Section I. L'application du prospectus
Dès lors qu'il y a une offre au public de titres
financiers, les règles relatives au prospectus s'appliquent, ainsi les
dispositions en vigueur ( 1) pourraient-elles empêcher une
éventuelle utilisation de la chaîne de blocs (§2) ?
§1. Les règles régissant le
prospectus
Les personnes ou entités qui procèdent à
une offre au public au sens de l'article L. 411-1 du code monétaire et
financier qui souhaitent obtenir le visa de l'AMF sur un prospectus,
déposent un projet de prospectus dans les formes prévues par le
règlement délégué (UE) 2016/301 du 30 novembre
2015.
L'article 212-21 du règlement général de
l'AMF, précise que le dépôt du projet de prospectus doit
être accompagné de la remise à l'AMF de la documentation
nécessaire à l'instruction du dossier. Cette documentation
contient notamment des documents relatifs à la société et
aux procès verbaux ayant autorisés l'admission ou
l'émission des titres financiers concernés70.
Selon l'article 212-7 du règlement de l'AMF, le
prospectus contient toutes les informations qui sont nécessaires pour
permettre aux investisseurs d'évaluer en connaissance de cause le
patrimoine, la situation financière, les résultats, et les
perspectives de l'émetteur et des garants éventuels des titres
financiers qui font l'objet de l'offre au public. Doivent également
être indiqués les droits attachés à ces titres
financiers et les conditions d'émission de ces derniers. «
L'information donnée au public par l'émetteur doit être
exacte, précise et sincère71. » Un contrôle
des informations délivrées est effectué et les comptes
annuels, consolidés ou intermédiaires sont vérifiés
par les contrôleurs légaux72.
Le prospectus doit permettre une identification des personnes
responsables de celui-ci73. C'est cette personne qui dépose
le projet de prospectus auprès de l'AMF et le signe. Cette signature est
source de responsabilité, d'autant qu'elle est
précédée d'une attestation certifiant qu'à sa
connaissance, les données du prospectus sont conformes à la
réalité et ne comportent aucune omission74.
L'AMF peut suspendre voire interdire l'offre au public ou
l'admission aux négociations sur un marché
réglementé dès lors qu'elle a des motifs raisonnables de
soupçonner que le projet ou que l'offre au public est contraire aux
dispositions législatives et réglementaires qui lui sont
applicables75.
70 Art 2, Instruction AMF du 21 Octobre 2016, (DOC-2016-04)
71 RG AMF, art 223-1
72 Sur les modalités de contrôle : RG AMF, art
212-15
73 RG AMF, art 212-14
74 T. BONNEAU, F. DRUMMONT, Droit des marchés
financiers, Broché, 22 mars 2010, p. 809
75 RG AMF, art 213-1 et 213-2
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§2. Ne remettent pas en cause l'utilisation de
la technologie de la chaîne de blocs
Rien dans la législation applicable au prospectus ne
dispenserait un émetteur utilisant la technologie blockchain
qui procède à une offre au public de titres financiers
d'outrepasser ces règles. Ces règles s'appliquent à toute
offre au public, indépendamment de la technologie employée pour y
procéder. Ces obligations sont en effet d'ordre informatives et
l'utilisation d'une technologie ou d'une autre ne modifie pas la
nécessité d'obligation d'information qui pèse sur les
acteurs. Les émetteurs utilisant la technologie blockchain se
doivent de remplir les exigences vues ci-dessus, notamment celles
d'identification d'un responsable ou encore la nécessité de
constitution d'une société. Des problèmes peuvent ainsi se
poser en cas d'utilisation d'une blockchain publique pour ces
informations, mais il est difficilement concevable de réaliser une offre
au public de titres financiers sans être une société et
sans responsable, sans profondément remanier la législation
applicable aux offres au public et tout en proposant un cadre
sécurisé pour les investisseurs.
Les émetteurs d'ICOs ne sont pas soumis à cette
obligation de prospectus attendu que les ICOs ne répondent pas aux
caractéristiques d'une offre au public de titres financiers, puisqu'un
jeton ne constitue juridiquement pas un titre financier selon l'AMF. Cependant,
un règlement prospectus entrera en vigueur à compter du 21
juillet 2019 remplaçant la directive actuelle. Ce règlement
s'appliquera aux offres au public « de valeurs mobilières »
à comprendre dans le sens de la directive MiFID 2. Or, comme le fait
remarquer le président de l'AMF, cette définition est plus large
que celle de titres financiers figurant dans le Code monétaire et
financier. En effet, les « valeurs mobilières » sont
définies en droit européen comme « les catégories de
titres négociables sur le marché des capitaux76.
»
Dès lors les jetons compris dans une ICO pourraient-ils
entrer dans cette catégorie ? Pour répondre à cette
question, il convient de savoir si un titre peut comprendre un droit qui ne
représente pas de manière intrinsèque un droit
financier77. C'est l'Autorité Européenne des
Marchés Financiers (AEMF) qui devra répondre à cette
question, même si le président de l'AMF s'est déjà
positionné par la négative afin de respecter l'orientation des
avis reçus dans le cadre de la consultation publique. Il relève
que malgré les avantages (prendre en considération les risques de
ces opérations, leur montant élevé et appliquer aux ICOs
les règles relatives au marché secondaire de la directive MIF)
cette solution présente de nombreux inconvénients car cela
segmenterait le périmètre entre jetons ayant vocation à
être des instruments de paiement et ceux qui disposent d'une valeur
d'usage. De plus, imposer une réglementation prospectus semble
inopportune, cela aboutirait à traiter ces offres dans un processus
inadapté qui ne permettrait pas d'établir des garanties
adéquates en fonction des risques spécifiques, puisque le
prospectus ne garantit que la qualité de l'information.
Si un jeton entre dans la catégorie de valeur
mobilière, dès lors il devrait se voir appliquer la
réglementation relative au prospectus. L'AMAFI et le LabEx ReFi
considèrent que cette législation serait inadaptée, c'est
pourquoi ils proposent, si un régime spécifique n'est pas mis en
oeuvre, de prendre en considération la particularité des ICOs
lors de la modification de la directive prospectus.
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