B - Un immobilisme source de complexité
52. La famille, en tant que grand pilier de la
société civile a connu un excès de réforme. A
l'inverse, les piliers qui l'accompagnent, à savoir la
propriété et le contrat souffrent d'une absence de
réforme.
53. L'inertie du Code civil est caractérisée
lorsque l'on découpe ses matières, mais également
lorsqu'il s'agit de l'envisager dans sa globalité : en 2015, environ la
moitié du Code civil n'a jamais été modifié, il est
donc resté inchangé. Cette situation pourrait ainsi être
envisagée, par les plus optimistes, comme un gage de
pérennité, de qualité du Code. Il n'en est rien :
excepté le droit patrimonial de la famille, le Code civil a «
sombré dans une douce torpeur »86.
54. Après l'analyse de l'inflation législative,
l'argument premier consisterait à énoncer que l'immobilisme est
gage de qualité, puisque par définition il s'opposerait au
phénomène qui ruine la cohérence du Code civil. Pour
autant, la nature inerte, quasi morte de certaines parties du Code participe
à cette incohérence : au sein d'un même Code n'est pas
acceptable de telles disparités, notamment au regard des
conséquences que cela engendre : instabilité,
inaccessibilité, illisibilité, complexité surtout.
55. La difficulté, à l'instar de l'inflation
législative, n'est pas nouvelle. En effet, lors de la
célébration du centenaire du Code civil, la question se posait
déjà. Plus d'un siècle plus
84 L'on peut citer pour exemples les lois de 1965
et 1985 qui ont modernisé le droit des régimes matrimoniaux,
phénomène déjà socialement enclenché.
85 Ph. Rémy, « Regard sur le code »,
in Livre du Bicentenaire, spéc. p. 117.
86 Y. Lequette, « D'une célébration
à l'autre » in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc.,
p. 15.
Réformer le Code civil 26
tard, le législateur semble avoir abandonné
l'idée d'un véritable livre de référence au profit
d'une codification parcellaire, des réformes émiettées.
L'affrontement entre capitalisme et socialisme au sein même du Code civil
(voir infra §61 et s.), en est la cause : des réformes civiles
concernant le droit des obligations ou encore le droit des biens
nécessitent un consensus. En 1904 une révision du droit de la
propriété et des contrats ne semblait pas envisageable pour le
législateur, en raison de cette absence de consensus
politique87.
Grâce à la souplesse du droit des contrats, les
citoyens peuvent répondre avec le maximum d'efficacité à
l'infinie variété des situations et des besoins mais là
n'est pas le rôle d'un Code d'être aussi souple. La souplesse
n'incite pas le législateur à agir, de ce fait l'immobilisme du
Code civil s'ancre dans les moeurs. Le domaine contractuel est ainsi largement
touché par une politisation forte et l'idée selon laquelle le
citoyen doit s'adapter doit être remise en cause : « comme il est
des propriétés d'une telle nature que l'intérêt
particulier peut se trouver facilement et fréquemment en opposition avec
l'intérêt général dans la manière d'user de
ces propriétés, on fait des lois et des règlements pour en
diriger l'usage »88. Autrement dit, transposée au
contrat, cette affirmation reflète la cohabitation entre la
liberté contractuelle et les exigences (consentement exempt de tout
vice, objet, cause) qui permettent de donner au législateur les moyens
de contrôler l'intérêt général. Le
législateur français est alors frileux lorsqu'il s'agit
d'effectuer un choix politique. C'est pour cette raison fondamentale que le
droit des contrats est inerte dans notre Code civil.
56. Pour autant, l'exagération n'est pas
justifiée au regard du projet de réforme du droit des contrats,
votée par la loi du 16 février 2015 dont l'article 8 habilite le
gouvernement à réformer par ordonnance. En effet, le
législateur a pris parti en faveur d'une place grandissante
accordée au jeu de volontés unilatérales. Il faut saluer
la réforme, sans même analyser son contenu, car son besoin est
inéluctable. Le législateur, en sortant de sa réserve, se
place sur une route semée d'embûches, pour deux raisons : le droit
des contrats est le droit le plus figé au sein du Code civil, de ce fait
un consensus sera difficile à trouver.
57. Les textes du Code civil qui régissent le droit
des obligations sont, pour l'essentiel, ceux issus de la codification de 1804.
Depuis 211 ans maintenant, le Code est demeuré immobile. Le Code civil,
et plus spécifiquement le droit des contrats est ainsi, certes
resté
87 J. Carbonnier, « La codification dans les
états de droit : le cas français », Année
canonique, 1996, p. 95.
88 J.-F. Niort, « Droit, économie et
libéralisme dans l'esprit du Code civil », Archives de
philosophie du droit, 1992, p. 101, spéc. p. 107.
Réformer le Code civil 27
figé, mais il ne s'est pas
fossilisé89. Le changement s'est fait ailleurs90,
en raison de la doctrine et de la jurisprudence. Ce rôle normatif de la
jurisprudence fera l'objet d'une étude approfondie (voir infra §78
et suivants). Un droit des contrats sous la coupe de deux sources de droit
inférieures à la loi, à savoir la doctrine et la
jurisprudence doit faire l'objet d'une virulente critique. Certes la lettre du
Code civil n'a, pour ainsi dire, pas changé depuis 1804, d'où
l'inertie, mais ce code, symbole en théorie du droit commun, ne rend
plus compte de l'état du droit positif. La stabilité qui
trouverait sa nature dans l'immobilisme est un leurre et n'inspire pas le
respect.
58. Le Code civil a sûrement, grâce aux renforts
précités, évité un vieillissement précoce,
mais ce vieillissement était inévitable. Le temps est ainsi venu
de repenser notre Code civil, à défaut ce décalage entre
« droit écrit » et « droit vécu» engendrera
la perte définitive du rayonnement du droit français au travers
du Code civil. Ce dernier n'est pas lisible car trop complexe. Il faut alors le
rajeunir car celui souffre d'un vieillissement considérable.
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