurs stratégies de négociation confidentielles. Pour y pallier, de nouvelles fonctionnalités sont en cours de développement afin de permettre le maintien de la confidentialité pendant le processus de validation133. Parmi ces solutions figurent la preuve par zéro connaissance, notamment développée par la start'up QED-it qui permet de donner des preuves à un écosystèmes sans dévoiler les données sous jacentes134. |
|