Section II. Les solutions pour pallier le
problème de gouvernance
L'un des problèmes qui reste donc insoluble dans le
cadre d'une chaîne de blocs décentralisée est la question
de gouvernance, analysons donc si le recours aux smart contracts
pourrait être une solution (§1) voire, si la blockchain
pourrait intégrer une régulation en son sein (§2).
§1. Les smart contracts
Comment faire respecter la législation dans une
blockchain ouverte, si la question de la gouvernance ne peut
être résolue, sans la ré-instauration d'un tiers de
confiance ? Le recours aux smart contracts pourrait-il être une
solution envisageable ?
Pour cela un smart contract doit être reconnu
juridiquement. Pour être reconnu, il doit être capable d'identifier
les parties de manière fiable. Cependant la blockchain publique
repose sur un principe d'anonymat sur la base de clefs publiques, comment
concilier cet anonymat avec ce besoin d'identification ? L'identification
pourrait-elle se faire par une signature électronique légale ?
Cette signature suppose l'existence d'un tiers de confiance afin de
l'authentifier. Il est donc possible de passer par ce cadre, mais la
technologie blockchain pourrait peut-être elle-même
permettre d'établir une signature électronique.
La blockchain est selon Satoshi Nakamoto une chaine
de signatures électroniques. Les deux technologies reposent en effet sur
la cryptographie asymétrique. Ainsi on pourrait s'interroger sur la
possibilité de créer une chaîne de blocs permettant de
signer électroniquement des documents et des contrats afin de se passer
d'un tiers.
La Place de Paris a analysé la possibilité
d'utilisation de la technologie blockchain au service de la signature
électronique, notamment au travers de la législation applicable
et a conclu à la possibilité de cette utilisation, et même
aux avantages que cela pourrait avoir en terme de coût et de
sécurité. Elle a également analysé les
difficultés en terme de confidentialité qui se posaient et a
démontré que ces difficultés pouvaient être
résolues, en intégrant dans le bloc signé par les parties
un hash du contrat et non le contrat en entier, et en utilisant des
signatures multiples, ou des ring signatures afin d'identifier les
signataires les uns envers les autres tout en cachant leur identité aux
tiers. Ces difficultés ne constituent donc pas un obstacle. La Place de
Paris conclue que « la solution blockchain, pour les signatures
électroniques semble donc être une solution moderne bien plus
pragmatique, efficace, économe et sécurisée135.
»
Ainsi, rien ne semble s'opposer à la reconnaissance
juridique d'un smart contract tant que les parties puissent être
identifiées. Mais en pratique, l'instauration des smart
contracts est-elle
133A. PINNA, W. RUTTENBERG , « Occasional Paper Series,
Distributed ledger technologies in securities post-trading, Revolution or
evolution? », p.24,25
134 ISRAELVALLEY DESK, « Née en Israël, QED-it
est une start-up en Blockchain « BtoB » », Site officiel de
la chambre de commerce France-Israel, 7 oct 2017
135 PARIS EUROPLACE, p.89-90
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réellement souhaitable ? La publication d'un livre
blanc questionnant l'apport de la DLT et des smart contracts aux
produits dérivés, publié par l'association internationale
des Swaps et dérivés (International Swap and Derivatives
Association, ISDA) peut nous apporter une réponse. Un smart
contract code pourrait remplacer certaines clauses opérationnelles
d'un contrat (comme la date d'un paiement en fonction de certains
paramètres) ou automatiser des clauses déjà existantes
d'un contrat mais les clauses non opérationnelles comme la juridiction
ou la loi applicable en cas de litige ne pourraient être
intégrées dans le smart contract selon l'ISDA. La
difficulté de l'automatisation ressort également de la
possibilité qu'ont les parties de faire des choix au cours de la
transaction. Les parties peuvent ne pas souhaiter que certaines clauses
s'appliquent de manière automatique. L'ISDA considère donc qu'il
n'est pas possible pour un contrat juridique d'être intégralement
reflété dans un code informatique s'exécutant
automatiquement sur une blockchain. Dès lors une blockchain
autonome, entièrement régie par des smart contracts
semble difficilement viable pour l'ISDA. Cependant, selon certains auteurs, le
manque de flexibilité n'est pas
irrémédiable136.
L'exemple de the DAO démontre les limites des
smart contracts. Toutes les décisions d'investissements
étaient décentralisées et prises par le pseudonyme DAO
« token-holders » à travers un vote digital. Les règles
de ce vote étaient encodées dans un smart contract
gouvernant the DAO. Ainsi le code remplaçait le management et
établissait un lien direct entre les investisseurs et la mise en oeuvre
de la stratégie d'investissement. Cette blockchain fut
hackée du fait d'erreurs dans le smart contract en juin 2016,
et le hacker déclara que ce transfert d'argent était légal
car ce détournement avait été possible du fait d'une
faiblesse du smart contract, et qu'ainsi, « le code fait loi
».
§2. L'utilisation de la blockchain comme outil
au service du régulateur
Comme nous l'avons compris la technologie blockchain
est difficile à réguler du fait de l'absence d'une
autorité centrale, on pourrait donc imaginer une intervention publique
par l'incorporation d'une autorité dans la technique. S'il est possible
d'incorporer un cadre réglementaire dans le code informatique qui
régit la blockchain, les objectifs de régulation
pourraient être facilement respectés. Un auteur propose même
que le secteur public développe son propre système de
blockchain137. Ainsi, par exemple dans une
blockchain, le régulateur pourrait être l'un des noeuds
du réseau et ainsi avoir accès à toutes ses
données. Cela permettrait aux régulateurs d'avoir des
données plus traçables et plus complètes138.
Même si le contre-sens de cette idée est latent, puisque la
blockchain vise en principe la suppression des tiers de
confiance139.
C'est pourquoi pour certains auteurs, l'enjeu n'est pas que la
blockchain soit saisie par le droit des états mais qu'elle
aboutisse à une création juridique autonome. La blockchain
est intrinsèquement difficilement compatible avec le droit
classique, pour dépasser ces blocages on pourrait donc utiliser la
chaîne de blocs comme support aux relations normatives140.
Ainsi les différents acteurs de la blockchain pourraient
créer des régimes d'engagements singuliers, où ils
réguleraient eux-même leurs obligations ainsi que les questions de
responsabilité, qu'ils enregistreraient sur la blockchain grâce
aux smart contracts141.
Après avoir analysé le cadre législatif
qui pourrait s'appliquer en cas d'utilisation de la blockchain lors
d'une offre au public de titres financiers, du point de vue des normes
régissant les
136 C. LIM, TJ SAW, C. SARGEANT, « Smart Contracts: Bridging
the gap between expectation and reality », Oxford University
blog
137 PJ. BENGHOZI, « Blockchain : objet à
réguler ou outil pour réguler ? », La Semaine Juridique
Entreprise et Affaires n° 36, 7 Sept 2017, 1470
138 IOSCO, « IOSCO Research Report on Financial Technologies
(Fintech) », fév 2017, p.59
139 S. DE CHARENTENAY, « Blockchain et Droit: Code is deeply
Law », 19 sept 2017, Blockchain France
140 Ibid
141 Ibid
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marchés financiers. Il convient d'analyser comment
s'articulerait cette utilisation avec les législations existantes dans
les autres domaines du droit, qui ne concernent pas directement l'offre au
public de titres financiers mais qui pourraient avoir un impact sur celle
utilisation.
Titre II. La conciliation entre la chaîne de
blocs et les réglementations extrinsèques aux marchés
financiers
En cas d'utilisation au profit des offres au public de titres,
un DEEP peut se voir appliquer des législations extérieures aux
marchés financiers, ainsi nous analyserons la compatibilité entre
ces différentes législation et les DEEP (Chapitre 1), mais
également avec les législation internationales (Chapitre 2).
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