Deuxième partie : Comment réformer le
Code civil ?
148. « S'il advenait que la France fût quelque
jour dotée d'un législateur soucieux de droit, un nouveau code
civil pourrait et devrait être préparé
»195. Une crise grave et profonde a atteint notre Code civil
actuel : il est urgent de le réformer. Cette urgence n'est plus à
démontrer tant elle est flagrante. La question « comment
réformer le Code civil » est alors essentielle et il faut tenter
d'y répondre. Autrement dit, il faut s'intéresser à la
question sous-jacente « comment dire le droit ? ».
149. « Quelle tâche que la rédaction d'une
législation pour un grand peuple ! »196, en effet
réformer c'est toucher à l'acquis, appliquer cela au Code civil
paraît pour grand nombre de citoyens français, impensable. Bien
plus qu'un symbole, le Code civil constitue pour beaucoup, d'après les
termes du doyen Carbonnier, la véritable Constitution civile de la
France. Pire encore, certains considèrent qu'il faut laisser le Code tel
qu'il est puisqu'à « l'atomisation de notre société
doit correspondre une multiplicité de sources »197,
sources qui seraient conformes à notre société. Nous
sommes pourtant convaincus du contraire : nous avons besoin d'un Code civil
nouveau : il faut le reconstruire.
150. L'oeuvre de recodification civile est délicate et
semée d'embûches. Deux techniques de réforme sont
possibles. D'une part, une réforme du Code civil peut s'envisager sous
l'égide des techniques classiques (Chapitre 1),
autrement dit au regard des techniques que nous offre le droit interne.
Cependant, l'Européanisation du droit semble nous oblige à
emprunter la voie d'une technique moderne de réforme. En effet, la
réforme du Code civil doit s'envisager aujourd'hui au regard du droit
européen : un Code civil européen est rendu nécessaire
(Chapitre 2). Savoir comment réformer le Code civil
c'est répondre à la question suivante : « révision
nationale ou codification européenne ? »198.
195 C. Atias, « Le Code civil nouveau », D.
1999. p. 200.
196 Termes de Portalis lors des travaux préparatoires
du Code civil. Voir sur ce point F. Ewald, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 84.
197 L.Vogel, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 163.
198 Y. Lequette, « D'une célébration
à l'autre (1904-2004), in 1804-2004, Le Code civil un passé,
un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 27.
Réformer le Code civil 63
CHAPITRE 1 - LES TECHNIQUES CLASSIQUES DE REFORME
151. Légiférer est un art, réformer
l'est aussi. Reconstruire, refondre notre Code civil sera un travail de longue
haleine, difficile, complexe, pour lequel beaucoup ont déjà
abandonné avant de commencer. Devant l'ampleur de la tâche, le
comportement à adopter doit nécessairement être optimiste,
le résultat en dépend.
152. Réformer est un art, un art technique. Envisager
d'un point de vue interne, la réforme du Code civil est possible aux
moyens de techniques classiques. Ces techniques sont diverses et peuvent
être découpées en deux volets complémentaires. La
science de la réforme doit être étudiée
(Section 1) afin d'élaborer par la suite la meilleure
forme possible de réforme (Section 2).
Section 1 - La science de la réforme
153. La science de la réforme consiste à
envisager cette dernière non pas au regard de sa forme, mais aux regards
des moyens à mettre en oeuvre : comment créer une loi nouvelle,
plus précisément comment réformer le Code civil, surtout
comment bien le réformer ? La réponse à ces nombreuses
questions se cherche en analysant l'ampleur que prendrait une réforme du
Code civil. Réformer c'est légiférer à nouveau, et
l'art de légiférer prend désormais un nom, bien que
celui-ci ne soit pas définit par une quelconque dictionnaire : il s'agit
de la légistique. Discipline mystérieuse, la légistique
c'est « l'art d'écrire, d'élaborer » 199 la loi. En
tant que nouvelle loi, la réforme du Code civil constitue inexorablement
une question de légistique (1). Réformer, c'est
légiférer
et légiférer, c'est faire de la politique : la
réforme du Code civil, au-delà de demeurer une question de
légistique est ainsi principalement, voire exclusivement, une question
politique (2).
§1 - La réforme du Code civil : une question
de légistique
154. Produire une loi, réformer un code constitue une
tâche monumentale au regard du travail à fournir. La loi doit
procurer sécurité et certitude au justiciable, il faut donc
entrer dans les détails : une loi réussie est une loi technique
(A). Une loi réussie est également une
199 Entretien avec Karine Gilberg, « L'art de la
légistique », Gaz. Pal., 07 janvier 2010 n°7, p.
8.
Réformer le Code civil 64
loi qui s'inspire des droits étrangers influents et qui
s'adapte et s'empreint de cultures juridiques étrangères. Ainsi,
la réforme du Code civil, pour qu'elle soit effective, devra
nécessairement s'élaborer à travers un processus
d'acculturation (B).
A - Les détails techniques d'une codification
réussie
155. Plus de deux siècles après, le Code civil ne
rayonne plus, à l'instar de ce qui a
fait son succès : son pragmatisme. Il a subi des
retouches, des ajouts, des embellissements si bien qu'aujourd'hui le code est
en ruine, incohérent. Il faut retrouver une modernité et une
cohérence, cela s'envisage au regard d'une réforme à la
légistique parfaite.
156. Tout nouveau code constitue nécessairement une
rupture avec le droit antérieur. En effet, par son entrée en
vigueur il efface « délibérément d'un trait de plume
»200 le monde juridique qui l'a précédé.
Pour autant, réformer le Code civil n'est pas synonyme de rupture
brutale avec le droit antérieur : si l'on envisage la réforme au
moyen d'une recodification, celle-ci aura un effet de continuité. Ainsi,
« un code n'est pas un filtre à huile : on ne jette pas l'ancien
pour mettre le nouveau à la place »201. Une
recodification, plus généralement une réforme, suppose
sans conteste la prévision d'une panoplie complète et
précise de détails techniques afin de faciliter le passage de
l'ancien au nouveau code. Cette panoplie précise et complète
c'est précisément l'art de la légistique et une partie de
la réponse à la question brûlante « comment
réformer le Code civil ? ».
157. La principale vocation de la loi est d'assurer la
sécurité juridique, cela participe de la qualité de la
justice. Une loi doit donc être de qualité. Il ne s'agit pas
seulement de légiférer, il faut bien légiférer ou
du moins « mieux légiférer »202 : la
qualité rédactionnelle et l'encadrement du processus
d'élaboration des textes doivent prévaloir sur une vision du
droit qui repose sur l'activité économique.
Légiférer demeure alors un art complexe : droit en vigueur,
insuffisances dans sa mise en oeuvre, destinataire de la règle, autant
de difficultés qui sont rencontrées lors de la production d'une
norme. Cette complexité décuple lorsque l'on envisage de
réformer une relique telle que le Code civil. En effet, nombreux
détails techniques doivent être étudiés
précisément, rien ne doit être laissé au hasard, un
nouveau
200 R. Cabrillac, « Recodifier », RTD Civ.
2001. p. 833.
201 M. Tancellin, Les exigences du code civil du Québec,
Revue de droit de MCGill, 1994, vol. 39, p. 748.
202 Voir sur ce point Entretien avec Karine Gilberg, «
L'art de la légistique », Gaz. Pal., 07 janvier 2010
n°7, p. 8.
Réformer le Code civil 65
Code civil devrait nécessairement revêtir une
nature qualitative au risque de subir un sort pire encore que celui qui lui est
réservé actuellement, à savoir être dépourvu
d'autorité.
158. Une démarche méthodique doit ici retenir
notre attention afin d'envisager techniquement la réforme du Code civil.
La production de toute nouvelle norme est alors soumise au respect de
règles juridiques de fond et de procédure, le respect de ces
règles constitue ainsi le vecteur de la qualité de la loi.
159. L'application dans le temps d'une réforme du Code
civil doit être envisagée en premier lieu, tant elle
apparaît demeurer l'élément le plus controversé. Les
règles relatives à l'entrée en vigueur des lois et des
règlements publiés au Journal officiel sont fixées par
ordonnance203. Aujourd'hui la très grande majorité des
lois prévoient elles mêmes quand elles vont entrer en vigueur,
cette date est généralement très éloignée de
sa date de publication. Si jamais, et nous l'espérons, un nouveau Code
civil voit le jour, il est évident qu'il ne rentrera pas en vigueur le
lendemain de sa publication, mais des années plus tard : « patience
et longueur de temps204 » tel est le résumé qu'il
convient d'énoncer. Une loi de bonne qualité, précise et
complète, passe alors par une entrée en vigueur
différée mais surtout par un arsenal solide de dispositions
transitoires : ces dispositions s'imposent obligatoirement et ce pour des
motifs de sécurité juridique. Les règles sur l'application
dans le temps d'une nouvelle loi, tel que le serait un nouveau Code civil, sont
ainsi un objectif primordial. A cette application dans le temps s'ajoute
l'application dans l'espace.
160. Une nouvelle loi est en principe applicable de plein
droit sur l'ensemble du territoire de la République. Dans certains cas,
il peut apparaître utile, voire nécessaire, d'aménager le
champ d'application territorial d'un texte. Cette question doit être
systématiquement examinée lors de la conception de celui-ci,
spécialement en ce qui concerne son application à
l'outre-mer205. Concevoir une réforme du Code devra ainsi
amener à s'interroger sur son applicabilité territoriale, et
surtout éviter les erreurs du passé. En effet, le souci de
lisibilité de la loi implique que celle-ci soit la même pour tous.
Que penser alors de l'ordonnance du 19 décembre 2002206 qui a
incorporé un nouveau livre au Code civil (devenu le livre V
désormais) et comportant des articles propres à Mayotte ? Pour
certains, il s'agit
203 Ordonnance n°2004-164T du 20 février 2004 dont
les dispositions ont remplacé notamment celles du décret du 5
novembre 1870T et figurent désormais à l'article 1er
du code civil.
204 Voir sur ce point C. Kleitz, « Patience et longueur de
temps... », Gaz. Pal., 07 janvier 2010 n° 7, p. 3
205 Guide de légistique, Légifrance, 2007.
206 Ordonnance n° 2002-1476 du 19 décembre 2002
portant extension et adaptation de dispositions de droit civil à Mayotte
et modifiant son organisation judiciaire
Réformer le Code civil 66
« d'énumérations sans âme, plates
litanies de « sont applicables à Mayotte sous réserve de...
» ou « les articles...sont applicables à Mayotte dans leur
rédaction issue de la loi ... » sombrant dans un verbiage
bureaucratique le plus souvent illisible »207. Nous partageons
ce propos et il convient d'ajouter qu'un Code civil nouveau, comme toute
entreprise de recodification, devra posséder une dimension unificatrice
très forte. Il ne s'agit pas d'intégrer dans un nouveau code des
dispositions applicables à une minorité. Cela est en effet
incompatible avec la dimension précitée.
161. Après l'énoncée des règles
générales et applicables à toute loi nouvelle, il faut les
envisager au regard de la codification : celle-ci tend à faciliter la
connaissance et la communication des règles de droit208. Un
nouveau Code civil devra ainsi être un code qui rassemble des normes mais
également qui clarifie le droit et l'actualise. Les méthodes de
la codification sont complexes209 : la sélection et
l'organisation des dispositions regroupées dans un code devront reposer
sur des choix cohérents et aboutir à un instrument utile et
maniable. Aussi, le plan du code devra traduire une organisation du droit
adaptée, à l'inverse de ce qu'il traduit actuellement. Enfin, la
division du Code en livres, titres et chapitres, devra être
étudiée en ce qu'elle commande la numérotation des
articles auxquels il conviendra de peu toucher au regard de la dimension
symbolique de certains articles (l'on pense ici notamment aux articles 544
1134, 1382). La pratique dite de la «
dénumérotation210 » qui consiste à changer
le numéro d'un article pour lui en attribuer un autre est à
bannir, autant que possible, car elle déstabilise les justiciables. Ces
derniers le seront déjà assez, au regard du changement monumental
que constituerait un Code civil nouveau.
162. Ces techniques devront être scrupuleusement
respectées car leur méconnaissance peut mettre en péril la
cohérence du code, alors même que cet objectif constitue le coeur
de la réforme. Une codification réussie passe ainsi
obligatoirement par le respect de l'ensemble de ces détails qui peuvent
apparaître complexes, techniques. Il est vrai qu'une entreprise de
réforme est par essence difficile, mais s'y résigner serait trop
simple. A ces détails techniques, qui doivent être scrupuleusement
suivis si l'on veut aboutir à une loi de bonne qualité s'ajoute
un autre aspect de légistique : légiférer ce n'est pas
seulement rester « franco-français ».
207 R. Cabrillac et J.-B. Seube, « Pitié pour le
Code civil (à propos de l'ordonnance n°2002-1476 du 19
décembre 2002), D. 2003. 1058, spéc. n°6.
208 Le Conseil constitutionnel a rappelé en 1999 que la
codification du droit répondait à l'objectif de valeur
constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.
209 Voir sur ce point le Guide de légistique,
Légifrance, 2007.
210 Terme employé dans le Guide de légistique,
Légifrance, 2007.
Réformer le Code civil 67
Ainsi, une codification réussie ne peut s'envisager
qu'au moyen du phénomène d'acculturation.
|