Section 2 - L'unification du droit civil
européen
243. L'unification du droit civil européen induit la
réunification des politiques civiles des Etats membres de l'Union
européenne. Cette unification est confrontée à de tels
obstacles qu'elle rend utopique l'idée même d'un Code civil
européen (1). Pour autant, s'avouer
Réformer le Code civil 94
vaincu est inenvisageable, c'est pour cette raison qu'une
unification progressive de l'ensemble du droit civil européen
apparaît comme la solution réaliste (2).
§1 Ð L'utopique Code civil européen
244. L'utopie de l'idée selon laquelle il conviendrait
d'élaborer rapidement un Code civil européen tient à deux
éléments. D'une part, à l'absence de base juridique mise
à disposition par l'Union européenne, il s'agit alors d'obstacles
techniques (A). D'autre part, ces obstacles techniques
s'allient à un obstacle de taille : la politique. En effet, une
entreprise de codification est par nature, colorée politiquement
(B).
A Ð Les modalités techniques d'une
unification
245. L'idée selon laquelle la codification
européenne ne se fera pas en quelques années n'est plus à
démontrer : les enjeux sont tels qu'il convient d'élaborer un
travail de qualité irréprochable, afin d'asseoir la
légitimité d'un nouveau Code. C'est le propre de toute entreprise
d'unification du droit que de constituer un réel progrès, une
avancée. Actuellement, ce projet d'unification de l'ensemble du droit
européen se heurte à plusieurs obstacles, le principal
réside dans l'absence de base juridique susceptible de fonder un Code
civil européen, Code civil européen qui reste alors une
utopie.
246. La question qu'il convient inévitablement de se
poser, lorsque l'on envisage l'unification du droit civil européen, est
celle de la compétence des Etats membres. Les traités
européens actuels sont muets sur l'existence d'une base juridique pour
l'adoption d'un Code civil européen, pire, pour certains auteurs «
il n'existe aucune nécessité d'en prévoir
une299 ». Il existe des difficultés inhérentes
à la base juridique du Code civil européen, les obstacles
intrinsèques sont alors bien réels. Pour codifier, une assise
juridique doit être déterminée300, assise
juridique qui permettrait à l'entreprise de codification de
revêtir une légitimité.
247. Pourtant, la problématique de la base juridique
est très souvent ignorée. En effet, certains constatent
l'existence d'un texte fondateur d'une codification, d'autres
considèrent le débat stérile, pour les derniers « le
moment, venu, la compétence sera aisément établie au
299 B. Fauvarque-Cossson, « Faut-il un Code civil
européen ? », art. préc.
300 Sur cette question de la base juridique en droit
communautaire, voir B. Peter, « La base juridique des actes en droit
communautaire », R.M.C.U.E. 1994, page 324.
Réformer le Code civil 95
profit de l'Europe301 ». En
réalité, l'argument est évincé car il est complexe,
c'est cette complexité qui rend utopique l'élaboration d'un Code
civil européen. En effet, il faut composer avec le système
communautaire qui est spécifique au regard de notre système
normatif national.
248. Seule une compétence d'attribution est
dévolue au législateur communautaire, en vertu des principes de
subsidiarité302, de spécialité et de
proportionnalité303. Il ne peut ainsi exercer ses fonctions
que dans le cadre des dispositions prévues par les traités, et
ces principes proscrivent une lecture extensive des textes européens
invoqués au soutien de l'unification du droit civil européen.
Pour simplifier, le champ d'action de la compétence communautaire ne
cesse de diminuer. Sur quel fondement textuel doit-on alors asseoir
l'intervention communautaire ?
249. Les textes, les fondements, suggérés pour
appuyer l'intervention des institutions européennes pour
l'élaboration d'une unification des législations sont
principalement les articles 94 et 95 du traité des communautés
européennes (TCE). Ces textes constituent pour certains les «
pivots de la réalisation du marché intérieur304
», mais une unification du droit civil européen ne doit pas trouver
son fondement dans un seul argument économique. La base juridique
proposée est alors fragile. En effet il s'agit de textes incitant
à un rapprochement des législations, définition d'une
harmonisation et non d'une unification. L'article 94 CE ne permettrait donc
qu'une harmonisation. Il convient dès lors de l'écarter au profit
de l'article 95 qui pourrait conduire à une véritable
unification.
250. Cet article 95 octroie au Conseil la possibilité
d'arrêter, à la majorité qualifiée, « les
mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives,
réglementaires et administratives des Etats membres qui ont pour objet
l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur
». Une fois de plus, l'argument est fragile : cet article revêt un
caractère subsidiaire par rapport à l'article 94 (« par
dérogation à l'article 94 CE et sauf si le présent
traité n'en dispose autrement, les dispositions suivantes s'appliquent
pour la réalisation des objectifs énoncés à
l'article 14 »). Cet article ne peut, de toute évidence,
justifier
301 B. Fauvarque-Cossson, « Faut-il un Code civil
européen ? », art. préc.
302 Art. 5, al 2, TCE « la Communauté agit dans
les limites des compétences qui lui sont conférées et des
objectifs qui lui sont assignés par le traité ».
303 Art. 5, al 3, TCE « l'action de la Communauté
n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs
du présent Traité ».
304 P. Malinvaud, « Réponse hors délai
à la Commission européenne : à propos d'un code
européen des contrats », D. 2002, chronique, p. 2544.
305 Pour un détail des arguments voir S. Nadeau,
Codifier le droit civil européen, ouvr. préc.
306 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument
communautaire », art. préc., page 351.
307 R. Cabrillac, « L'avenir du Code civil », J.CP
G. 2004, I, n°121, p. 549.
Réformer le Code civil 96
l'intervention communautaire sur l'ensemble du droit civil
européen, ce n'est ainsi pas la base juridique appropriée.
S'agissant du fondement textuel sur lequel il convient de s'appuyer,
pléthore de possibilités sont envisagées par la doctrine
et les institutions européennes305. L'on peut citer par
exemple les articles 65 et 308 CE, également les articles 11, 11A du
traité CE s'agissant d'un recours à une coopération
renforcée ou enfin les articles 17 et 18 CE à propos d'une
réelle citoyenneté européenne. Ce grand nombre d'arguments
textuels avancés constituent la preuve de la fragilité voire de
l'absence de base juridique d'une codification civile européenne. La
solution consiste alors dans la révision des traités
européens, révision qui aurait pour objectif d'étendre les
pouvoirs de la Communauté.
251. Cependant, cette absence de socle juridique, de base
juridique pour asseoir la légitimité d'une unification du droit
civil européen constitue t'elle le véritable obstacle ? Au
premier abord, la réponse semble être positive, notamment au
regard des développements précédents. En
réalité, le véritable obstacle à l'unification
trouve sa source dans le défaut de volonté politique commune.
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