B Ð La création d'une culture juridique
commune
236. Au travers l'élaboration d'un Code civil
européen, une harmonisation est nécessaire, mais cette
harmonisation ne peut se faire sans la création d'une culture juridique
commune et c'est là le coeur du débat. « Alors que
l'adoption du Code civil des Français a couronné une unité
nationale qui s'était progressivement forgée au fil de plus de
dix siècles d'histoire et qui avait été
préparée par un long et minutieux travail de rapprochement des
coutumes entre elles et avec le droit écrit, ce qui avait permis une
véritable synthèse, on nous propose d'unifier le droit civil
entre des peuples dont même les plus ardents défenseurs de
l'idée européenne reconnaissent qu'ils ne constituent pas pour
l'heure une nation294 ». Le paradoxe est ainsi identifiable :
sans une Europe juridique construite, en l'absence de cohérence de
l'ordre civil européen, l'élaboration d'un Code civil
européen serait vouée à l'échec.
237. En premier lieu, il convient d'envisager le terme «
culture » au sens large, à savoir « l'ensemble des
phénomènes matériels et idéologiques qui
caractérisent un groupe
293 Cour de justice de l'Union européenne, C-148/02,
Carlos Garcia Avello contre Etat belge, Recueil 2003 p I16613
294 Y. Lequette, « D'une célébration
à l'autre (1904-2004) », in 1804-2004, Le Code civil : un
passé un présent, un avenir, ouvr. préc., p.
31 et s.
Réformer le Code civil 92
ethnique ou une nation»295 . Relèvent
alors de cette définition les structures religieuses, sociales,
philosophiques. Le droit de chaque Etat membre résulte de sa culture
nationale, mais envisager une culture juridique comme symbole de l'unité
européenne ne revient pas à renier la culture juridique de chaque
Etat membre. La Charte des droits fondamentaux appuie ce raisonnement : «
l'Union respecte la diversité culturelle, linguistique et
religieuse296 ». Harmoniser le droit civil européen ce
serait, d'une part, rapprocher les législations nationales sans que ces
dernières ne soient contraintes d'abandonner leur propre culture
juridique et, d'autre part, créer une base commune au travers
l'élaboration d'une culture juridique européenne.
238. La diversité culturelle de l'Europe est source de
richesses, par ses traditions, ses langues, et ses droits. C'est là un
des atouts de l'Europe. En effet, le droit constitue une des composantes
fondamentales de la culture d'un Etat. Peut t'on alors respecter la culture
juridique de chaque Etat membre tout en élaborant un droit civil
européen créateur d'une culture commune ? Les détracteurs
d'une harmonisation européenne font primer l'idée d'un impossible
Code civil européen à travers cet argument culturel, notamment
d'un point de vue linguistique. En effet, il n'y aurait pas, selon eux, de
langue européenne, plus globalement de culture
européenne297. L'argument culturel apparaît alors
central dans ce débat, invoqué à tort afin de justifier
l'impossible Code civil européen à travers la préservation
du droit français, de notre culture juridique et de son inenvisageable
rapprochement avec les traditions de common law.
239. Plus modérément, certains auteurs
considèrent que cet argument culturel doit être adapté aux
différentes matières concernées par l'harmonisation voire
l'unification du droit civil européen298. Des droits tels que
le droit de la famille seraient à forte charge culturelle voire
émotionnelle à l'inverse du droit des contrats par exemple. Mais
n'est-ce pas là l'intérêt de la création d'une
culture juridique européenne ? Cette culture, symbole d'unité,
serait la solution au vieillissement de notre matière contractuelle. La
France a une codification à refaire et celle-ci, en passant par la
codification européenne et justifiée par une culture juridique
commune aux Etats membres, serait le remède adéquat.
295 La définition est empruntée au dictionnaire
Larousse
296 Art. 22, Charte des droits fondamentaux.
297 Voir sur ce point les développements pessimistes et
très critiques de G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un
instrument communautaire », D. 2002, art. préc.
298 B. Fauvarque-Cosson, « Faut-il un Code civil
européen ? », art. préc.
Réformer le Code civil 93
240. Il convient dès lors de se détacher du
défaitisme ambiant et d'envisager l'harmonisation du droit civil
européen comme facteur de paix, symbole d'une construction
européenne qui conduirait à la création de traditions
juridiques, de règles juridiques communes et qui à terme,
contribuerait à la création d'une véritable culture
juridique européenne. Bien sûr, il ne s'agit pas de tomber dans le
piège évident d'une précipitation, qui conduirait
inévitablement à l'échec d'une harmonisation, une culture
juridique européenne ne s'invente pas, elle se créée, et
il est évident que cette entreprise sera longue. Le pouvoir est aux
mains de l'enseignement : il faut revoir la façon d'enseigner le droit
civil et intégrer le droit comparé à la logique
pédagogique. Aujourd'hui, les programmes universitaires
d'échanges en Europe, tel Erasmus, sont de véritables vecteurs
d'union entre les citoyens ressortissants de chaque Etat membre de l'Union
européenne.
241. Lever l'obstacle de la naissance d'un droit commun
européen c'est alors concilier les spécificités
culturelles. Pour cela, l'Europe doit faire fructifier son remarquable
patrimoine, s'ouvrir et profiter d'apports juridiques nouveaux. Chaque Etat
membre devrait avoir pour volonté de s'enrichir des droits civils
voisins, s'inspirer des forces de chaque législation pour parvenir
à un meilleur droit, un droit civil européen. Il est une chance
d'appartenir à un système juridique tel que l'Union
européenne, les Etats membres doivent approfondir ces liens et tendre
à une culture commune au travers d'une harmonisation de leurs droits, ce
qui permettrait d'asseoir ce projet ambitieux qu'est l'élaboration d'un
Code civil européen.
242. Dès lors, accepter un droit civil européen
commun reviendrait-il, pour les Etats membres, à abandonner leur propre
droit ? Dans le cadre d'une harmonisation et au regard des
développements précédent, l'on peut répondre
négativement à cette question : harmoniser c'est concilier.
Cependant, dans le cadre d'une unification et non plus d'une harmonisation du
droit civil européen, une réponse positive à cette
même question doit être apportée. Pour cette raison et bien
d'autres, l'unification de l'ensemble du droit civil européen souffre
ainsi d'une difficile, voire impossible, mise en oeuvre.
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