B - Nécessité et dérives d'une
forte volonté politique
178. « La codification exige une volonté
politique forte »234, cette affirmation que l'on doit à
Rémy Cabrillac sonne juste : sans volonté politique forte, la
codification est impossible. Appliquée à notre étude, cela
conduit à énoncer que la réforme du Code civil doit
nécessairement être portée par une forte volonté
politique. Par le passé, l'Histoire a montré de nombreux exemples
de cette illustration : projets abandonnés par faiblesse ou
indifférence, codes imposés à l'arraché par un
pouvoir sûr de lui et déterminé. Disposons-nous aujourd'hui
d'une volonté politique assez puissante, au moins autant qu'en 1804,
afin d'aboutir à une refonte globale du Code civil ?
179. Si notre Code civil a vu le jour en 1804, c'est
précisément en raison de l'insistance de Napoléon
Bonaparte. A l'inverse, en 1946 l'échec de la révision
générale du
232 A. Outin-Adam ; A.-M. Reita-Tran, « Excès et
dérives dans l'art de légiférer », D. 2006.
p. 2919.
233 « Le rôle créateur de la pratique dans
l'élaboration de la norme juridique », Gaz. Pal., 18 avril
2013, n°108, p. 23.
234 R. Cabrillac, « Recodifier », RTD Civ.
2001. p. 833
Réformer le Code civil 73
Code civil français au lendemain de la seconde guerre
mondiale est en partie liée au manque d'audace des pouvoirs publics.
Ainsi, l'importance d'une volonté politique dans l'entreprise de
codification, en l'espèce dans l'entreprise de réforme, est une
réalité. Au-delà de rationaliser un système
juridique, de demeurer une oeuvre cohérente, un ensemble construit, un
nouveau Code civil doit être souhaité politiquement afin de faire
aboutir le processus. Echapper au débat politique est impossible, ce
dernier confère à tout code sa légitimité
démocratique. Cependant, l'on peut se demander, et certains auteurs
l'ont fait avant nous235, si la codification, mieux, la
recodification, n'est pas plutôt une ambition de despote
éclairé. Tel est le risque d'une trop forte volonté
politique, celui de réduire à néant la dimension
démocratique d'une loi, d'une réforme.
180. Il nous faut dénoncer le recours
à des procédés tels que l'ordonnance afin de
réformer le Code civil. Un nouveau code, pour continuer ou plutôt
redevenir la « Constitution civile » d'un pays, doit recevoir la
caution des représentants du peuple. Combinaison entre le pouvoir
exécutif et le pouvoir législatif, l'élaboration de la loi
est complexe. Aujourd'hui, une forme est particulièrement
appréciée et donne une part belle à l'exécutif : le
recours à l'ordonnance. Légiférer c'est ainsi faire de la
politique. Que fait-on alors de la démocratie, rabattue au second rang ?
La réforme du Code civil doit certes être le fruit d'une
volonté politique, cependant elle ne doit pas constituer un moyen de
faire de la politique. Le recours à l'ordonnance n'est pas la solution
si l'on veut une réforme de bonne qualité.
181. Prise en application de l'article 38 de
la Constitution (celui-ci permet au gouvernement de demander au Parlement
l'autorisation de prendre par ordonnance des mesures qui sont normalement du
domaine de la loi), une loi de 1999236 a changé la donne.
Ainsi, cette loi a habilité le gouvernement à procéder
à l'adoption de la partie législative de neufs codes
publiés au cours de l'année 2000237. L'idée est
que l'ordonnance serait l'outil approprié à des réformes
lourdes en expertise juridique et pauvres en décision
politique238. Tel n'est pas le cas de la réforme du Code
civil qui revêt incontestablement une forte dimension politique. Le
recours à l'ordonnance pour mener à bien la réforme
paraît ainsi inenvisageable. Si l'on veut que le code devienne à
nouveau « la constitution civile des français » l'on doit y
235 Notamment M. Grimaldi « A propos du bicentenaire du
Code civil », in Mélanges Blanc-Jouvan, art. préc.,
spéc. n°5.
236 Loi n°99-1071 du 16 décembre 1999 portant
habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnance, à
l'adoption de la partie Législative de certains codes.
237 Codes de l'éducation, de la santé publique,
de l'environnement, de commerce, de justice administrative, de la route, de
l'action sociale, ainsi que du Code rural et du Code monétaire et
financier.
238 P. Deumier, « Le code civil, la loi et l'ordonnance
», RTD Civ. 2014 p. 597.
Réformer le Code civil 74
toucher par la voie parlementaire : « le droit civil est
au coeur de la vie quotidienne des français, et donc relève du
Parlement ; la réforme soulève des questions de politique
juridique, et donc relève du Parlement »239.
182. Malheureusement, ce n'est pas le souhait
du législateur moderne que de faire une réforme alliant
démocratie et politique. En effet, par une loi du 28 janvier 2015, le
gouvernement a été habilité à réformer le
droit des contrats, des quasi-contrats, le régime de l'obligation et la
preuve, par voie d'ordonnance. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une réforme
de l'ensemble du Code civil (que nous souhaitons vivement), il s'agit tout de
même d'une réforme de grande ampleur en raison de son objet. Nous
regrettons alors la méthode240, le recours à
l'ordonnance, la mise à l'écart du Parlement. Cette
réforme, marquée idéologiquement, a fait le choix de
« l'économie administrée »241. Une
insécurité juridique et une incohérence ne peuvent
être que les conséquences néfastes d'un tel choix. Or, la
sécurité juridique et la cohérence sont les deux piliers
d'un nouveau Code civil, les deux caractéristiques majeures dont il ne
fait plus preuve aujourd'hui. Si une réforme accentue les défauts
actuels du Code, elle n'a pas lieu d'être.
183. A vouloir trop réformer, à
vouloir réformer rapidement, par le biais d'instruments politiques non
démocratiques, la réforme est vouée à
l'échec. Ainsi, la réforme du Code civil doit certes avoir pour
origine une volonté politique réelle, mais sans pour autant
bafouer l'exigence démocratique. Le moment est pourtant venu de
réformer : il semble en effet que notre pays, notre système
politique dispose d'une volonté assez vivace de réformer, que
l'on peut comparer à celle de 1804. Seulement, la méthode
à laquelle il convient de recourir pour réformer doit être
modifiée. Un choix plus démocratique conduira alors à
l'effectivité d'un Code civil nouveau.
184. L'alliance entre légistique et
politique, s'agissant de la réforme du Code civil, est sans conteste :
une loi de qualité ne peut s'envisager qu'à travers des
détails techniques scrupuleusement respectés, une vision du droit
étranger passant par une acculturation mais également et surtout
par une loi démocratiquement et politiquement fabriquée. Le
respect de ces éléments ne peut aboutir à autre chose
qu'à une réforme de qualité. Pour autant, il nous
239 P. Deumier, art. préc.
240 C'est également la position de N. Molfessis, «
Droit des contrats : l'heure de la réforme », JCP G,
n°7, 16 février 2015, doctr. 199.
241 N. Molfessis, ibidem.
Réformer le Code civil 75
faut envisager un second aspect de la réforme : sa
forme. En effet cette dernière postule du retentissement et du
rayonnement d'une loi nouvelle.
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