B - Une oeuvre désuète par ses notions
et sa forme
68. Désuet, le Code civil ne l'est pas seulement en
raison de sa complexité. En effet, sa substance intrinsèque,
ainsi que sa forme, font de cette « oeuvre » une oeuvre
démodée. Evidemment, le Code n'est pas parfait, Portalis
soulignait déjà, lors de son célèbre Discours
préliminaire qu'il était impossible de tout prévoir.
Soit, mais ce qui a été prévu en 1804 n'est plus le reflet
de notre société aujourd'hui. On ne peut pas tout prévoir
mais l'on peut réformer. Sans réforme, la substance même du
Code civil est caduque, et cette affirmation peut être sans conteste
étendue de la façon suivante : le contenu mais plus
également le contenant persistent dans l'obsolescence.
69. Cette désuétude n'est que la prolongation
des défauts précédemment évoqués :
instabilité, oeuvre de compromis, complexité,
insécurité, immobilisme. En effet si l'on envisage l'exemple de
l'immobilisme du Code civil, celui-ci a pour conséquence directe et
néfaste le maintien d'un Code aux notions désuètes. A
l'origine, le Code n'était pas parfait, cependant les dispositions
imparfaites d'hier sont les mêmes aujourd'hui98 : l'obligation
de donner de l'article 1103, la formule amputée de l'article 2276,
l'imprécision concernant l'article 1165 posant l'effet relatif du
contrat, ou encore l'article 1142 du Code civil qui exprime un droit de
Common Law et non un droit français. La liste est non exhaustive et
il s'agit là du coeur du problème : le Code civil est
rongé par ses défauts.
70. Le Code est également obsolète au regard
des notions, des textes qu'il contient, non pas en raison de leur
imprécision, incertitude, mais au regard de leur lettre même. Le
maintien de ces textes dans le Code fait d'eux des textes applicables,
vivants99. Or, ils sont morts depuis longtemps déjà.
L'article 1333 dispose que « Les tailles corrélatives à
leurs échantillons font foi entre les personnes qui sont dans l'usage de
constater ainsi les
98 Pour plus de détails voir D. Tallon,
« Grandeur et décadence du Code civil français», in
Mélanges M. Fontaine, Larcier, 2003, p. 279 et s., spéc. p.
286.
99 Ph. Rémy, « La recodification civile
», art. préc.
Réformer le Code civil 31
fournitures qu'elles font ou reçoivent en
détail ». Que signifient ces tailles ? Il s'agit là
d'un texte, à l'instar de nombreux autres, qui s'applique à des
biens disparus soit totalement, soit partiellement, de notre
société. L'on peut citer également l'article 519 relatif
aux moulins à eau ou à vent, ou bien la liste des immeubles par
destination posée par l'article 524. Celui-ci envisage les ustensiles
aratoires, les ruches à miels, les pressoirs, etc. Enfin, la position du
meuble au sein du Code civil est largement dépassée,
répondant encore à l'image d'une société
préindustrielle. Cette suprématie de l'immeuble sur le meuble est
aujourd'hui contredite par la réalité économique. Pire
encore : la suma divisio instituée par l'article 516 du Code
civil est emprunte d'une désuétude : tous les biens ne sont pas
réductibles à ces deux catégories. Ainsi, ces exemples
font de la réforme du droit des biens100 et plus globalement
du Code civil une nécessité tant les textes sont artificiels.
71. Le contenu du Code civil ne donne plus
une image parfaite de l'état actuel du droit civil et
l'homogénéité est freinée, pire, rendue impossible
par la coexistence de textes désuets et de nouveaux textes chaque jour
plus nombreux qui rendent la réforme du Code civil quotidienne mais
qualitativement insatisfaisante. En 2015, l'on peut affirmer que les lacunes
sont nombreuses mais comblées par des législations nationales et
européennes florissantes. Le contenu des dispositions est repris article
après article de façon à ce que la réforme du Code
civil soit quotidienne : en réalité, la réforme du Code
civil est entreprise, cependant ce n'est pas par ce biais qu'elle sera
effective et novatrice.
72. La désuétude touche aussi les textes
anciens, cela n'est qu'une conséquence logique. Cependant elle touche
également les textes rénovés tels que ceux du droit de la
famille. Une réforme globale est ainsi nécessaire et il
n'apparait pas superflu de le répéter. Le contenu, la substance,
le fond du Code civil est périmé. Qu'en est-il de la forme ?
73. Le corps du texte est également désuet si
on l'apprécie quantitativement « en deux siècles, le corps
du Code a été tailladé, recousu, étendu,
retranché et démultiplié101 ». Bien que sa
dénomination « le Code civil des Français » soit
restée intacte102, sa grandeur, son symbole au regard de sa
forme sont autant d'indices qui conduisent à parler de «
décadence » du Code103. La vision optimiste serait
d'affirmer que le Code en tant que contenant a résisté à
l'épreuve du temps. Cela étant, cette affirmation constitue le
reflet de la problématique : une
100 R. Libchaber, « La recodification du droit des biens
», in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 297 et s.
101 Ph. Rémy, « Regards sur le Code », in
Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 103.
102 En France il n'est pas intitulé « Code
Napoléon », cette appellation est utilisée à
l'étranger.
103 Terme de D. Tallon, « Grandeur et décadence du
Code civil français », art. préc., p. 279 et s.
Réformer le Code civil 32
forme inchangée est nécessairement
obsolète. L'impossible homogénéité envisagée
ci-dessus impacte alors l'unité de forme et de présentation du
Code civil.
74. La numérotation, le style, le plan, le
vocabulaire, autant d'éléments sur lesquels le temps a une
emprise néfaste. Un exemple criant est celui des réformes
successives qui conduisent à former des « trous » dans le
tissu des textes104. Cela renvoie par ricochet au problème de
la numérotation. L'article 5 de la loi du 30 ventôse an X relative
aux travaux préparatoires du Code civil disposait qu' « il n'y aura
pour tous les articles du Code civil qu'une seule série de
numéros ». La numérotation primitive du Code civil a ainsi
été conservée, mais surtout on a souhaité garder
les « grands articles » à leur place. En effet, l'on ne peut
s'attaquer aux numéros symboliques : les articles 544, 1134 ou bien 1382
sont intouchables. Ainsi, Philippe Rémy se demande : « qu'importent
les doubles, les triples et les vides, si l'on conserve à leur place ces
sentinelles du droit civil français ? »105. Ce
phénomène d'articles « maximes » a conduit à des
tours de force, à ajouter, là où la place était
libre, des textes supplémentaires. Des vides, des excroissances sont le
résultat d'une telle volonté conservatrice. Le Code civil est de
ce fait dépouillé dans sa forme même, et le plan n'y
échappe pas.
75. Le plan du Code demeure son point faible depuis son
origine. Pour certains, ce plan est certes défectueux, mais il
présente un mérite : la flexibilité. Celle-ci permet alors
l'adjonction ou l'insertion de nouveaux titres, sans qu'en souffre la
numérotation106. La flexibilité se fait au
détriment de la simplicité mais surtout de la modernité.
Un exemple affligeant : le titre 1er du livre I ne comporte pas de
chapitre premier. Cette absence de rigueur est inadmissible au sein de notre
« Constitution civile ». Pire encore, le titre sur la
responsabilité en fait des produits défectueux est le titre IV
bis, ainsi est-il accolé en fin de titre IV relatif aux engagements qui
se forment sans convention. Or, n'y a-t-il pas en général une
convention qui se forme ? En résumé, un plan difforme, une
structure vieillissante, font du Code civil un recueil complexe dans lequel un
profane ne pourrait s'y retrouver. « Qui penserait à chercher les
règles des quasi-contrats dans un livre consacré aux
différentes manières dont on acquiert la propriété
? » se demande D. Tallon107.
104 Pour une vision détaillée voir Ph. Rémy,
« Regards sur le Code », art. préc., p. 104 et s.
105 Ph. Rémy, « Regards sur le Code », art.
préc., p. 105.
106 C. Witz, « L'influence des codifications nouvelles
sur le Code civil de demain », in Livre du Bicentenaire, ouvr.
préc., p. 705.
107 D. Tallon, « Grandeur et décadence du Code civil
français », art. préc., p. 279 et s.
108 F. Ewald, « Rapport philosophique : une politique du
droit », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 77 et
s., spéc. p. 79.
Réformer le Code civil 33
76. Le corps du Code est toujours là, mais
l'étude de ces défauts amène à penser qu'il ne
s'agit plus d'un Code. Cette affirmation revêt une véritable
importance lorsqu'il s'agit d'envisager le Code comme tributaire de la
jurisprudence.
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