Section II. Les règles relatives au marché
secondaire
Il convient ensuite d'analyser les règles applicables
au marché secondaire où l'utilisation de la technologie de la
chaîne de blocs pourrait connaître de nombreuses applications et
analyser si les règles en vigueur sont suffisamment larges pour
sécuriser cette utilisation ( 1) ou si un nouveau cadre
législatif doit voir le jour pour prendre en compte les
spécificités qui découleraient de l'utilisation de cette
technologie (§2).
76 Robert OPHELE, intervention devant la Mission d'information
sur les « Monnaies virtuelles », p.5
77 Ibid
§1. 22
Une mise en lumière du flou
juridique
L'AEMF s'est interrogée sur l'application potentielle
de la technologie de registre distribués aux marchés
financiers78. Après avoir démontré les
potentialités de son utilisation, l'autorité a envisagé la
possibilité de son utilisation d'un point de vue
réglementaire.
L'AEMF prévient dans un premier temps les utilisateurs
que la législation actuelle peut s'appliquer à la technologie des
registres distribués. Elle analyse les principales législations
en vigueur. A savoir, le règlement du 4 juillet 2012 sur les produits
dérivés de gré à gré, les contreparties
centrales et les référentiels centraux79, la directive
du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du
règlement dans les systèmes de paiement et de règlement
des opérations sur titres80, le règlement du 23
juillet 2014, concernant l'amélioration du règlement de titres
dans l'Union européenne et les dépositaires centraux de
titres81, ainsi que la directive du 21 avril 2004 concernant les
marchés d'instruments financiers82.
Concernant les activités de compensation, elles sont
régulées par le règlement du 4 juillet 2012 et la
directive du 21 avril 2004, modifiée depuis83 sans changer
les règles étudiées ci-dessous. L'article 29 1) de la
directive de 2004 pose une obligation de compensation concernant les
marchés réglementés pour les produits
dérivés négociés en bourse. Ces entités sont
soumises à des autorisations et ont des obligations. Ainsi une
contrepartie centrale est nécessaire mais différentes solutions
sont envisageables pour remplir cette condition.
Ensuite, concernant les activités de règlement,
elles sont régulées par le règlement du 23 juillet 2014 et
la directive du 19 mai 1998. L'AEMF rappelle les exigences du règlement,
notamment que « tout émetteur établi dans l'Union qui
émet ou a émis des valeurs mobilières admises à la
négociation ou négociées sur des plates-formes de
négociation veille à ce que ces valeurs mobilières soient
inscrites en compte en tant qu'immobilisation ou après l'émission
directe sous forme dématérialisée84. » Et
pose ensuite deux hypothèses.
Soit le réseau DLT n'est pas désigné
comme système de règlement-livraison : la directive de 1998 n'est
alors pas applicable et dès lors le réseau DLT ne peut pas etre
qualifié dépositaire central de titres.
Soit, au contraire, le réseau DLT est
désigné comme système de règlement-livraison, la
directive de 1998 est alors applicable et le réseau a besoin d'un
dépositaire central soumis aux exigences du règlement de 2014.
L'article 18.2 dudit règlement précise que « les
systèmes de règlement de titres ne peuvent etre exploités
que par des DCT agréés ». Les exigences et conditions
relatives à un dépositaire central devront dès lors etre
remplies. Cette hypothèse est partagée par le rapport de la Place
de Paris, « dans la mesure où le CSDR est d'application directe,
l'utilisation de DLT pour les activités de post-marché et de
tenue de compte sur titres cotés requiert donc pour l'opérateur
de la DLT, dans l'état actuel de la réglementation, l'obtention
d'une licence de Central Securities Depository85.»
§2. Une législation adaptée
nécessaire
Comme nous venons de le voir l'utilisation de cette
technologie est soumise à la législation actuelle, or selon
l'AEMF, « la capacité de la DLT à s'ajuster à la
législation actuelle peut limiter
78 ESMA, « The Distributed Ledger Technology applied to
securities markets »
79 Règl. (UE) 648/2012 du 4 juil 2012
80 Dir. 98/26/CE du 19 mai 1998
81 Règl. (UE) 909/2014 du 23 juil 2014, modifiant les dir.
98/26/CE et 2014/65/UE ainsi que le règl. (UE) 236/2012
82 Dir. 2004/39/CE du 21 av 2004
83 Dir. 2014/65 /UE du 15 mai 2014 modifiant la dir. 2002/92/CE
et la dir. 2011/61/UE.
84 Art. 3(2) Règl. du 23 juillet 2014, 909/2014
85 PARIS EUROPLACE, p°35
23
son déploiement86.» La
législation n'est en effet pas adaptée à la technologie
blockchain, elle est ajustée à un système
centralisé. À travers cette analyse, on comprend également
que l'application des directives et règlements en matière de
règlement-livraison est floue, c'est pourquoi une intervention semble
bienvenue, ne serait-ce que pour éclaircir l'application ou non de la
législation actuelle à la technologie de la chaîne de
blocs.
Mais la régulation apparaît nécessaire
également pour des questions de sécurité. En effet, selon
l'AEMF en l'absence de contrôle adéquat, la technologie de
registre distribuée est notamment exposée au risque de
blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes.
L'usage de clefs publiques et privées rendent plus simple la
dissimulation d'identité et l'historique des transactions. Le
problème est que les entités responsables de la mise en oeuvre
des procédures de précaution sont listées, nous y
reviendrons plus tard. La technologie blockchain peut également
contribuer à augmenter l'interconnexion entre les acteurs du
marché, ce qui pourrait augmenter la diffusion d'une crise
financière en augmentant les risques de propagation dû à la
forte interconnexion des marchés. De plus, le fait d'avoir un unique
système de référence, plus automatisé et plus
harmonisé contribue à unifier les comportements et donc augmenter
la volatilité des marchés en temps de tension. Des règles
propres à ce type de risque devraient donc être mises en oeuvre
selon l'AEMF. Il faudrait également mettre en place des contrôles
pour que certains participants du réseau n'utilisent pas de
manière indue les informations enregistrées dans le réseau
(par exemple, les transactions récentes faites par des
concurrents87).
Il existe des zones d'insécurité dans le
déploiement de cette technologie à droit constant. Une
intervention semble donc nécessaire, notamment, comme l'indique l'AFG,
pour reconnaître les effets juridiques, en termes de transfert de
propriété et d'inscription d'une transaction dans une
chaîne de blocs. Une intervention semble également
nécessaire en termes de partage de responsabilité et enfin des
processus de back up et de remédiation seraient à prévoir
en cas de défaillance systémique, de fonctionnement contraire
à l'intention des parties ou de cybercriminalité88.
La France a déjà montré son interêt
à figurer parmi les pays leaders de la technologie blockchain,
et cela passe par une régulation. Le ministre de l'économie et
des finances, Bruno Lemaire, a en effet expliqué dans une tribune
vouloir « clarifier le droit pour attirer l'innovation, identifier les
risques sans entraver notre écosystème ».89 C'est
également l'avis de Guy Canivet « un cadre juridique pourrait
d'ailleurs être un important facteur d'attractivité, dans un
contexte où la maîtrise des règles du jeu, un niveau
européen et international, est intimement liée à la
capacité à accueillir des projets concrets de DLT90.
»
Concernant les ICOs le ministre a précisé dans
cette même tribune que « la France a tout intérêt
à devenir le premier grand centre financier à proposer un cadre
législatif ad hoc qui permettra aux entreprises initiant une ICO de
démontrer leur sérieux aux investisseurs potentiels ». C'est
dans cette visée que le projet de loi PACTE fut rédigée,
la réglementation qui devrait être mise en oeuvre concernant les
ICOs, que nous analyserons par la suite « permettrait de
développer
86 ESMA « The Distributed Ledger Technology applied to
securities markets, European Securities and Markets Authority », p.42
87 Ibid, p.17
88 AFG, « Réponse de l'AFG à la consultation
publique sur le projet de réformes législative et
réglementaire relatif à la Blockchain », 19 mai 2017, p.3
89 B. LE MAIRE, « Tribune : Cryptoactifs, blockchain &
ICO : comment la France veut rester à la pointe», 19 mars 2018
90 G.Canivet, premier président honoraire de la Cour de
cassation, ancien membre du Conseil constitutionnel, président du Haut
Comité juridique de la place financière de Paris «
Blockchain et régulation », La Semaine Juridique Entreprise et
Affaires n° 367, sept 2017
24
en France les projets les plus sérieux91
» selon l'AMF. Une mission d'information a également
été constituée à l'assemblée
nationale92 démontrant encore une fois l'interêt que
représente la question blockchain.
Comme nous l'avons vu une intervention est nécessaire
sur le marché primaire, afin de conférer aux ICOs un cadre
juridique plus adapté et résoudre les problèmes
posés par la qualification des jetons en biens divers, mais l'est tout
autant concernant le marché secondaire. Sans aucune intervention
législative, ne serait-ce que pour reconnaître l'utilisation de la
technologie de la chaîne de blocs, cette technologie risque d'être
étouffée par la législation ou par
l'insécurité juridique. En effet, les différentes normes
et agréments ont été mis en place pour réguler un
système centralisé, l'introduction de la technologie de registre
décentralisée pose donc de nombreux problèmes. Dès
lors dans quelle mesure intervenir ? Que réguler exactement et comment
?
91 Robert OPHELE, intervention devant la Mission d'information
sur les « Monnaies virtuelles », p. 9
92 ASSEMBLÉE NATIONALE, Mission d'information commune sur
les usages des bloc-chaînes (blockchains) et autres technologies de
certification de registres
25
|