§2 - Une harmonisation inachevée
229. Malgré les tentatives d'harmonisation du droit
civil européen, certains efforts restent vains. Cela s'explique par la
pluralité d'arguments juridiques qu'il convient d'apporter pour
justifier l'élaboration d'un Code civil européen, arguments qui
peuvent apparaître contradictoires. En effet, si la
nécessité d'une union économique en Europe ne fait pas de
doute (A), celle de la création d'une culture juridique
commune est hautement contestée (B).
A Ð La création d'une union
économique
230. L'absence de compétence de l'Union
européenne afin de procéder à une unification du droit
privé (cf. infra §243 et suivants), l'oblige alors à
envisager l'harmonisation du droit civil européen aux moyens d'une
justification économique. La question à poser est simple et nous
l'emprunterons à un auteur : « une unification européenne du
droit, sous couvert d'intérêts exclusivement économiques,
est-elle de nature à fonder un véritable ordre
civil289 » ?
231. Ce projet d'une harmonisation du droit européen,
par le biais d'une union économique, suscite de nombreux débats.
La logique voudrait que l'Union européenne, avec sa monnaie unique,
aille de pair avec un droit unique, idée que l'on peut résumer
par la volonté de création d'un « euro droit
civil290». L'intensification des échanges communautaires
et leur libéralisation ne sont pas anecdotiques, le rapprochement des
législations européennes incite alors à envisager les
arguments économiques pour justifier l'élaboration d'un Code
civil européen. Cette élaboration, conforme à la politique
sectorielle d'harmonisation du droit,
287 Pour une vision détaillée voir S. Nadaud, ouvr.
préc., spéc. p. 383 et s.
288 Voir sur ce point D. Tallon « Grandeur et
décadence du Code civil », in Mélanges offerts à
Marcel Fontaine, p. 292.
289 Y. Lequette, « Vers un Code civil européen
», ouvr. préc., p. 101.
290 J. Huet, « Nous faut-il un « euro » droit
civil ? » D. 2002, p. 2611.
Réformer le Code civil 90
a eu, sous l'égide de la Commission européenne,
pour but la réalisation d'un marché unique sans
frontières. C'est pour cette raison qu'elle s'est bornée, lors
d'une communication en juillet 2001, au seul droit des contrats. Pour la
Commission, la coexistence des législations civiles entrave le bon
fonctionnement du marché intérieur. La multitude de droits
nationaux mais surtout leur divergence freinent les transactions. Cet argument
constitue ainsi le fondement d'une action communautaire s'agissant du droit
européen des contrats. Pour les partisans d'un Code civil
européen, comme peuvent l'être le Parlement et la Commission,
l'argument économique semble être le plus légitime. Pour
autant, ses faiblesses ne peuvent pas être ignorées.
232. Si l'harmonisation du droit civil européen reste
inachevée c'est en partie, mais pas seulement, en raison de la
faiblesse291, du moins de l'incertitude, de cette justification
économique.
D'une part, la justification économique est aux
antipodes de notre vision franco-française. Pour les plus opposés
à la thèse d'un Code civil européen, le Code civil
constitue un « tout292 ». L'idée d'un Code civil
européen élaboré en raison d'une nécessité
d'union économique paraît ainsi appauvrir la tradition
française. Le droit civil, dans sa dimension la plus large, envisage la
complexité et la diversité du citoyen, il n'est pas réduit
à un simple produit économique. Mais n'est-ce pas cela
l'évolution, à savoir s'adapter à la réalité
sociale ?
D'autre part, les opposants à la thèse d'une
union économique justifiant l'harmonisation du droit européen
soutiennent également l'exemple des Etats-Unis. Il s'agit du
marché intérieur le plus dynamique au monde, en l'absence d'un
droit civil unifié. Certes, mais la législation civile aux
Etats-Unis est diamétralement opposée à celle de l'Europe,
et leur volonté du pluralisme de législation s'explique par leur
tradition. En effet, dans un pays de common law, la codification n'est
pas naturelle. De fait, l'harmonisation du droit européen doit se faire
au regard des caractéristiques propres de l'Union européenne.
233. Limitée au seul droit des contrats (cf. infra
§268 et suivants), l'argument économique se justifie puisqu'il
s'agit d'envisager des matières telles que le droit des contrats, de la
responsabilité, des sûretés mobilières et des quasi
contrats. De plus, l'acquis communautaire en la matière est riche
(commerce électronique, directives etc.). Recouvrir le droit des
contrats au sens large est alors nécessaire. L'harmonisation du droit
des contrats
291 Pour une vision détaillée voir B.
Fauvarque-Cossson, « Faut-il un Code civil européen ?
», RTD Civ. 2002, p. 463.
292 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument
communautaire », art préc.
Réformer le Code civil 91
garantirait le bon fonctionnement du commerce
intra-européen mais également la bonne exécution des
contrats. La réalisation d'un marché unique exige alors,
inévitablement, l'harmonisation du droit par les instances
européennes.
234. Cette harmonisation du droit européen peut
cependant être considérée comme inachevée puisqu'il
est difficile de justifier, d'un point de vue économique, son
étendue à l'ensemble du droit civil européen. En effet, il
peut sembler ardu de justifier l'harmonisation du droit de la famille avec
l'argument économique. Pour autant, il existe un argument contre cette
idée selon laquelle le droit du marché européen n'est pas
intéressé par le droit de la famille, il s'agit de l'argument
fondé sur la libre circulation des personnes. L'on peut citer comme
exemple l'affaire Carlos Garcia Avello contre l'Etat
belge293 relatif au nom, arrêt qui justifie un
début du droit européen de la famille.
235. Malheureusement, cet inachèvement trouve
également sa source dans un second argument, plus vigoureux encore. Une
justification d'une l'harmonisation du droit civil européen par la
création d'une culture juridique semble, de prime abord, peu
convaincante.
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