Section II. La qualification juridique des jetons
à l'étranger
Le phénomène étant mondial il est
intéressant de comprendre comment les autres états
réagissent, afin de comprendre les différents axes de
régulation possible.
Nous scinderons en deux l'agrégation des
différents comportements législatif relevés. Dans un
premier temps les états qui font preuve d'une certaine passivité
législative ( 1) puis, ceux qui à l'inverse agissent, que ce soit
en faveur, ou en défaveur des ICOs (§2).
§1. Une application de la législation de
l'offre au public de titres financiers aux ICOs remplissant les conditions,
laissant un flou juridique
Aux Etats-Unis, «The Howey Test» issu
d'une décision de la Cour suprême51 est utilisé
pour déterminer si une ICO constitue une offre de titres financiers ou
non. Cependant si ce test pose les fondations de la classification
utilisée par la Security Exchange Commission
(SEC)52, celle-ci se réserve le droit de rendre son
jugement au cas par cas53. Cette analyse, puisqu'elle est
effectuée une fois l'ICO émise, créée une
insécurité juridique pour les investisseurs qui peuvent voir
leurs ICOs annulées ou etre sanctionnés en cas de non-respect de
la réglementation qui s'applique.
En Suisse, la FINMA, constatant une hausse des ICOs sur son
territoire a publié une communication dans laquelle elle indique que les
ICOs peuvent entrer dans le champ d'application du droit prudentiel existant.
Les jetons émis peuvent etre considérés comme des valeurs
mobilières et une autorisation en tant que négociant en valeur
mobilière peut etre nécessaire pour l'émetteur. Les
émetteurs doivent donc s'assurer de respecter les obligations
découlant des lois s'appliquant à leurs cas54. Face
à l'incertitude des émetteurs sur la législation
applicable à leurs situations, de nombreuses questions furent
posées à la FINMA. Celle-ci a donc publié les principes
généraux qu'elle suit pour appliquer au cas par cas la
législation en vigueur selon la fonction économique des
jetons55. Cependant, si des précisions ont été
apportées, la FINMA relève que les ICOs,
soulèvent différentes questions juridiques pour
lesquelles il n'existe pas actuellement de jurisprudence applicable ni de
doctrine juridique uniforme. Aucune évaluation abstraite d'ordre
général et définitive concernant le droit des
marchés financiers applicable n'est possible, notamment en raison des
formes très différentes que peuvent prendre les jetons et les
ICO56.
En conclusion, en Suisse comme aux Etats-Unis, l'application
du droit en vigueur aux ICOs est source d'incertitudes.
§2. De l'interdiction à
l'invitation
En Chine, en Corée du Sud et en Egypte, les
autorités ont purement et simplement interdit les ICOs.
La Russie prépare une loi visant à
réguler les ICOs, le projet est en discussion mais parmi les
recommandations figureraient les dispositions qui suivent.
L'accréditation des organisateurs d'une ICO serait accordée pour
une période de 5 ans, elle serait volontaire et contrôlée
par le MimComSyvaz (ministère des télécoms et des
communications de masse). Parmi les dispositions obligatoires, qui devront etre
appliquées par les entreprises agrées, figurent l'obligation,
51 U.S. SUPREME COURT, « SEC v. Howey Co. », 328 U.S.
293 (1946), No. 843, 27 mai 1946
52 Organisme fédéral américain de
réglementation et de contrôle des marchés financiers
53 « ICO Law and Compliance: Is Your ICO Subject To
Regulation? » Draglet Blog
54 FINMA, « Communication FINMA sur la surveillance
04/2017», 29 sept 2017, p.3
55 FINMA, « Guide pratique pour les questions concernant les
ICO », 16 fév 2018, p.1
56 Ibid, p.2
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d'enregistrement de l'ICO et pour les émetteurs et
d'avoir un capital social d'au moins 100 millions de roubles (1 385 150 euros).
Les organisateurs devront être titulaires d'une licence pour
développer, produire et distribuer des produits cryptographiques, avoir
un compte bancaire russe pour la transmission de l'argent collecté
auprès de l'ICO et l'émission des jetons numériques devra
être appuyée uniquement en roubles. Les organisateurs d'ICO
devront également être en mesure de racheter les parts des
investisseurs au prix de vente avec les fonds levés lors de l'ICO.
Certains experts considèrent que cette régulation pourrait
inciter les investisseurs potentiels à effectuer leurs ICOs dans un
autre pays car en plus d'être contraignante pour les émetteurs,
elle n'aborde pas, selon ces recommandations, les points les plus utiles pour
sécuriser et protéger les investisseurs au regard des
caractéristiques et dangers propres aux ICOs57.
Malte adopte une approche bien différente, le 13 avril
dernier, l'autorité de services financiers maltaise a publié un
document de consultation sur l'introduction du «Test de l'instrument
financier » (Financial Instrument Test) qui permettrait de
déterminer si les tokens d'une ICO sont soumis au régime des
valeurs mobilières et donc à la législation relative aux
offres au public de titres financiers, notamment la directive MiFID II. S'ils
ne sont pas qualifiés comme tels, ils entrent dans une catégorie
régulée par la loi sur les actifs financiers virtuels
(Virtual Financial Assets Act) dont le contenu précis n'a pas
encore été dévoilé. Malte propose donc un
régime hybride entre droit national et communautaire qui permet de
réguler toutes les ICOs, en prenant en compte les différents
types de tokens et en définissant un cadre juridique clair et novateur
pour les crypto-actifs. Malte souhaite ainsi attirer les émetteurs sur
son territoire afin de devenir « l'ile de la
blockchain58».
Les approches sont donc plurales et différentes
démontrant la difficulté pour le législateur à
réguler ce nouveau phénomène.
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