Section II. Une réglementation ad hoc pour les
ICOs
Face aux insuffisances relevées par la qualification
des ICOs et par conséquence du régime qui leur est applicable, un
projet de loi sera proposé afin d'établir une
réglementation ad hoc (§1). Nous analyserons ainsi les
modifications législatives qui pourraient en découler
(§2).
§1. Le projet de loi PACTE
Le projet de loi PACTE devrait être
présenté durant la seconde quinzaine de mai116 devant
le conseil des ministres et devrait contenir des dispositions
réglementant les ICOs.
L'AMF préconisait une approche souple, et c'est cette
approche qui fut reprise dans le projet de loi. Est notamment envisagé
la délivrance d'un label ou d'un visa par l'AMF qui serait optionnel. Ce
visa serait octroyé si certaines conditions sont remplies. Ces
conditions sont exprimées par le président de l'AMF durant son
intervention lors de la Mission d'information sur les « Monnaies
virtuelles ».
Le premier pôle de conditions relève de
l'identification des émetteurs et des souscripteurs. Cela comprend
l'obligation pour l'émetteur d'être une personne morale
identifiée (société voire association), enregistré
au minimum dans un pays hors « liste noire » de l'UE.
Également, les souscripteurs doivent être identifiés
au-delà du numéro IP de leur ordinateur ou de leur clef
personnelle, les diligences de connaissance du client (KYC) doivent pouvoir
être conduites par l'émetteur ou son mandataire. À noter
qu'un répondant à la consultation lancée par l'AMF avait
plutôt préconisé que l'identification du responsable de
l'offre devrait être fortement recommandée sans constituer pour
autant une obligation, afin de ne pas empêcher les créations open
source complètement décentralisées117.
Le second pôle de conditions concerne l'information qui
devra être suffisamment pertinente sur l'actif émis et le projet
financé. Cela comprend une taxonomie indicative entre les jetons dont la
vocation est d'être de simples moyens de paiement et ceux ouvrant des
droits d'usage avec une
112 T. BONNEAU, «Revue de Droit bancaire et financier
n° 1, Janvier 2017, dossier 5
113SATOSHI NAIAMOTO « Bitcoin : un système de
paiement électronique pair-à-pair », p.1
114Ibid, p.3
115A. PINNA, W. RUTTENBERG , « Occasional Paper Series,
Distributed ledger technologies in securities post-trading,
Revolution or evolution? » European Central Bank, paper
series, n° 172 Av 2016
116A. TONNELIER, « La loi Pacte portée par Bruno Le
Maire peine à s'imposer à l'agenda politique », Le
Monde,
6.04.2018
117AMF, « synthèse des réponses à la
consultation publique», p.13
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catégorisation à construire concernant ces
droits (les jetons ouvrant des droits financiers ont vocation à
être traités dans le cadre déjà existant des offres
au public de titres financiers). Le white paper devra décrire
de façon précise les droits ouverts, l'éventuel plan
d'affaires, la technologie employée (avec éventuellement l'avis
sur cette dernière d'un expert indépendant, par exemple l'Agence
Nationale de la Sécurité des Systèmes d'Information).
Le troisième pôle de conditions oeuvre pour une
procédure d'émission transparente et sécurisée.
Pour remplir cet objectif, le prix d'émission doit être fixe (ou
son mode de détermination doit être fixé ex ante), la
durée et le montant de l'émission doivent être fixés
ex ante, un traitement des souscriptions excédentaires doit être
mis en oeuvre, une information exhaustive doit être donnée sur le
rôle de l'émetteur et des parties liées dans
l'émission : jetons réservés, jetons déjà
acquis, jetons créés dans le cadre de « minage ».
Enfin, des souscriptions sous séquestre doivent être mises en
oeuvre jusqu'à la clôture de l'ICO.
L'AMF préconise également d'organiser un
marché secondaire pour les jetons dont la négociabilité
est une caractéristique importante. L'AMF souhaite privilégier
les similitudes avec les entreprises d'investissement et leurs plateformes de
négociation de titres dans le but d'apporter plus de
sécurité aux investisseurs. Pour le moment elle juge le
marché secondaire des crypto-actifs opaque et donc propice aux abus de
marché du fait de la forte volatilité qui y règne. Elle
préconise donc une application des dispositions inspirées de la
directive MIFID118. Et est également en faveur de la mise en
place d'un cadre légal à la détention et au transfert de
propriété des crypto-actifs qui ne sont pas couverts par
l'ordonnance du 8 décembre 2017.
Ainsi le régime serait optionnel, sur la base d'un visa
relevant de l'autorité de l'AMF. Ce visa permettrait, aux
émetteurs sérieux d'obtenir un gage de qualité, de
protéger les investisseurs et d'appréhender tous les types
d'offres. Les offres réalisées sans visa devront comporter un
avertissement à l'attention des investisseurs potentiels, à
défaut, l'ICO pourrait être sanctionnée119. Ce
cadre législatif semble donc adapté à la
particularité des ICOs et permet la conciliation entre
sécurité des investisseurs et liberté des
émetteurs.
Concernant les ICOs qui entrent dans la catégorie des
offres au public de titres financiers, elles sont actuellement
régulées par la directive prospectus or cette législation
est inadaptée. C'est pourquoi l'Amafi et le LabEx ReFiLe
préconisent d'intégrer aux réflexions portant sur la
révision de la directive prospectus, des considérations relatives
aux ICOs dans une optique de simplification du régime, lorsque les
jetons d'une ICO sont considérés comme des titres financiers.
Ainsi ils proposent d'intégrer dans la révision, une
définition de la blockchain afin de limiter la portée du
régime mis en oeuvre. À ce titre la définition de
l'article L.223-12 du Code monétaire et financier semble opportune. Dans
un second temps, il apparaît nécessaire d'établir la liste
des informations indispensables envers le souscripteur. Enfin, prendre en
considération les spécificités des émetteurs, comme
l'absence de personnalité morale. A ce sujet est préconisé
un aménagement du droit existant car il est craint que la charge
administrative liée à la création d'une personne morale
sur l'émetteur le pousse à lancer son ICO dans un autre
pays120. Notons cependant, que suivre cette dernière
recommandation semble problématique si le projet de loi PACTE est
adopté. En effet, le projet de loi prévoit la création
d'une personne morale pour les ICOs, il serait dès lors inadapté
de ne pas l'exiger pour les les ICOs dont les jetons correspondent à des
titres financiers et de l'exiger pour les autres. Cependant, si le projet de
loi englobe toutes les ICOs, en écartant le régime relatif au
prospectus à celles qui octroieraient des jetons assimilables à
des titres financiers, par les modifications que nous allons voir, cette
modification du prospectus n'est de toute façon pas pertinente.
118Dir. 2014/65/UE
119 AMF, « synthèse des réponses à la
consultation publique», p.20
120 AMAFI, « Consultation AMF sur les ICOS », p. 7 et
8
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§2. Les modifications législatives qui en
découlent
Concrètement, quelles sont les modifications qui
devrait être opérées pour rendre possible ce projet de loi
? L'AMAFI et le LabEx ReFi préconisent deux interventions, l'une au
niveau législatif et l'autre au niveau
réglementaire121.
Il est intéressant d'analyser les recommandations de
l'AMAFI et LabeEx ReFi car le régime « bien divers 3
»122 qu'ils proposaient présente de fortes similitudes
avec le projet de loi PACTE. De plus leurs recommandations sont
écoutées voire souvent reprises par l'AMF.
Au niveau législatif, concernant l'architecture
même du Code monétaire et financier, ils recommandent d'ajouter
« et émetteurs de jetons » à l'intitulé du Titre
V du livre V « Intermédiaires en biens divers ». Ils proposent
ensuite que les dispositions des articles L.550-1 à L.550-5 soient
rassemblées dans un Chapitre premier intitulé «
Intermédiaires en biens divers ». Serait également
créé un Chapitre 2 intitulé « Émetteurs de
jetons » composé de trois nouveaux articles.
Un article L. 550-6 disposant que « Nonobstant les
dispositions des articles L.211-1 et L. 550-1 à 550-5, constitue un
jeton tout droit émis dans un dispositif d'enregistrement
électronique partagé permettant l'authentification de ces
opérations, dans les conditions définies par décret en
Conseil d'État.» Cet article a pour objectif d'écarter les
règles applicables aux intermédiaires en bien divers et en
matière d'offre au public de titres financiers.
Puis, un article L.550-7 prévoyant que :
Le règlement général de l'AMF
détermine les conditions dans lesquelles les communications à
caractère promotionnel portant sur des jetons :
1° Doivent être clairement identifiables en tant que
telles ; 2° Présentent un contenu exact, clair et non trompeur ;
3° Comportent un avertissement indiquant notamment que
l'acquisition de tels jetons fait courir le risque de perte de la
totalité du capital ayant servi à cette acquisition.
Enfin, un article L.550-8 qui disposerait que « Le
règlement général de l'AMF détermine les conditions
dans lesquelles les porteurs de projet d'émission de jetons peuvent
recevoir un visa de l'Autorité attestant que l'information minimale qui
est mise à disposition des investisseurs a vu son exhaustivité
contrôlée. »
Au niveau réglementaire, l'AMAFI et le LabEx ReFi
préconisent l'introduction d'un seul article codifié « 441-4
(nouveau) » au règlement général de l'AMF
énonçant les informations devant être
délivrées à l'AMF en vue de l'octroie du visa. Ces
informations portent sur l'identité des porteurs du projet (personne
physique ou morale). Sur le projet en lui même avec une description
générale du projet, son calendrier de mise en oeuvre, le nombre
de jetons proposés au public et les droits qu'ils confèrent.
Devront également être indiqués les risques encourus par
les acheteurs de jetons. Devront aussi être transmises, des informations
sur les modalités du projet, les cyber-monnaies acceptées par
l'émetteur, les modalités précises de la collecte de
ressources, l'existence et les modalités de toutes les procédures
éventuelles de vente antérieures et postérieures, l'usage
prévu des produits de la vente, en particulier au cas où le
montant escompté ne serait pas atteint ou serait dépassé,
également une description des sources de financement du projet si
l'émission de jetons n'est pas le seul mode de financement et la
hiérarchie des créanciers. Enfin, des informations à titre
de garantie, comprenant la juridiction compétente en cas de litige, un
engagement à ne pas utiliser de moyens informatiques permettant la
dissimulation d'identité, et à ne pas effectuer de versements
à destination des pays considérés comme des juridictions
non coopératives, et finalement, les
121 Ibid, p.17 122Ibid, p.10
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mesures de cybersécurité prévues.
Ces mesures ne sont pas exactement identiques au projet de loi
PACTE, notamment, la proposition de l'AMAFI et du LabEx ReFi prévoit que
l'émetteur puisse être une personne physique alors que l'AMF a
indiqué qu'une personne morale devrait être crée
(société ou association). Les mesures proposées par
l'AMAFI sont d'une manière générale moins contraignantes
et proposent moins de garanties. Cependant, le volet législatif
correspond à ce qui pourrait entrer en vigueur aux vues de ce qui a
été annoncé pour la loi PACTE.
Chapitre 2. En cas d'utilisation de la technologie
blockchain dans toutes ses potentialités : une révolution
juridique nécessaire
Sont actuellement développées des applications
permettant d'améliorer les processus existants, au service des tiers de
confiance. Or la technologie blockchain avait pour
ambition de faire disparaître ces tiers de confiance. Nous analyserons
les potentialités et les problèmes que posent cette ambition
(Section I) pour ensuite essayer de comprendre, comment ils pourraient
être résolus (Section II).
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