§2 - L'absence de sécurité juridique
conférée par le Code
44. Le Code civil peut être regardé aujourd'hui
comme une compilation et non comme un Code, compilation qui ne contient plus
aujourd'hui l'ensemble du droit civil, cette affirmation est le résultat
de nos développements précédents : le Code civil est un
recueil et le droit civil se fait en dehors de celui-ci. Cependant, le constat
d'échec se fait également lorsqu'il s'agit d'envisager le droit
civil dans le Code. En effet, ce droit est aujourd'hui si complexe qu'il ne
confère plus une sécurité juridique. Cette
complexité est le fruit de deux mouvements paradoxaux : des domaines du
Code civil ont connu de tels changements législatifs qu'une
instabilité est née (A). A côté de
celle-ci, des pans entiers du Code sont restés quasiment
inchangés : un véritable immobilisme est alors à constater
(B).
A Ð Une inflation législative source
d'instabilité
45. De l'esprit de tous, une loi idéale est une loi de
qualité, qui reflète la réalité. Si les lois
deviennent de plus en plus nombreuses, définition même d'une
inflation législative, elles sont méconnues et la
sécurité juridique n'est pas effective. L'adage « nul n'est
censé ignorer la loi » est alors aujourd'hui dépassé,
et le problème semble insoluble. En effet, un cercle vicieux
apparaît : lorsque la loi est mal faite, lorsqu'elle est faite de
façon quantitativement abusive, un problème de stabilité
se forme, la loi est inaccessible, incompréhensible, des
Réformer le Code civil 23
contestations apparaissent, on la modifie, et cela
indéfiniment. L'instabilité a alors pour pendant la
complexité, le Code civil souffre donc aujourd'hui d'une grande
précarité.
46. Selon Montesquieu « Il ne faut point de lois
inutiles, elles affaibliraient les lois nécessaires » : le
résumé de la position du Code civil est parfait, l'inflation
législative a alors eu pour conséquence dommageable
l'inefficacité législative. Parmi les trois piliers de la
société civile française que sont la famille, la
propriété et le contrat, la première matière a
été fondamentalement ébranlée68 en
raison de l'excès de réforme, autrement dit en raison d'une
inflation législative sans précédent. Bien sûr, les
idées de Portalis sur la famille semblent
dépassées69, mais cette désuétude ne
méritait pas que le Code civil ne cesse de demeurer un « objet
juridique et historique cohérent »70. La matière
familiale du Code civil a connu des transformations saccadées, une
avalanche de réformes, ce qui a pu faire dire à certains qu'il
s'agissait d'une « politique de Gribouille »71.
47. Cette inflation législative qui a touché le
Code civil s'explique par la volonté d'égalité entre
l'homme et la femme. Jusqu'en 193872, la femme devait
obéissance à son mari73. Cependant, ce remaniement du
Code civil avait commencé dès la fin du XIXème
siècle, pour exemple l'on peut énoncer qu'entre 1880 et 1914 ce
sont plus de 250 articles qui ont été
modifiés74. La cinquième république constitue
le point d'orgue de l'idéal d'égalité au sein de la
famille75 : égalité du mari et la femme par les lois
de 1965 et 1985 sur les régimes matrimoniaux, égalité de
l'enfant légitime et de l'enfant naturel par les lois de 1964 relatives
à la tutelle, de 1972 sur la filiation et de 2001 sur les successions,
égalité du père et de la mère par les lois de 1970,
de 1987 et de 2002 (sur le nom et sur l'autorité parentale). Un tel
catalogue était nécessaire afin d'appréhender le
problème : un nouveau droit de la famille a vu
68 Ph. Rémy, « La recodification civile
», art. préc., p. 3.
69 Dans son discours préliminaire, Portalis
prônait par exemple l'idée d'une autorité, du père
sur ses enfants, du mari sur sa femme.
70 J.-L. Halpérin, « Le regard de
l'historien », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p.
57.
71 Terme utilisé par Marco Sabbioneti,
« Di alcune modificazioni del modello napoleonico di diritto »,
Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno, 30, 2001/II,
pp. 857-867. Cité par J.-L. Halpérin, « Le regard de
l'historien », ibidem.
72 Loi du 18 février 1938 supprimant
l'incapacité de la femme mariée
73 Article 213 du Code civil supprimé par la
loi du 18 février 1938.
74 A propos du rétablissement du divorce, la
réforme des droits successoraux des enfants adultérins et
incestueux, des droits du mariage, etc. Voir sur ce point J.-L.
Halpérin, « Le regard de l'historien », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 56-57.
75 Pour plus de détails voir Y. Lequette,
« D'une célébration à l'autre à l'autre
(1904-2004), in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 9 et s.,
spéc. p. 20.
Réformer le Code civil 24
le jour, « les grandes lignes du modèle familial
s'imposent aux juges comme aux justiciables »76.
48. La quête d'égalité du
législateur s'est alors soldée par une instabilité,
faisant perdre au Code son « effet instituant »77. En
effet, cette avalanche de réformes est le signe même d'une perte
de crédibilité, de l'échec de l'entreprise
législative, d'un incessant « ravaudage législatif
»78. Pire encore, ce courant législatif a fait perdre
à la famille sa dimension collective au détriment d'une nature
individualiste, normalement antinomique avec la notion même de
famille79. Dans l'optique de réformer le Code civil, cette
dimension devra alors être prise en compte : proposer un modèle
institutionnel bénéfique à l'avenir de la
société.
49. Cette inflation législative revêt une
seconde facette, agrémentant l'argument selon lequel le Code civil n'est
plus source de sécurité juridique. Ces réformes
incessantes ont réduit à néant le style, la clarté
et l'élégance du Code de 1804, ruinant par la même son
accessibilité ainsi que son intelligibilité80. Si
l'empreinte du Doyen Carbonnier sur le Code civil n'a pas
dénaturé ce dernier (un style classique a été
adopté, se fondant dans l'esprit initial du Code, les qualités du
texte ont alors été conservées), il n'en est pas de
même lorsque l'on envisage l'empreinte du législateur moderne sur
le Code. L'idée selon laquelle le style d'une loi est l'objet même
de sa clarté, de son intelligibilité et de son
accessibilité81 est fondamentale ici : les lois nouvelles
sont imprécises 82 , cette imprécision participe
à l'insécurité juridique et à l'illisibilité
du droit. La loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de
solidarité (PACS) constitue l'exemple le plus frappant. D'une part, sa
place au sein même du Code civil a été de nombreuses fois
décriée83, d'autre part cette loi se lit au regard des
décisions du Conseil constitutionnel tant sa rédaction est
maladroite.
76 P. Catala, « La métamorphose du droit
de la famille », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p.
341 et s., spéc.
p. 343.
77 Ph. Rémy, « La recodification civile
», art. préc., p. 14 et s.
78 Ph. Rémy, « Regard sur le code »,
in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 108.
79 Voir sur ce point Y. Lequette, « D'une
célébration à l'autre (1904-2004) », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 21.
80 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr.
préc., p. 101
81 N. Molfessis, « Le contrôle de la
réforme par le Conseil constitutionnel », Petites affiches,
28 octobre 2004, n°216, p. 59 et s., spéc. n°8.
82 Par exemple la loi du 3 décembre 2001
relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins.
Celle-ci comporte des coquilles, des défauts, des paradoxes.
83 P. Catala, « Le pacte civil de
solidarité. Critique de la raison médiatique », in
Famille et Patrimoine, PUF, 2000, p. 249 et s., spéc. p.
250.
Réformer le Code civil 25
50. L'inégalité entre les réformes
menées par le Doyen Carbonnier et celles menées par le
législateur moderne se constate également lorsqu'il s'agit
d'envisager leur contenu. L'innovation constituait le maître-mot de la
plume de Carbonnier, innovation s'accompagnant d'une cohérence certaine
et appréciable84. Aujourd'hui, les réformes partielles
en droit de la famille sont-elles aussi opportunes ? Les lois en matière
successorale ou celles relatives à la dévolution du nom de
famille invitent à se poser la question tant elles sont complexes.
51. Au regard de cette inflation législative, le Code
civil n'a plus « de valeur ou de vigueur propre qui le mette à
l'abri des turbulences »85. Cette affirmation se
révèle d'autant plus évidente lorsqu'il s'agit
d'étudier le pendant de l'instabilité : l'immobilisme.
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