§2 - L'ambition réaliste d'une unification
progressive
259. Les obstacles politiques et juridiques à
l'élaboration d'un Code civil européen sont tels que
l'idée d'une unification du droit privé européen semble
vouer à l'échec. Malgré le pessimiste ambiant, il convient
d'envisager la véritable solution à la perte de rayonnement et au
vieillissement de notre Code civil français. Cette solution consiste en
une unification progressive de l'ensemble du droit civil européen
(A). Malgré la vigueur des arguments en faveur de cette
solution, doit être envisagée une solution médiane, plus
réaliste, à savoir l'unification du droit européen des
contrats (B).
A - L'unification progressive de l'ensemble du droit
civil européen
260. Un droit civil européen unifié est
justifié juridiquement dans la mesure où l'unification est
porteuse de nombreuses qualités substantielles. Ces arguments en faveur
d'une unification doivent être étudiés, étude qui
constitue la preuve que l'unification est la solution. En premier lieu,
l'unification est, sans conteste, source de cohérence. En effet,
à
313 R. Cabrillac, Les Codifications, ouvr. préc.,
p. 138.
314 Y. Lequette, art. préc., Pouvoirs, 2007, p.
121.
Réformer le Code civil 99
l'inverse de l'harmonisation, qui n'a pas de vision globale du
droit civil européen, l'unification serait source de modernisation.
L'unification est donc vecteur de modernité, mais surtout de
sécurité juridique : l'unification des règles de droit
permet de faire l'économie des règles de conflits de lois
autrement dit de l'application du droit international privé. Enfin et
surtout, l'unification est, comme son nom l'indique, source d'unité. Ces
arguments n'emportent pas acceptation chez de nombreux auteurs, qui remettent
chacune de ces idées en question315. Pourtant, l'unification
du droit civil européen constitue une des seules voies possibles
à l'élaboration d'un Code civil européen, autrement dit la
codification postule de l'unification et non de l'harmonisation.
261. Il est nécessaire voire obligatoire d'inventer
une dynamique propre à la codification européenne,
c'est-à-dire de créer une manière originale de codifier le
droit civil européen. Avant d'envisager ce qu'il faut faire, il convient
d'éliminer ce qu'il ne faut pas faire, à savoir une codification
nationale du droit civil européen. La raison est simple : si l'on veut
créer un ordre juridique européen, du moins en matière
civile, il ne faut pas incorporer le droit européen aux droits nationaux
puisque cela serait synonyme de nombreuses dissemblances. De plus, si cette
codification avait lieu, elle le serait sur le mode d'une codification à
droit constant, méthode de codification dont nous avons rappelé
à maintes reprises son inefficacité. En éliminant cette
codification, la voie de la réforme est ouverte : la codification
à l'échelle de l'Union européenne s'impose. Mais par quel
biais ?
262. On a pu parler d'une codification «
transfigurée » 316 c'est-à-dire d'une codification qui
serait transformée tout en étant améliorée. L'Union
européenne souffre d'un besoin codificateur, codification qui serait la
source d'un droit civil européen cohérent. Cependant, il faut
réformer et non retranscrire. Autrement dit, seule une réforme du
droit civil européen conduirait à une
rationalisation317 de celui-ci. Il faut, en effet, combler les
lacunes et les incohérences. Surtout, un droit civil européen
matérialisé dans un code serait symbole d'une
sécurité juridique et d'une accessibilité au droit. Plus
encore, un Code civil européen rapprocherait les citoyens pour qui un
code serait synonyme d'un droit civil européen
315 Voir sur ce point B. Fauvarque cosson, art. préc.
316 S. Nadeau, ouvr. préc., p. 279.
317 Sur cette idée de « rationalisation » du
droit, voir C.-A. Morand, « Elément de légistique formelle
et matérielle », in Légistique formelle et
matérielle, PUAM, 1999, p. 25 et s.
Réformer le Code civil 100
démocratique318. L'Union européenne
doit donc entreprendre une nouvelle codification, adaptée à ses
besoins. Elle dispose de nombreuses possibilités.
263. La codification est donc la solution, mais que codifier
? Cette question est celle de l'étendue de l'unification. La voie
à privilégier est celle de l'unification progressive du droit
civil européen. Le terme unification est préférée
à celui d'harmonisation car harmoniser c'est équilibrer,
concilier, coordonner, autrement dit laisser une grande marge de manoeuvre aux
Etats membres. Or, là n'est pas la perspective d'un Code civil
européen, il faut donc unifier et non harmoniser.
264. Unifier certes, mais progressivement. Il est
nécessaire d'unifier l'ensemble des matières du droit civil
européen, mais cela ne peut se faire rapidement. C'est pour cette raison
que le droit patrimonial, le droit des contrats ainsi que l'ensemble des
matières civiles doivent être englobés dans l'entreprise
d'unification. Cependant, celle-ci doit être mise en place en
priorité dans les matières qui le nécessitent, par exemple
en droit des contrats et droit des sûretés : l'unification doit
être menée en priorité « dans les domaines où
la pratique exerce déjà une puissante fonction unificatrice
(É) et où l'impact culturel n'est pas trop fort
»319.
265. Cette unification devra alors être
instrumentalisée par le biais d'un code, code qui devrait revêtir
un haut niveau de précision mais surtout une réelle force
obligatoire. D'une part, cela passe alors par de grands principes
généraux, principes qui nécessiteront une
interprétation de la part de la Cour de justice de l'Union
européenne, compétente lorsque ces principes et leur
interprétation conduira à des résultats différents
en fonction de chaque juridiction nationale. D'autre part, la force obligatoire
de ce code devra être effective, tant à l'égard des parties
que des Etats membres. Deux obstacles seront à soulever : l'ignorance et
la méfiance. L'ignorance devra être résolue par une large
diffusion du Code civil européen. La méfiance, engendrée
par la création d'un droit anational, original, dont on ne connaît
ni la portée ni l'interprétation, sera plus difficile à
combattre. La seule solution, et non des moindres, c'est le temps
d'adaptation.
318 Le code « rapproche l'homme de son droit », P.
Malaurie et P. Morvan, Introduction générale au droit,
Défrénois, 2004, n°118 et 123.
319 B. Fauvarque-Cosson, art. préc.
Réformer le Code civil 101
266. D'autres solutions ou modalités sont
envisagées par la doctrine320, mais elles ne convainquent pas
puisqu'édictées au regard d'une justification économique
et non d'une vision globale du droit civil européen. Il est
nécessaire d'envisager l'unification européenne au moyen d'un
code avec force obligatoire, code qui s'intégrerait dans l'ordre
juridique de chaque législation nationale. Ce code doit donc être
rédigé, dans ce contexte il ne peut l'être aisément.
Pour cette raison, certains préconisent la création d'un institut
européen321, institut qui serait évidemment
indépendant et composé d'une multitude de représentants,
praticiens, juges, avocats, professeurs etc. Un tel projet, qu'est celui du
Code civil européen, ne doit pas être mené dans la
précipitation.
267. L'avenir de l'Union européenne est incertain et
ne repose pas sur de solides bases. De ce constat, il convient de se
réjouir de l'oeuvre de codification déjà
entreprise322. Cette codification européenne existe
aujourd'hui, sous la forme de projets avancés, à savoir un Code
européen des contrats.
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