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La blockchain et l'offre au public de titres financiers


par Lise Wantier
Université Paris Nanterre - Master 2 Droit des affaires 2017
  

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Section II. Une réglementation ad hoc pour les ICOs

Face aux insuffisances relevées par la qualification des ICOs et par conséquence du régime qui leur est applicable, un projet de loi sera proposé afin d'établir une réglementation ad hoc (§1). Nous analyserons ainsi les modifications législatives qui pourraient en découler (§2).

§1. Le projet de loi PACTE

Le projet de loi PACTE devrait être présenté durant la seconde quinzaine de mai116 devant le conseil des ministres et devrait contenir des dispositions réglementant les ICOs.

L'AMF préconisait une approche souple, et c'est cette approche qui fut reprise dans le projet de loi. Est notamment envisagé la délivrance d'un label ou d'un visa par l'AMF qui serait optionnel. Ce visa serait octroyé si certaines conditions sont remplies. Ces conditions sont exprimées par le président de l'AMF durant son intervention lors de la Mission d'information sur les « Monnaies virtuelles ».

Le premier pôle de conditions relève de l'identification des émetteurs et des souscripteurs. Cela comprend l'obligation pour l'émetteur d'être une personne morale identifiée (société voire association), enregistré au minimum dans un pays hors « liste noire » de l'UE. Également, les souscripteurs doivent être identifiés au-delà du numéro IP de leur ordinateur ou de leur clef personnelle, les diligences de connaissance du client (KYC) doivent pouvoir être conduites par l'émetteur ou son mandataire. À noter qu'un répondant à la consultation lancée par l'AMF avait plutôt préconisé que l'identification du responsable de l'offre devrait être fortement recommandée sans constituer pour autant une obligation, afin de ne pas empêcher les créations open source complètement décentralisées117.

Le second pôle de conditions concerne l'information qui devra être suffisamment pertinente sur l'actif émis et le projet financé. Cela comprend une taxonomie indicative entre les jetons dont la vocation est d'être de simples moyens de paiement et ceux ouvrant des droits d'usage avec une

112 T. BONNEAU, «Revue de Droit bancaire et financier n° 1, Janvier 2017, dossier 5

113SATOSHI NAIAMOTO « Bitcoin : un système de paiement électronique pair-à-pair », p.1

114Ibid, p.3

115A. PINNA, W. RUTTENBERG , « Occasional Paper Series, Distributed ledger technologies in securities post-trading,

Revolution or evolution? » European Central Bank, paper series, n° 172 Av 2016

116A. TONNELIER, « La loi Pacte portée par Bruno Le Maire peine à s'imposer à l'agenda politique », Le Monde,

6.04.2018

117AMF, « synthèse des réponses à la consultation publique», p.13

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catégorisation à construire concernant ces droits (les jetons ouvrant des droits financiers ont vocation à être traités dans le cadre déjà existant des offres au public de titres financiers). Le white paper devra décrire de façon précise les droits ouverts, l'éventuel plan d'affaires, la technologie employée (avec éventuellement l'avis sur cette dernière d'un expert indépendant, par exemple l'Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d'Information).

Le troisième pôle de conditions oeuvre pour une procédure d'émission transparente et sécurisée. Pour remplir cet objectif, le prix d'émission doit être fixe (ou son mode de détermination doit être fixé ex ante), la durée et le montant de l'émission doivent être fixés ex ante, un traitement des souscriptions excédentaires doit être mis en oeuvre, une information exhaustive doit être donnée sur le rôle de l'émetteur et des parties liées dans l'émission : jetons réservés, jetons déjà acquis, jetons créés dans le cadre de « minage ». Enfin, des souscriptions sous séquestre doivent être mises en oeuvre jusqu'à la clôture de l'ICO.

L'AMF préconise également d'organiser un marché secondaire pour les jetons dont la négociabilité est une caractéristique importante. L'AMF souhaite privilégier les similitudes avec les entreprises d'investissement et leurs plateformes de négociation de titres dans le but d'apporter plus de sécurité aux investisseurs. Pour le moment elle juge le marché secondaire des crypto-actifs opaque et donc propice aux abus de marché du fait de la forte volatilité qui y règne. Elle préconise donc une application des dispositions inspirées de la directive MIFID118. Et est également en faveur de la mise en place d'un cadre légal à la détention et au transfert de propriété des crypto-actifs qui ne sont pas couverts par l'ordonnance du 8 décembre 2017.

Ainsi le régime serait optionnel, sur la base d'un visa relevant de l'autorité de l'AMF. Ce visa permettrait, aux émetteurs sérieux d'obtenir un gage de qualité, de protéger les investisseurs et d'appréhender tous les types d'offres. Les offres réalisées sans visa devront comporter un avertissement à l'attention des investisseurs potentiels, à défaut, l'ICO pourrait être sanctionnée119. Ce cadre législatif semble donc adapté à la particularité des ICOs et permet la conciliation entre sécurité des investisseurs et liberté des émetteurs.

Concernant les ICOs qui entrent dans la catégorie des offres au public de titres financiers, elles sont actuellement régulées par la directive prospectus or cette législation est inadaptée. C'est pourquoi l'Amafi et le LabEx ReFiLe préconisent d'intégrer aux réflexions portant sur la révision de la directive prospectus, des considérations relatives aux ICOs dans une optique de simplification du régime, lorsque les jetons d'une ICO sont considérés comme des titres financiers. Ainsi ils proposent d'intégrer dans la révision, une définition de la blockchain afin de limiter la portée du régime mis en oeuvre. À ce titre la définition de l'article L.223-12 du Code monétaire et financier semble opportune. Dans un second temps, il apparaît nécessaire d'établir la liste des informations indispensables envers le souscripteur. Enfin, prendre en considération les spécificités des émetteurs, comme l'absence de personnalité morale. A ce sujet est préconisé un aménagement du droit existant car il est craint que la charge administrative liée à la création d'une personne morale sur l'émetteur le pousse à lancer son ICO dans un autre pays120. Notons cependant, que suivre cette dernière recommandation semble problématique si le projet de loi PACTE est adopté. En effet, le projet de loi prévoit la création d'une personne morale pour les ICOs, il serait dès lors inadapté de ne pas l'exiger pour les les ICOs dont les jetons correspondent à des titres financiers et de l'exiger pour les autres. Cependant, si le projet de loi englobe toutes les ICOs, en écartant le régime relatif au prospectus à celles qui octroieraient des jetons assimilables à des titres financiers, par les modifications que nous allons voir, cette modification du prospectus n'est de toute façon pas pertinente.

118Dir. 2014/65/UE

119 AMF, « synthèse des réponses à la consultation publique», p.20

120 AMAFI, « Consultation AMF sur les ICOS », p. 7 et 8

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§2. Les modifications législatives qui en découlent

Concrètement, quelles sont les modifications qui devrait être opérées pour rendre possible ce projet de loi ? L'AMAFI et le LabEx ReFi préconisent deux interventions, l'une au niveau législatif et l'autre au niveau réglementaire121.

Il est intéressant d'analyser les recommandations de l'AMAFI et LabeEx ReFi car le régime « bien divers 3 »122 qu'ils proposaient présente de fortes similitudes avec le projet de loi PACTE. De plus leurs recommandations sont écoutées voire souvent reprises par l'AMF.

Au niveau législatif, concernant l'architecture même du Code monétaire et financier, ils recommandent d'ajouter « et émetteurs de jetons » à l'intitulé du Titre V du livre V « Intermédiaires en biens divers ». Ils proposent ensuite que les dispositions des articles L.550-1 à L.550-5 soient rassemblées dans un Chapitre premier intitulé « Intermédiaires en biens divers ». Serait également créé un Chapitre 2 intitulé « Émetteurs de jetons » composé de trois nouveaux articles.

Un article L. 550-6 disposant que « Nonobstant les dispositions des articles L.211-1 et L. 550-1 à 550-5, constitue un jeton tout droit émis dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant l'authentification de ces opérations, dans les conditions définies par décret en Conseil d'État.» Cet article a pour objectif d'écarter les règles applicables aux intermédiaires en bien divers et en matière d'offre au public de titres financiers.

Puis, un article L.550-7 prévoyant que :

Le règlement général de l'AMF détermine les conditions dans lesquelles les communications à caractère promotionnel portant sur des jetons :

1° Doivent être clairement identifiables en tant que telles ; 2° Présentent un contenu exact, clair et non trompeur ;

3° Comportent un avertissement indiquant notamment que l'acquisition de tels jetons fait courir le risque de perte de la totalité du capital ayant servi à cette acquisition.

Enfin, un article L.550-8 qui disposerait que « Le règlement général de l'AMF détermine les conditions dans lesquelles les porteurs de projet d'émission de jetons peuvent recevoir un visa de l'Autorité attestant que l'information minimale qui est mise à disposition des investisseurs a vu son exhaustivité contrôlée. »

Au niveau réglementaire, l'AMAFI et le LabEx ReFi préconisent l'introduction d'un seul article codifié « 441-4 (nouveau) » au règlement général de l'AMF énonçant les informations devant être délivrées à l'AMF en vue de l'octroie du visa. Ces informations portent sur l'identité des porteurs du projet (personne physique ou morale). Sur le projet en lui même avec une description générale du projet, son calendrier de mise en oeuvre, le nombre de jetons proposés au public et les droits qu'ils confèrent. Devront également être indiqués les risques encourus par les acheteurs de jetons. Devront aussi être transmises, des informations sur les modalités du projet, les cyber-monnaies acceptées par l'émetteur, les modalités précises de la collecte de ressources, l'existence et les modalités de toutes les procédures éventuelles de vente antérieures et postérieures, l'usage prévu des produits de la vente, en particulier au cas où le montant escompté ne serait pas atteint ou serait dépassé, également une description des sources de financement du projet si l'émission de jetons n'est pas le seul mode de financement et la hiérarchie des créanciers. Enfin, des informations à titre de garantie, comprenant la juridiction compétente en cas de litige, un engagement à ne pas utiliser de moyens informatiques permettant la dissimulation d'identité, et à ne pas effectuer de versements à destination des pays considérés comme des juridictions non coopératives, et finalement, les

121 Ibid, p.17 122Ibid, p.10

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mesures de cybersécurité prévues.

Ces mesures ne sont pas exactement identiques au projet de loi PACTE, notamment, la proposition de l'AMAFI et du LabEx ReFi prévoit que l'émetteur puisse être une personne physique alors que l'AMF a indiqué qu'une personne morale devrait être crée (société ou association). Les mesures proposées par l'AMAFI sont d'une manière générale moins contraignantes et proposent moins de garanties. Cependant, le volet législatif correspond à ce qui pourrait entrer en vigueur aux vues de ce qui a été annoncé pour la loi PACTE.

Chapitre 2. En cas d'utilisation de la technologie blockchain dans toutes ses potentialités : une révolution juridique nécessaire

Sont actuellement développées des applications permettant d'améliorer les processus existants, au service des tiers de confiance. Or la technologie blockchain avait pour ambition de faire disparaître ces tiers de confiance. Nous analyserons les potentialités et les problèmes que posent cette ambition (Section I) pour ensuite essayer de comprendre, comment ils pourraient être résolus (Section II).

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard