Section 2 - La forme de la réforme
185. Après la science de la réforme, les
méthodes à utiliser, doit être étudiée la
forme de la réforme. Alors, il faut répondre à la question
suivante : a-t-on besoin d'un code ? (1). Si la réponse
à cette question semble positive, il n'empêche qu'un nouveau Code
civil pose inévitablement des difficultés formelles
(2).
§1 - Interrogation sur le maintien d'une
codification
186. La codification en France est une vieille tradition,
« la loi parfaite, c'est le code »242 : oui, mais quelle
forme de codification ? Selon la doctrine, l'on distingue deux formes de
codification243. D'une part, la codification-compilation ou à
droit constant, d'autre part, la codification-innovation ou modification. La
première, qui se borne à remettre de l'ordre dans les
règles existantes, est totalement inefficace à l'aune d'une
réforme du Code civil (A). La seconde, qui reconstruit
le droit, est nécessaire et témoigne d'une réelle
nécessité d'un maintien d'une codification
(B).
A - Inefficacité d'une codification à
droit constant
187. Depuis de nombreuses années déjà,
la codification à droit constant tient une place considérable
dans l'élaboration de la norme juridique. Cette codification à
droit constant constitue certes une rupture dans les textes mais pas dans le
droit positif : autrement dit les textes antérieurs sont abrogés,
mais l'on assiste à une reprise de leur contenu, à l'exception
des textes obsolètes. Ainsi, le droit positif demeure. Cette
codification à droit constant constitue la pratique actuelle
française.
188. En raison de l'immobilisme du Code civil,
précédemment étudié, une législation
spéciale s'est développée244 : Code rural, Code
de commerce, Code de la consommation. S'agissant de ce dernier, la codification
du droit de la consommation a eu pour effet la transplantation de dispositions
du Code civil dans ce code spécial, comme si le Code civil ne
242 S. Guy, De la codification, Petites affiches, 12
mars 1997, n°31, p. 11.
243 L. Vogel, art préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 165.
244 Pour plus de détails voir Ph. Rémy, «
Regards sur le Code », in Livre du Bicentenaire, ouvr.
préc., p. 111.
Réformer le Code civil 76
pouvait conserver son statut de code commun qu'au prix de
cette redite. La codification spéciale qui s'est ainsi faite à
droit constant est alors « un aspect de la décodification civile
»245 . Il convient de dénoncer cette codification
à droit constant, dénoncer son inefficacité, bien
qu'aujourd'hui, la foi codificatrice de notre législateur s'y
réfugie.
189. Des arguments peuvent, contre toute attente, être
invoqués à l'appui d'une codification à droit constant.
Celle-ci permettrait d'élaborer des codes sans les ralentir, ou les
perdre, dans l'examen et les débats de toute réforme de fond.
C'est précisément l'intérêt d'une codification que
de débattre au fond, l'argument ne peut être entendu.
Réformer le Code civil au moyen de cette technique que constitue la
codification à droit constant n'est pas plus envisageable que la
technique de l'ordonnance. En effet, codifier à droit constant signifie
avoir la volonté d'appréhender l'ensemble du droit
régissant une matière donnée, celle-ci ne pouvant englober
que les dispositions législatives et réglementaires
émanant des autorités françaises (cette codification ne
peut seulement appréhender des textes que les autorités
françaises ont le pouvoir d'édicter, d'abroger, pour les
remplacer par des textes codifiés). Que faire alors de la masse des
sources contractuelles, jurisprudentielles, coutumières, internationales
et surtout communautaires ? Face à l'Européanisation du droit,
réformer le Code civil à droit constant est une ineptie.
190. Ineptie en raison des défauts de cette forme de
codification. Il s'agit d'une codification non créative, bureaucratique
dont découlent d'innombrables erreurs et infidélités.
L'actuel Code civil, défectueux, ne peut être remplacé par
une nouveau Code tout aussi infidèle à la réalité.
De plus, l'objectif premier d'une réforme est de faciliter la
connaissance du droit par tous, en le simplifiant et en le modernisant.
Là encore, cette forme de codification n'est pas adaptée. En
effet, est-ce améliorer l'accès au droit que d'empiler des lois,
sans remédier à leur incohérence ? La réponse est
évidemment négative. L'exemple le plus criant de l'échec
de la codification à droit constant est le Code de commerce. Ce dernier
se veut, après le Code civil, notre Code le plus général.
Aujourd'hui, l'on peut le résumer à une « collection de lois
particulières, sans rapports les unes avec les autres, dont la
cohabitation forcée, loin de faciliter l'accès au droit, le rend
en réalité plus difficile »246. Est-ce la
destinée que l'on souhaite pour un nouveau Code civil ?
245 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 112.
246 L. Vogel, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 166.
Réformer le Code civil 77
191. La recodification nécessaire ne saurait
être réalisée à droit constant247. Ainsi,
malgré les impératifs de rationalité justifiant son
recours, une recodification-compilation aboutirait à un fourre-tout
dépourvu de toute cohérence, qui supprimerait l'origine
historique, politique et factuelle de la norme codifiée, du Code
civil248. La recodification civile doit également être
pertinente, doit remplir l'objectif qui l'avait suscitée en assurant
l'adaptation d'un Code civil vieillissant à un monde nouveau. La
recodification-compilation détruit, par nature, toute entreprise de
réforme du Code civil, l'on n'accélère pas la modification
d'un code en le rationalisant, malgré l'avis des codificateurs
français contemporains249
192. La solution la plus naturelle, mais non des moindres,
est alors celle d'une véritable recodification du droit civil
français, l'inverse même d'une codification à droit
constant. L'innovation doit demeurer le maître mot de toute entreprise de
réforme. Recodifier est un art difficile, plus encore, « recodifier
est nécessairement autre chose que codifier »250. Parler
de recodification, de réforme du Code civil c'est déjà
faire le choix de la forme de la réforme : la
codification-innovation.
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