B - L'interprétation du Code civil aux mains du
juge européen
115. Lorsque les règles du Code civil sont
inchangées, l'idée première consiste à imaginer que
la Convention européenne des droits de l'homme et la Cour
européenne des droits de l'homme n'ont pas d'influence sur celles-ci. En
réalité, il s'agit de l'influence fondamentale de la Convention
européenne des droits de l'homme en tant qu'elle semble constituer une
solution d'avenir. Ainsi, le Code civil et notamment son interprétation
est entre les mains du juge européen, En effet la jurisprudence de la
Cour, sans condamner la France, est susceptible de présenter une plus
grande importance lorsqu'elle touche aux structures intellectuelles du
pays152.
116. Afin d'envisager ce propos, il convient de commencer par
l'étude de ce qui constitue le commencement du Code civil, son titre
préliminaire. Sous l'influence de la Convention européenne des
droits de l'homme, le juge national pourrait modifier ce qui ne l'a jamais
été depuis 1804. Ainsi, certains auteurs 153
considèrent que le contrôle de conventionalité modifie par
sa nature le sens des articles 4 et 5 du titre préliminaire du Code
civil relatifs aux pouvoirs du juge national. Ces articles disposent
respectivement que « Le juge qui refusera de juger, sous
prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la
loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice
» et « Il est défendu aux juges de prononcer par voie
de disposition générale et réglementaire sur les causes
qui leur sont soumises ». Ce contrôle de conventionalité
modifierait alors le sens de ces articles puisqu'il permet au juge
d'écarter la loi incompatible avec le traité.
117. Aujourd'hui, ce titre préliminaire est si
désuet qu'il n'assure plus, à l'instar de l'ensemble du contenu
du Code, la sécurité juridique. Or, la Cour européenne des
droits de l'homme est très sensible à ce principe qui implique
l'accessibilité, la stabilité et la clarté des normes. En
effet, la prééminence du droit est un des principes inspirateurs
de la Convention, la jurisprudence de la Cour y attache une importance
fondamentale. Il convient ainsi d'espérer que les règles du titre
préliminaire du Code civil soient un jour revues par le juge au regard
de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. L'on
peut envisager l'exemple de l'article 2 du Code civil « la loi ne
dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif
». L'interprétation de cet article évolue sous
l'influence de la jurisprudence
152 Ph. Malaurie, art. préc., n°12.
153 C. Willmann, « L'influence de la Convention
européenne des droits de l'homme sur le titre préliminaire du
Code civil », in Le titre préliminaire du Code civil,
coll. « Etudes juridiques », Economica, 2003, p. 19 et s.
spéc. p. 19.
Réformer le Code civil 49
européenne. En droit interne, cet article établi
un principe d'interprétation qui s'impose au juge en l'absence de
manifestation d'une volonté législative154. A
l'inverse, la Cour européenne considère que l'on peut adopter des
lois rétroactives, dans des domaines non
répressifs155. Aujourd'hui, il est inexact d'énoncer
que l'article 2 du titre préliminaire du Code civil ne s'adresse qu'au
juge156 et cette évolution de l'interprétation de cet
article est un des apports le plus fondamental de la Convention
européenne des droits de l'homme sur le Code civil.
118. Les articles 4 et 5 du Code, déjà
cités, doivent être étudiés plus en détails :
sous l'effet d'une lecture européenne, le sens de ces articles
pourraient évoluer. Ce n'est pas le cas de l'article 4, qui est conforme
à l'article 6 de la Convention selon lequel tout justiciable a droit
à un procès équitable, ce qui implique l'accès au
juge. Cependant, Rémy Libchaber considère que l'article 4 a
« masqué tous les risques réels de défaillance de la
justice française »157 et ne répond pas aux
exigences de l'article 6 de la Convention. L'exemple de l'article 5 et plus
significatif : la lettre de cet article est lapidaire, il implique que le juge
interne ne peut pas rendre un arrêt de règlement, celui-ci ne peut
pas lier les autres juges. Pour la Cour Européenne des droits de
l'homme, la règle jurisprudentielle doit être prévisible,
elle doit également être cohérente et constante lorsque les
droits fondamentaux sont en jeu : le juge français n'est pas tenu par
les précédents mais ne peut s'en écarter sans prudence.
Une relecture de l'article 5, sous l'angle européen, permet
d'énoncer que le juge ne doit changer de jurisprudence qu'avec
modération. L'influence de la Convention européenne des droits de
l'homme frappe ainsi le titre préliminaire, cependant il sera
irréel de réduire cette influence au seul titre
préliminaire. En effet, c'est l'ensemble du Code qui est
interprétée sous l'angle européen.
119. Dans un arrêt du 11 décembre
1992158, la Cour de cassation s'est fondée sur l'article 8 de
la Convention qui garantit le secret et la liberté de la vie
privée, ainsi que sur l'article 9 du Code civil qui n'avait vocation
qu'à protéger le secret. Par cet arrêt, la Cour de
154 Civ., 7 juin 1901, S. 1902. 1. 513, note Wahl. C'est une
règle d'ordre public, cette jurisprudence est appliquée
strictement par la Cour de cassation.
155 Arrêt Zielinski, Pradal, Gonzales et autres c.
France, 28 octobre 1999.
156 Sur cette question voir les explications de A. Debet, art.
préc., in 1804-2004, Le Code civil un passé, un
présent, un avenir, ouvr. préc., p. 967.
157 R. Libchaber, « Les articles 4 et 5 du Code civil ou
les devoirs contradictoires du juge civil », in Le titre
préliminaire du Code civil, coll. « Etudes juridiques »,
Economica, 2003, p. 143 et s. spéc. p. 157.
158 Ass. Plén., 11 déc. 1992, JCP 1993.
II. 21991, concl. Jéol, note Mémeteau.
Réformer le Code civil 50
cassation a donné à cet article 9 une nouvelle
valeur, imprévue certes, mais supplémentaire159. Cette
influence de la Convention européenne des droits de l'homme touche alors
tous les domaines : les articles 1382 et 1134 sont deux articles fondamentaux
du Code civil qui prennent un autre sens lorsqu'ils sont
interprétés à la lumière des droits
fondamentaux160.
120. La relation entre Code civil et droits de l'homme est
certes difficile à envisager, mais bien réelle, ce ne sont plus
deux pôles qui évoluent indépendamment. Le Code civil
évolue peu, mais lorsqu'il doit évoluer, la Convention
européenne des droits de l'homme joue un rôle importante et la
jurisprudence de la Cour Européenne implique des modifications du Code :
les droits fondamentaux exercent une influence non négligeable sur
l'avenir du Code. Les droits fondamentaux pénètrent ainsi chaque
jour un peu plus dans le Code civil, sans qu'une réelle réforme
n'ait lieu. La complexité est alors amplifiée,
l'incohérence grandit. Il ne faut pas que la Convention devienne un
instrument de réécriture complète du Code civil, or en
raison de l'interprétation évolutive de la jurisprudence de la
Cour, l'on assiste à une réécriture permanente. Où
est alors la fonction stabilisatrice du droit, inhérente, en principe,
au Code civil ? La loi française, plus précisément le Code
civil, cède devant le juge européen. La solution à
proposer appartient à notre législateur français : il
convient soit de revenir à une conception stricte du droit, sans
envisager les moeurs, soit que la Cour interprète elle aussi strictement
les droits fondamentaux. En effet, la jurisprudence européenne devrait
être une source d'enrichissement de notre droit
national161.
121. Si les droits fondamentaux et leur influence nous ont
conduit à nous interroger sur l'existence même d'une vigueur
encore certaine du Code civil, il convient d'envisager l'émergence de
l'ordre communautaire, plus important encore : le caractère national de
notre Code civil est aujourd'hui profondément remis en cause.
L'adaptation du Code civil à l'Europe est rendue nécessaire par
cette communautarisation du droit. Un Code civil franco-français est
dépassé à l'heure de la construction européenne :
l'Europe du commerce constitue l'avenir du droit civil français,
cependant, sans réforme, le Code civil réceptacle du droit civil,
est « désharmonisé ».
159 J. Hauser, RTD Civ. 1993. 97.
160 Voir A. Debet, art. préc., p. 970 et s.
161 B. Fauvarque-Cosson ; S. Patris-Godechot, ouvr. préc.,
p. 112.
162 Notamment depuis l'arrêt Jacques-Vabre,
Cass. Ch. Mixte 24 mai 1975, D. 1975. 497, concl. Touffait, G.A.
n°2, p.15, obs. F. Terré et Y. Lequette.
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