B - L'harmonisation européenne cause de
l'atteinte à la souveraineté du Code civil
129. Cette intégration de la législation
européenne au sein de notre législation interne se veut
fragmentaire, ainsi c'est la cohérence même du Code civil qui est
atteinte, quel que soit le procédé d'intégration
utilisé : « l'harmonisation européenne désharmonise
le Code »173. Cette législation
européenne a pour objectif la réalisation d'un marché
intérieure unique, à l'inverse le Code civil, réceptacle
de notre législation civile, exprime, ou devrait exprimer,
l'unité. L'incohérence est saisissante. Sans réforme de
notre Code civil celui-ci va perdre la partie face à l'Europe du
commerce.
130. La subordination de la France à la politique
juridique de l'Union européenne apparaît à travers
l'exemple de la transposition de la directive relative à la
responsabilité du fait des produits défectueux. La volonté
de préserver certains principes fondamentaux a conduit la France a
transposer cette directive à sa façon174 et ces
libertés prises ont fait valoir à la France une condamnation. En
effet, reprochant à la France d'avoir mal transposé cette
directive du 25 juillet 1985, la Cour de justice a été saisie par
la Commission européenne d'une action en manquement : pour avoir accru
le seuil de protection des victimes, la France a ainsi été
condamnée175. Sur trois points176, la Cour de
justice a reconnu que la République française avait manqué
à ses obligations communautaires lors de la transposition. La France a
ainsi été tenue de prendre acte de cette condamnation et a
procédé à la modification des dispositions du Code civil
par une loi du 9 décembre 2004. Depuis cette loi, les dispositions du
Code civil qui coexistent sont contradictoires : l'harmonisation des
législations européennes désharmonise notre
législation. Cette incohérence est source d'un recul de la
souveraineté du législateur français.
172 Voir sur ce point l'argumentation détaillée
de L. Leveneur, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil un
passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 936 et
s.
173 Ph. Rémy, art préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 115.
174 Pour plus de détails voir B. Fauvarque-Cosson ; S.
Patris-Godechot, ouvr. préc., p. 107.
175 CJCE, 25 avril 2002, D. 2002. 2462, note Ch.
Larroumet.
176 Voir le détail de L. Leveneur, art. préc.,
in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un
avenir, ouvr. préc., p. 937.
Réformer le Code civil 55
131. En raison des exigences européennes, le
législateur français n'est plus souverain sur le contenu
même du Code. Si l'on en n'était pas déjà convaincu,
la suprématie du droit communautaire est ainsi bien réelle. Ce
propos revêt une certaine gravité si l'on envisage la raison de
notre condamnation, à savoir avoir été plus favorable aux
victimes de dommages causés par des produits défectueux par
rapport à ce que proposait la directive européenne.
Au-delà d'être grave, ce propos peut choquer177, mais
il est justifié : la Cour de justice interprète strictement les
lois de transposition, et ne tient compte que du droit communautaire en vigueur
au moment de l'adoption de la directive. L'arrêt par lequel la France a
été condamnée marque ainsi la véritable perte de
souveraineté de notre législateur national. En effet, le
libellé des directives doit être strictement respecté par
les lois de transposition, telle est la requête de la Cour de justice.
Cette volonté de tout contrôler est aujourd'hui grandissante, pour
certains il s'agit d'une dérive « très sensible Ð dans
l'usage des directives : les directives communautaires sont parvenues à
un tel degré de précision qu'elles ne laissent souvent
guère de marge de liberté aux Parlements nationaux chargés
de les transposer dans l'ordre interne »178. Certes, recopier
mot à mot une directive dans l'ordre interne paraît assez peu
louable, mais le droit français doit satisfaire aux impératifs de
l'harmonisation européenne.
132. Cette perte de souveraineté semble logique en
l'absence de réforme, d'adaptation du droit civil français
à la réalité : la mondialisation et notamment
l'européanisation du droit supplantent le Code civil. Ainsi, en raison
de la nature même du droit communautaire à savoir un droit
puissant, il revient au Code civil de s'adapter et non l'inverse : ce n'est pas
à l'Europe de s'adapter à chaque législation nationale. La
construction européenne se fait non sans perte de liberté pour
les autorités nationales : le législateur français ne peut
maintenir une souveraineté totale et il conviendrait aujourd'hui qu'il
s'y résigne car il ne peut que s'incliner devant le droit communautaire.
Cependant, un juste milieu peut être envisagé : une certaine marge
de manoeuvre doit être laissée au législateur national afin
que la transposition respecte l'harmonie et l'équilibre du droit
interne, notamment du Code civil. Cette proposition n'est réalisable
qu'en présence d'une bonne foi de la part du législateur
français mais également d'une certaine soumission, du moins une
souplesse, de la part législateur européen.
133. Introduire des textes communautaires au sein de notre
Code civil conduit inévitablement à une perte de
souveraineté de ce dernier : le droit européen limite la marge
de
177 Voir G. Viney, « L'interprétation par la CJCE
de la directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des
produits défectueux », JCP 2002, I, 177.
178 B. Oppetit, « L'eurocratie ou le mythe du
législateur suprême », chron. préc., D. 1990,
chron. p. 73.
Réformer le Code civil 56
manoeuvre des Etats, l'impact se ressent sur le rayonnement du
Code. Surtout, le législateur européen et le législateur
national ne sont pas animés par la même logique. En effet,
l'Europe du commerce et son droit sont dominés par des valeurs
marchandes, à mille lieux des valeurs qui dominent le Code civil
à savoir la liberté et la responsabilité. Yves Lequette
résumait cette affirmation de la façon suivante : « ainsi le
droit communautaire qui réduit ici l'homme à sa seule dimension
économique l'emporte sur le droit civil, alors même que celui-ci
s'efforce d'appréhender le civis, le citoyen dans toute sa
complexité et sa diversité »179.
134. La principale difficulté à laquelle se
heurte l'entreprise de réforme civile tient à cette
mésentente moins qu'à la domination du droit européen sur
le droit national. Pourtant cette prolifération de normes
européennes induit nécessairement une réforme du Code
civil. Paradoxalement, la domination précitée fait d'une
entreprise de réforme un objectif quasiment irréalisable. Ainsi,
sans consensus et sans compromis de la part du législateur
français, l'entreprise de réforme est-elle compromise ?
Condamnée ? Cette vision pessimiste doit être envisagée
afin de la combattre : des solutions pour l'avenir sont à
suggérer afin que le droit communautaire ne constitue plus une
concurrence, une entrave, une contrainte au droit national. Le Code civil doit
s'adapter à la réalité européenne afin que le droit
européen devienne pour lui une force, un allié, un soutien qui
lui est vital actuellement au regard de sa piètre posture.
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