Section 2 - Le vieillissement
59. Le Code souffre d'un mal terrible, un des pires qui
puisse toucher une oeuvre codificatrice : il a vieilli. Certes, un Code qui
survit aux épreuves du temps peut être gage de réussite, de
sécurité, de stabilité. Notre Code civil en ce qu'il est
instable et complexe cumule les défauts. Ce vieillissement est la
conséquence des défauts précédemment
étudiés, un code vieilli est un code qui n'est plus conforme
à la réalité juridique. Ainsi, une désuétude
est inévitablement perceptible (1),
désuétude qui a conduit le juge à outrepasser ses devoirs
et pouvoirs afin de remédier au vieillissement. Notre Code civil est
désormais remplit de créations prétoriennes, et l'on doit
s'interroger sur l'intégration de ces créations au sein d'un Code
: est-ce un remède au vieillissement ou un danger supplémentaire
(2) ?
§1 - La constatation d'une
désuétude
60. Cette désuétude, une fois constatée,
appelle à deux énonciations : d'une part, notre Code civil est
désuet car il s'agit d'une oeuvre de compromis entre capitalisme et
socialisme. En effet, l'impossibilité du législateur de trancher
entre ces deux axes politiques conduit à la désuétude de
l'oeuvre (A). D'autre part, notre Code civil souffre d'un
vieillissement au regard
89 Voir les développements sur ce point de B.
Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 97.
90 Ph. Rémy, « La recodification civile
», art. préc., in Droit, 1997, n°26, spéc. p.
10.
Réformer le Code civil 28
de son corpus : le fond et la forme souffrent tous deux d'une
désuétude capitale : les notions contenues dans le Code civil et
la forme de celui-ci ne sont plus adaptées à la
réalité (B).
A - Une oeuvre de compromis entre capitalisme et
socialisme
61. En 1804, le Code civil apparaît comme un acte de
volonté, il s'insère en effet dans le cadre d'un gouvernement
autoritaire91, c'est un instrument politique. A l'origine, il
s'agissait d'une oeuvre moderne : il tendait à systématiser les
règles de droit, réformer le système juridique, faciliter
l'accès au citoyen, autant d'innovations qui rendaient, à
l'époque, le Code civil empreint d'une modernité
incontestée. Cette modernité était également
reflétée par la consécration de grands principes tels que
la liberté et l'égalité, principes qui sont devenus le
socle de notre ordre juridique.
62. Pour certains, « l'écoulement du temps n'a
pas altéré ses qualités. Il est désormais inscrit
dans l'intemporalité »92. Tant d'optimisme paraît
irréel tant le Code a vieilli. Il ne constitue plus qu'un « lieu de
mémoire », et ne reflète plus, outre le droit positif
français, la réalité sociale. En effet, bien qu'ayant
survécu à deux siècles et plus de dix constitutions
politiques, le Code civil est inévitablement une oeuvre de compromis.
« Des coups venant de droite, autant venant de gauche, c'est ainsi que,
bien souvent, on caractérise le juste milieu »93, cette
affirmation du doyen Carbonnier illustre parfaitement le compromis entre
socialisme et capitalisme.
63. Le Code civil n'est pas parfait, la perfection est
utopique. Le compromis est ainsi le contraire de la perfection, avec la
nocivité que cela implique : la Révolution et ses maximes rodent
sur le Code civil. L'article 544 qui dispose que « La
propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la
manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage
prohibé par les lois ou par les règlements » en est la
représentation ultime. Il en va de même pour l'article 1134 qui
consacre la liberté individuelle. A l'inverse, l'on peut illustrer le
compromis aux moyens d'un contre-exemple : l'ordre public à l'instar des
maximes révolutionnaires, rode sur le Code : « On ne peut
déroger par des conventions particulières aux lois qui
intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs »94.
Ainsi, ordre public et liberté individuelle constituent deux
idéologies antagonistes, ces deux notions constituant pourtant le
91 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 21.
92 D'après le message du Garde des Sceaux,
ministre de la Justice, Monsieur Dominique Perben lors de la
célébration du bicentenaire du Code civil. Message retranscrit
in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 13 et s.
93 J. Carbonnier, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 26.
94 Art. 6 C.civ.
Réformer le Code civil 29
socle du droit civil français. Le Code civil est alors
largement dominé par l'esprit de compromis.
64. Un Code civil qui revêt avant tout une dimension
politique ne peut être impartial. L'impartialité du droit
était la ratio legis du compromis choisi en 1804. Il s'agit
pourtant d'une utopie : le Code civil n'est pas le Code de tous les
français, l'on peut ainsi parler du « mythe du caractère
populaire du droit95 » et plus spécifiquement du
caractère populaire du Code civil. L'on a pu parler de « code
taillé pour les notables »96 et cette affirmation est
fondée : la toute-puissance des propriétaires y règne, la
lettre de l'article 544 constitue l'affirmation du capitalisme.
65. Selon un regard contemporain, cette oeuvre de compromis
est désuète aujourd'hui : notre société a connu de
nombreux bouleversements, des changements sociaux et politiques. Cet ensemble
ne peut pas avoir laissé intact le « monument juridique »
qu'est le Code civil. Notre société a évolué, le
Code civil a vieilli. L'impossible consensus entre capitalisme et socialisme au
moment de l'élaboration du Code civil semble ainsi hors de propos
désormais. En effet, il n'est pas prétentieux de dire que la
partie a été remportée par l'individualisme. La mutation
du droit de la famille en est un exemple frappant. L'esprit du Code civil en
est alors modifié.
66. L'importance des changements économiques a
été méconnue, laissant l'esprit du Code civil vieillir
chaque jour un peu plus. Malheureusement notre démocratie moderne
délaisse ce sujet brulant du vieillissement, de l'absence de
modernité et semble ce contenter d'un code symbole, d'un consensus qui
ne reflète plus l'état actuel de cette démocratie moderne.
Il aurait dû s'agir d'un compromis provisoire, au contraire il s'agit
désormais d'un compromis historique que l'on peine à remettre en
cause. Un optimiste trop prononcé serait malvenu ici : la
société français rencontrera toujours des
problèmes97, la question sociale sera toujours à
l'ordre du jour, on évoquera ainsi à défaut d'une lutte
des classes, une exclusion sociale. Certes, mais une réforme du droit
civil est nécessaire, même si celle-ci engendrera
inévitablement un conflit idéologique qu'il conviendra de
transcender. Cette transcendance aura pour source la mondialisation mais
également l'Européanisation (voir infra §92 et suivants).
95 P. Malaurie, « L'utopie et le Bicentenaire du
Code civil », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p.
4.
96 J.-L. Halpérin, Le Code civil,
ouvr. préc., p. 111 et s.
97 J. Carbonnier, « Le Code civil des
français dans la mémoire collective », in 1804-2004, Le
Code civil un passé, un présent, un avenir, ouvr.
préc., p. 1052.
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67. L'acceptation d'un tel défaut que constitue le
vieillissement revêt une gravité certaine. Pour autant, un second
défaut majeur induit chaque jour un peu plus le vieillissement de notre
soi-disant « Constitution civile ». En effet, le contenu et le
contenant du Code civil ont vieilli avec lui. L'oeuvre de compromis est ainsi
désuète, d'une part au regard des principes qu'elle
véhicule, d'autre part au regard de sa forme.
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