Section 2 Ð A l'Europe du commerce
122. Première puissance commerciale de la
planète, l'Union européenne est une économie ouverte : son
commerce de marchandises et de services avec le reste du monde
représente plus d'un tiers de son économie. L'Europe
évolue, son droit aussi, cependant cette évolution semble absente
si l'on se place du point de vue du Code civil français : sans
adaptation, il est « désharmonisé »
(1). Ainsi, le souverain n'est plus législateur
national mais bel et bien le législateur européen. La solution,
si un seul ordre subsiste, pourrait être celle de changer de Code, en
réalité l'adaptation du Code civil à l'Europe du commerce
apparaît plus complexe (2).
§1 - Un Code civil « désharmonisé
» par son Européanisation
123. Pendant bien longtemps, aucune contrainte
extérieure, qu'elle soit internationale ou supranationale, ne s'est
s'exercée sur le Code civil français : le législateur
français en était maître. Aujourd'hui, l'on peut parler
d'une dénationalisation du droit civil français, plus
précisément d'une européanisation : la masse communautaire
pénètre, depuis une cinquantaine d'années162,
notre législation nationale. Le droit communautaire s'impose ainsi aux
juridictions civiles et il prime sur les lois internes françaises. Notre
Code s'en trouve profondément, mais non harmonieusement, modifié
(A). Cela, additionné à la fondamentalisation du
droit civil français évoqué précédemment,
atteint gravement notre Code civil, notamment sa propre souveraineté
(B).
A Ð La législation européenne cause
de modification du Code civil
124. La souveraineté du législateur national
n'est plus totale, il apparaît aujourd'hui évident que le contenu
même du Code est susceptible de substantiellement modifié sous
l'effet de contraintes ou du moins de règles européennes à
savoir le droit de l'Union européenne. Le droit qui nous
intéresse ici est celui de la Communauté économique
européenne instituée par le traité de Rome en date du 25
mars 1957. Ce droit revêt la principale caractéristique d'une
primauté sur notre droit interne, qu'il n'est pas nécessaire
de
Réformer le Code civil 52
réexpliquer. Aussi, ce droit est perpétuellement
source de créations normatives163, ces nouvelles
règles forment le droit communautaire « dérivé
».
125. Cette imbrication du droit européen issu de
directives, de traités, de règlements, dans notre Code civil est
assez récente. Ainsi, au début des années 1990, alors que
plus de 20000 textes européens étaient en vigueur dans la
Communauté économique européenne, aucun prolongement
n'était visible dans le Code civil164. L'influence du droit
communautaire sur le Code est alors récente. Cette prolifération
des sources européennes semble constituer un obstacle bien difficile
à surmonter, en raison de la nature du Code civil : ces nouvelles normes
viennent perturber notre ordre civil national. En 1804, à défaut
de sources internationales, une dimension européenne pouvait
apparaître car existait « une tradition partagée par tous les
peuples policés de l'Europe »165, cependant cette
tradition a été, par les rédacteurs du Code,
nationalisée. En 2015, la réalité est autre : plus de 80%
de notre législation nationale est d'origine communautaire : comment
cette masse affecte-t-elle le Code civil ? Entrave-t-elle une entreprise de
réforme166 ?
126. Le droit civil a longtemps paru insensible à la
construction européenne : si le Doyen Carbonnier n'a souhaité
s'attaquer qu'au domaine du droit de la famille, c'est qu'il pensait que
l'impulsion viendrait de l'Europe s'agissant du droit des
obligations167. Ainsi, l'Europe a fait bouger les choses : une
oeuvre d'harmonisation européenne des législations a
été entreprise afin de supprimer les entraves aux échanges
intracommunautaires (l'objectif étant de permettre la libre circulation
dans le marché commun). De plus, des nouvelles politiques ont
été élaborées par les institutions communautaires.
L'addition de ces deux entreprises a eu pour résultat l'insertion de
textes, de nature européenne, dans le Code civil : l'Europe a
contribué à faire évoluer notre droit. Pourtant, notre
droit civil ne s'adapte pas, ou mal. Des exemples peuvent nous en
convaincre.
127. Ce droit « venu d'ailleurs ou de nulle part
»168 constitue aujourd'hui le contenu d'une partie de notre
Code, en effet des directives communautaires ont été
transposées, directives qui « lient tout État membre
destinataire quant au résultat à atteindre, tout en
163 Voir sur ce point L. Leveneur, « Le Code civil et le
droit communautaire », in 1804-2004, Le Code civil un passé, un
présent, un avenir, ouvr. préc., p. 929 et s. spéc.
p. 931.
164 Voir sur ce point B. Oppetit, « L'eurocratie ou le mythe
du législateur suprême », D. 1990, chron. p. 73.
165 Portalis, Discours de présentation du Code civil
prononcé le 3 frimaire an X.
166 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc.,
p. 106.
167 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 109.
168 J. Carbonier, Droit et Passion du droit sous la
Ve République, Flammarion, 1996, p. 47.
Réformer le Code civil 53
laissant aux instances nationales la compétence quant
à la forme et aux moyens »169. Les mesures de
transposition de directives, dans l'ordre juridique interne, consistent alors
à ajouter des dispositions dans notre Code. Le premier exemple tient
à la directive relative au rapprochement des législations des
Etats membres en matière de responsabilité du producteur pour les
dommages causés par le caractère défectueux de ses
produits, autrement dit la directive sur la responsabilité du fait des
produits défectueux adoptée le 25 juillet 1985. Sur cette
question, le Code civil n'était pas muet : il contenait des textes
relatifs à la garantie des vices cachés, et l'on assistait
à jurisprudence protectrice de la victime. Cette directive a
été transposée en France dix ans après son adoption
et a conduit à l'adjonction d'un titre IV bis du livre III du
Code civil. Ce dernier a ainsi été enrichit de dix-neuf nouveaux
articles. Cependant, l'harmonisation européenne s'est faite par une
superposition de couches de dispositions identiques dans toute l'Europe sur des
règles éventuellement différentes d'un Etat à
l'autre170. Les nouveaux articles ont ainsi peu d'apports, à
part celui peut être, de rendre incohérent le contenu du Code
civil.
128. Un second exemple peut être
envisagé, celui de la directive relative à la signature
électronique, bien que le constat soit différent. Adoptée
le 13 décembre 1999, son objectif était de contribuer à la
reconnaissance de ces signatures mais aussi au développement des
communications et du commerce électronique. A l'inverse de la directive
antérieure, la Frace l'a transposé rapidement. Par une loi du 13
mars 2000, portant adaptation du droit de la preuve aux technologiques de
l'information et relative à la signature électroniques, plusieurs
articles du Code civil ont subi des modifications et l'on a assisté
à des adjonctions. En effet, cette transposition de la directive a
conduit à l'adjonction d'un nouveau chapitre au sein du titre III du
livre III du Code civil « des contrats sous forme électronique
». Le choix de cet emplacement a été fort critiqué et
justifié par certains : il s'agit de dispositions techniques visant des
relations entre un professionnel et ses clients171. Certes, alors
pourquoi avoir transposé cette directive au sein même du Code
civil ? De plus, les dispositions qui en découlent sont maladroites, la
directive ne brille ni par sa clarté ni par ses qualités :
l'incohérence du Code est atteinte en raison de la toute puissante de la
politique de Bruxelles. Si pour certains auteurs, un Etat membre conserve une
importante marge de manoeuvre lors de
169 Art. 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne.
170 Pour plus de détails voir L. Leveneur, art.
préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un
présent, un avenir, ouvr. préc., p. 934.
171 J. Huet, « Le Code civil et les contrats
électroniques » , in 1804-2004, Le Code civil un passé,
un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 539 et s.
spéc. p. 554.
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la transposition d'une directive172, la
réalité est tout autre : le rayonnement du Code demeure
altéré par ces maladroites transpositions. La perte de
souveraineté de notre oeuvre civile est évidente.
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