B - Une codification réussie au moyen d'une
acculturation
163. Au-delà d'une codification aux détails
techniques comme gage de réussite, il convient de centrer notre
étude sur un phénomène, tout aussi complexe, celui de
l'acculturation juridique. Une réforme du Code doit ainsi
nécessairement s'envisager à travers une acculturation.
164. Le rayonnement qu'a connu le Code civil hors de France
est sans conteste. Du moins, l'on peut énoncer que le Code civil a
perduré en raison du rayonnement de la France. Progressivement, le Code
Napoléon s'est nationalisé dans un certain nombre de pays, il
s'est acclimaté et a parfois acquis une autonomie par rapport à
la version française211. Il s'agit-là d'une
acculturation. Avant d'envisager son effet sur une réforme du Code
civil, il convient de définir ce terme. Par acculturation « il faut
entendre toute greffe d'une culture sur une autre » et par «
acculturation globale » celle de la greffe d'un code tout entier,
phénomène que l'on désigne aussi par la notion de
réception212. A la suite d'une acculturation apparaît
un phénomène de nationalisation d'un Code : c'est le fait du
législateur national qui apporte, au fil du temps, des modifications
à un Code afin de le mettre en adéquation avec l'évolution
de la société.
165. N'est-ce pas de cela dont notre code a besoin
aujourd'hui ? L'influence du Code civil est désormais nulle dans le
reste du monde213, un meilleur code permettrait alors un meilleur
rayonnement de la France. Malheureusement, notre vieux code perdure. S'il peut
témoigner d'une rare capacité d'adaptation aux évolutions
de la société contemporaine, le résultat laisse les
juristes que nous sommes en attente de mieux, à savoir une
véritable réforme. Il ne faut cependant pas, selon le Doyen
Carbonnier, « se représenter l'acculturation comme un
mécanisme irrésistible »214, autrement dit n'est
pas une donnée naturelle que celle d'intégrer du droit
étranger. Ainsi, même si l'on envisage la réforme du Code
civil à travers une acculturation, des résistances
naîtront. Ce n'est pas sans conséquence que deux systèmes
juridiques se rencontrent, les effets affectent aussi bien les individus que
les institutions. La
211 Voir sur ce point B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot,
ouvr. préc., p. 24.
212 J. Carbonnier, Sociologie juridique, Quadrige, 1994,
p. 377.
213 Le Code civil une leçon de légistique
?, sous la direction de Bernard Saintourens, Economica, Etudes juridiques,
24, 2006.
214 J. Carbonnier, Sociologie juridique, ouvr.
préc., p. 377.
Réformer le Code civil 68
tâche semble ardue, il nous faut pourtant l'envisager
tant elle apparaît bénéfique et pourrait guérir le
Code civil de ses maux.
166. Le vieillissement du Code, le recul de la France sur la
scène international ainsi que le fossé juridique et culturel
entre les pays expliquent la perte de l'influence française. Pour y
remédier, il s'agirait désormais d'intégrer ce processus
d'acculturation : ce n'est plus aux codes des autres pays de s'acculturer au
nôtre, mais l'inverse : le nouveau Code civil serait ainsi le fruit d'une
acculturation juridique. Si l'on envisage l'origine du déclin de notre
code cela revient à étudier l'adoption d'un nouveau
modèle, plus récent, le BGB, qui constitue aujourd'hui un
concurrent redoutable215. L'Allemagne n'est pas le seul pays
à avoir recodifié son droit civil. Ainsi, les Pays-Bas ont,
après une longue gestation, remplacé leur Code civil de 1838 par
un nouveau code, le NBW, entré en vigueur le 1er janvier
1992216. Le Québec a suivi cette voie et a remplacé
son code de 1866 par un nouveau Code civil entré en vigueur le
1er janvier 1994217. Si ces pays ont réussi
à réformer le Code civil pourquoi ne le pourrait t'on pas ?
167. Réformer le Code civil, à travers un
processus d'acculturation, reviendrait à une réforme
appuyée sur des droits étrangers, sur un exemple hors de nos
frontières, une inspiration de ce qui fonctionne déjà.
Surtout, cela reviendrait à mettre en cohérence le droit
français avec le droit d'une grande partie du reste du monde, avec, pour
conséquence directe, un regain de l'influence du Code civil et de la
France sur la scène juridique internationale. Le législateur doit
à la fois rationaliser le système juridique et le moderniser : il
lui faut rechercher un équilibre entre respect de la tradition et
adjonction d'éléments modernes. De façon
inespérée, ce processus d'acculturation semble avoir gagné
la confiance de notre législateur moderne français.
168. Aujourd'hui, la réforme du code est partiellement
en marche à travers la réforme du droit des
obligations218. Ce projet est limité au droit des contrats et
il ne s'agit pas pour l'instant de critiquer cela, mais d'analyser sa ratio
legis, sa raison d'être. Ce projet contient des véritables
révolutions qui constituent pour certains une « régression
de notre inestimable
215 R. Cabrillac, « L'avenir du Code civil », JCP
G, n°13, 24 Mars 2004, I 121.
216 D. Tallon, Le nouveau code civil des Pays-Bas, in
B. Beignier (dir.), La codification, Dalloz, 1996.
p. 181 et s. spéc. p. 182.
217 R. Cabrillac, « Le nouveau code civil du Québec
», D. 1993. p. 267 et s.
218 Habilitée par l'article 8 de la loi n°2015-177
du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la
simplification du droit et des procédures dans les domaines de la
justice et des affaires intérieures, publiée au JO du 17
février 2015
Réformer le Code civil 69
Code civil »219. Parmi elles, l'apparente
suppression de la cause, et l'introduction de la clause abusive220.
Ces deux phénomènes, véritables révolutions, sont
liés et ont trait au processus d'acculturation du Code civil
français. D'une part, l'on supprime ce qui est « trop
français »221 à savoir la cause. D'autre part, on
introduit pour tous les contrats un concept qui ne concerne pas directement le
droit civil, à savoir les clauses abusives. Pour certains, « c'est
la culture même du droit civil français qui est en jeu
»222. Pour nous, il s'agit d'une réelle volonté
du législateur d'évoluer, de s'adapter aux droits
étrangers et de redonner au Code civil sa position d'antan. Sur le fond,
nous n'envisagerons pas la pertinence de l'introduction de ces deux
phénomènes. Il suffit de se contenter du moyen utilisé par
le législateur français : l'acculturation. L'optimiste
renaît alors à propos d'une réforme du Code civil dans son
ensemble, si un jour celle-ci avait lieu, puisque le législateur moderne
français n'ignore pas les moyens techniques étrangers, gages de
réussite.
169. Détails techniques à respecter, processus
d'acculturation, autant d'éléments qui seraient à prendre
en compte dans le cadre d'une réforme du Code civil. En effet, une bonne
loi, un code de qualité ne peut s'élaborer sans rigueur et sans
vision extérieure. Cependant, la légistique ne suffit pas, un
code ne sera pas investi d'une souveraineté particulière s'il
n'est pas politiquement souhaité. Au-delà de demeurer une
véritable question de légistique, la réforme du Code civil
constitue principalement une question politique.
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