§2 - Les solutions à la
désharmonisation du droit civil français
135. L'absence d'harmonisation du droit civil français
aujourd'hui, qui a pour conséquence l'absence d'harmonisation du Code
civil, résulte de la volonté du législateur
français de ne pas s'adapter au droit européen. Vouloir conserver
une certaine souveraineté, une mainmise sur le contenu du Code, conduit
à le désharmoniser. Quelle solution alors à la
désharmonisation du Code civil français sous l'effet du droit
européen ? La solution première serait de se
désintéresser du Code civil comme réceptacle du droit
européen (A), solution qui convainc partiellement. La seconde solution
serait, quant à elle, à rechercher dans d'autres formes de
codifications (B).
179 Y. Lequette, art. préc., in Livre du Bicentenaire,
spéc. p. 179.
Réformer le Code civil 57
A - Le Code civil, entre intérêt et
indifférence pour le droit européen
136. L'incohérence, l'incompréhension qui
règne dans le Code civil, en raison des transpositions maladroites des
directives européennes, doit être l'argument moteur d'une
recodification de notre législation civile. Si notre Code a vieilli,
comme l'on a pu maintes fois le constater, c'est en partie en raison de «
la multiplication des textes régissant une matière en dehors de
la structure de celui-ci »180. La recodification civile devrait
alors avoir pour objectif l'intégration, dans le Code civil, de
l'intégralité des textes qui le concernent. Les textes
européens sont alors directement concernés. Le législateur
français doit saisir l'opportunité qui lui est donnée
à travers une transposition des directives afin de restaurer la
cohérence de son propre corps de règles, le Code civil. Cette
idée est séduisante, mais « réharmoniser » le
droit civil français au regard de l'Europe du commerce apparaît
constituer une tâche complexe.
137. La solution la plus fréquemment
proposée181 est celle d'intégrer les textes relatifs
à la protection des consommateurs, non pas au sein du Code civil, mais
dans le Code de la consommation qui constituerait le « réceptacle
naturel » de ce genre de dispositions. La question est alors la suivante :
« Code civil ou Code de la consommation pour la transposition des
directives consuméristes ? »182. Le choix du « code
réceptacle » revêt une importance particulière puisque
la solution aura pour conséquence une influence différente des
règles nouvelles. Ce choix, dans la plupart des interventions du
législateur européen, ne pose pas de difficulté : la
directive trouve son prolongement dans le Code relatif à son contenu.
Cependant, lorsqu'il s'agit d'envisager les directives relatives au droit de la
consommation, la question semble insoluble.
138. La transposition de la directive du 25 mai 1999 «
sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation
» a été pour certains souhaité dans le Code civil,
afin d'étendre le domaine des nouvelles règles qui seraient
édictées183. Pour d'autres, il fallait la transposer
dans le Code de la consommation184. Le législateur a
donné raison à cette seconde proposition. Cette directive a effet
été transposée en droit français par une
180 R. Cabrillac, Les codifications, coll. Droit,
Ethique, Société. PUF. 2002
181 G. Plaisant et L. Leveneur, « Quelle transposition
par la directive du 25 mai 1999 sur la garantie de la vente des biens de
consommation ? », JCP 2002.I.135.
182 L. Leveneur, art. préc., in Livre du Bicentenaire,
ouvr. préc. spéc., p. 941.
183 Voir sur ce point G. Viney, « Quel domaine assigner
à la loi de transposition de la directive européenne sur la vente
? », JCP 2002, I, 158.
184 G. Plaisant et L. Leveneur, chron. préc.
Réformer le Code civil 58
ordonnance du 17 février 2005185,
introduisant de nouvelles règles au sein du Code de la consommation.
Cette transposition au sein de ce code pouvait paraître logique car la
directive avait pour principal objet, selon son article 1, « d'assurer une
protection uniforme minimale des consommateurs dans le cadre du marché
intérieur » : il s'agit-là de règles spéciales
et non de règles générales applicables quelle que soit la
qualité des parties.
139. Cette suggestion pour l'avenir du Code civil revient
à vouloir préserver les règles du Code civil et
l'unité de son corpus : cela est vain, le Code civil n'est plus symbole
d'unité. Si la place d'une transposition d'une directive n'est pas dans
le Code civil, celui-ci voit sa sphère d'influence limitée : il
va s'effacer devant ces législations spéciales. Sur ce point, il
convient d'approuver la vision de Philippe Rémy : « l'ultime
tentation est de préserver le Code civil en accueillant les
règles communautaires dans des codes réceptacles, comme le Code
de la consommation ; mais en préservant la pureté du symbole, on
le réduirait précisément à n'être qu'un
symbole, ou une coquille vide »186. Ainsi, le Code civil ne
peut pas être réduit au statut de relique, cependant cet argument
doit être nuancé : notre Code représente le droit commun
fondamental et pose les principes généraux. Ces derniers peuvent
être modifiés par des lois spéciales dans des cas
particuliers187. Un juste milieu doit être trouvé, par
le biais d'une réforme, afin que le Code civil reste le
réceptacle du droit commun tout en s'adaptant au droit européen,
droit d'une importance considérable aujourd'hui. Une réforme ne
pourrait ignorer sa portée. Aussi, l'on doit impérativement
réfléchir sur l'articulation entre droit commun et droit
spécial, sur l'objectif du Code civil, sur la portée du Code de
la consommation. Sans clarification du législateur français, sans
réforme, la question « Code civil ou Code de la consommation ?
» ne cessera de se poser.
140. En réalité, c'est aussi le Code de la
consommation qu'il faudrait refondre : compilation à droit constant,
textes disparates, l'ensemble de ces éléments prouve la
nécessité : pour autant, « ce qui paraît envisageable
pour le Code de la consommation l'est-il pour le Code civil
»188 ? Le Code civil doit-il redevenir l'alpha et
l'Omega du droit civil ? De prime abord, la réponse
apparaît incontestablement positive. Certes, mais pour cela, la
supériorité du Code doit être reconnue : le
législateur doit alors s'attarder sur les principes
185 Ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005
relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due
par le vendeur au consommateur. (J.O n° 41 du 18 février 2005 page
2778).
186 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., spéc., p. 115.
187 L. Vogel, « Recodification civile et renouvellement
des sources internes », in Livre du Bicentenaire, spéc.
n°29.
188 L. Leveneur, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 944.
Réformer le Code civil 59
généraux et spéciaux, ceux qui ont subi
l'usure du temps. Un code brouillé par des règles
particulières s'exporte en effet moins facilement qu'un code vecteur de
principes généraux.
140. En réalité, quelle que soit la solution
que l'on envisage, le parti pris, c'est l'annonce de la défaite du Code
dont il s'agit ici : il ne s'adapte plus aux évolutions, « ce n'est
plus notre arche, notre forteresse, ni l'autel de nos lois
»189. Pire encore, si le Code civil n'a pas su s'adapter
à la codification européenne, comment réagira-t'il face
aux codifications encore plus innovantes et surtout, à
l'internationalisation du droit au-delà de son européanisation ?
Doit-on se résigner à la décodification ? L'avenir du Code
civil est bien sombre, mais doit toutefois être envisagé, il
s'agit là d'une preuve ultime pour une nécessité de la
réforme.
B - L'avenir du Code civil face à
l'internationalisation du droit
141. La communautarisation du droit est réelle et
celle-ci, au-delà des conséquences négatives qu'elle a
provoquées sur notre Code civil, a eu pour but de rapprocher les
législations internes. La communautarisation a ainsi pu unifier ou
harmoniser les législations nationales. Cependant, cette dernière
doit être relativisée. Le droit communautaire est certes
prédominant s'agissant du domaine du droit des contrats, mais il est
parcellaire : il est axé sur le consommateur et notamment sur sa
protection ; ce dernier étant ainsi envisagé comme partie faible.
Les objectifs de la communautarisation, à savoir cette protection du
consommateur mais également la réalisation du marché
intérieur, freinent une véritable toute-puissance des normes
européennes.
142. Ainsi, l'avenir du Code civil, sous l'angle
européen, est sûrement à rechercher par une
européanisation indirecte : le droit européen
pénètre les domaines tels que le droit de la famille ou des
personnes, mais de manière moins invasive et surtout, sans créer
d'incohérence190. Cette communautarisation n'a pas alors pour
seul but de contredire le droit national, le juge européen peut
conforter la règle nationale, mais elle va s'accentuer : le droit
communautaire dispose d'un large champ d'application, notamment depuis
l'arrêt Garcia Avello191, ainsi le droit
européen en ce qu'il pénètre notre droit civil n'a plus
vocation à se limiter qu'aux situations purement économiques
inhérentes au marché intérieur. Le droit civil
189 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., spéc., p. 117.
190 Voir sur ce point les exemples de S. Nadaud, Codifier
le droit civil européen, Europe(s), Larcier, 2008, préface
d'Eric Garaud,
191 Cour de justice de l'Union européenne, C-148/02
Carlos Garcia Avello contre Etat belge Recueil 2003 p I16613
Réformer le Code civil 60
peut apparaître instrumentalisé au regard du
droit des traités, comment alors remédier à ce
phénomène ? Assurément, par l'adoption d'un Code civil
européen.
143. Ce Code civil européen constitue une technique
moderne de réforme du Code civil (voir infra §214 et suivants).
Avant son étude, il convient d'envisager l'avenir de notre Code civil au
regard des nouvelles codifications, effectives, à l'inverse du Code
civil européen qui ne constitue, encore, qu'une hypothèse. La
codification s'enrichit perpétuellement grâce aux
opérations internationales, par exemples les règles
matérielles régissant la vente internationale de marchandises
issues de la convention de Vienne192. Auparavant, ces
opérations relevaient des droits nationaux compétents, selon les
règles de conflits de lois. Le Code civil a inévitablement
été influencé par ce type de codifications, mais la
principale source d'influence sur le Code civil se situe au niveau des
conventions internationales qui, sans se placer sur le terrain de la
hiérarchie des normes à l'inverse du droit communautaire,
bénéficient d'une place confortable en tant que règles de
droits.
144. La France n'a pas su maintenir l'unité du Code
civil, telle est la conclusion que nous pouvons apporter après ces
développements : codification hors du Code, évolution du Code de
la consommation, mais surtout l'apparition et le développement des
sources internationales en témoignent. Ce dernier argument est
intéressant ici : la France, en adhérant à des conventions
internationales qui priment le droit interne, a pris le risque de
déstabiliser son Code civil. En effet, au nom de principes posés
par ces conventions, des normes de notre relique peuvent être
sacrifiées : les normes du Code civil nécessitent alors une
réforme afin qu'elles soient conformes à ces principes
transcendants. Cette perte d'autorité du Code civil s'accompagne
d'autres maux : le Code civil est concurrencé par des codifications
nouvelles avec pour objectif l'uniformisation du droit. A l'échelle
mondiale, l'uniformisation du droit est en route et le droit civil
français ne suit pas. Grâce aux diverses conventions
internationales, le droit de la vente tend à être unifié,
cette unification implique l'amputation, parfois, d'articles du Code civil ou
de la compétence française193. Pour autant,
l'unification du droit de la vente est nécessaire en raison de
l'internationalité croissante des opérations contractuelles. Sans
réforme, le déclin du Code civil apparaît
évident.
192 Convention des Nations unies sur les contrats de vente
internationale de marchandises, reproduite dans le Code de commerce, Dalloz.
193 Voir les exemples de C. Witz, « L'influence des
codifications nouvelles sur le code civil de demain », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., spéc. 694.
Réformer le Code civil 61
145. Ce même code doit également redouter
d'autres formes de codifications, qui revêtent, à l'instar des
conventions précitées, une nature internationale. L'on peut citer
l'exemple des Principes du droit européen du contrat ou les principes
Unidroit relatifs aux contrats du commerce international. Pareils principes
n'ont la possibilité de revêtir leur application maximale qu'aux
travers deux conditions : un choix de loi opéré par les
cocontractants à l'un de ces instruments normatifs et la
résolution du conflit par voie d'arbitrage. Le Code civil doit ainsi
s'inquiéter de ces nouvelles formes de codifications, de ces nouveaux
instruments. En effet, ils offrent une réglementation si moderne et
équilibrée du droit commun des contrats qu'ils ne peuvent que
concurrencer notre Code dont on connaît la réglementation
désuète et complexe.
146. Pour certains194, il ne faut pas
s'inquiéter de l'influence de ces nouvelles codifications. Ainsi, un
Code civil dont le rôle est diminué ne serait pas, par nature,
synonyme de perte d'influence des institutions et techniques du droit
français. Pareille position ne convainc pas : le Code civil en tant que
« constitution civile » doit jouer un rôle central et non
être dominé par des codifications à portée normative
molle. Un coup d'assaut est alors, une nouvelle fois, porté au Code
civil. La solution à cela consiste, une fois encore, en un Code civil
européen, par lequel notre code retrouverait toute sa vigueur.
147. A la question « Pourquoi faut-il réformer le
Code civil ? » la réponse est désormais claire : il s'agit
d'une oeuvre complexe, vieillissante, politisée et sous l'égide
du juge. Surtout, il s'agit d'une oeuvre incohérente au regard de
l'ordre communautaire : la fondamentalisation et l'européanisation du
droit sont deux phénomènes auxquels le Code civil n'a pas su
s'adapter. Une véritable recodification civile est nécessaire,
cependant il faut la concilier avec les contraintes extérieures
imposées. Ainsi, à la question « Pourquoi faut-il
réformer le Code civil », l'on peut répondre qu'il est
défectueux et inadapté à l'évolution du droit.
Ainsi, une seconde question s'entrevoit : s'il faut réformer le Code
civil, il convient de savoir par quel(s) moyen(s).
194 C. Witz, art. préc., in Livre du Bicentenaire,
ouvr. préc., spéc. 695 et s.
Réformer le Code civil 62
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