§2 - La perte de légitimité du Code
civil du fait de la prédominance du juge européen
107. Cette perte de légitimité du Code civil
s'explique par la toute puissante du juge européen. En effet, la
jurisprudence de la Cour européenne des droits l'homme induit une
subordination du Code civil (A) lequel est aujourd'hui interprété
au regard de droits subjectifs par le juge des droits fondamentaux (B).
A Ð Une subordination du Code civil à la
jurisprudence de la Cour européenne
108. L'incompatibilité entre Code civil et Convention
européenne des droits de l'homme est évidente lorsqu'elle
résulte d'une condamnation de la Cour européenne des droits de
l'homme (la Cour). L'article 46 de la Convention dispose que « les Hautes
Parties contractantes s'engagent à se conformer aux décisions de
la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ». Un arrêt de
la Cour peut venir profondément modifier notre droit interne. Pour
certains, une dénonciation évidente doit être faite du
caractère envahissant de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme140. En réalité, cet argument
doit être nuancé, en effet, peu de dispositions du Code civil ont
été soumises au contrôle de la Cour.
109. Surtout, lorsqu'elle a eu à connaître de la
conventionalité de certaines dispositions du Code civil, la Cour n'a pas
condamné la France. Un exemple, dans l'arrêt Odièvre
contre France141, la Cour a constaté une
conformité du droit interne au regard des exigences européennes,
à l'instar de l'arrêt Gnahoré contre
France142 dans lequel elle a reconnu la conventionalité
de l'article 375 du Code. Une certaine lâcheté de la Cour peut
alors lui être reprochée, mais cela semble s'expliquer au regard
de la nature des droits en cause, à savoir des droits civils : ils
régissent les relations entre particuliers, le législateur et les
juges
140 Par exemple Y. Lequette, « D'une
célébration à l'autre (1904-2004) », in
1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un avenir,
ouvr. préc., p. 9 et s. ; Ph. Rémy, « La recodification
civile », art. préc.
141 Arrêt Odièvre contre France, 13
févr. 2003, RTD Civ. 2003. 375, obs. Marguénaud.
142 Arrêt Gnahoré contre France, 19
septembre 2000, Recueil des arrêtés et décisions 2000-IX/
407 ; D. 2001. 725, note Rolin.
Réformer le Code civil 46
internes sont ainsi plus aptes à envisager la
réalité sociale du pays143. Pour autant, le Code civil
a été inéluctablement atteint par le pouvoir de la Cour,
remettant en cause sa cohérence.
110. La subordination du droit civil français à
la Cour européenne des droits de l'homme s'envisage à travers
l'exemple le plus criant, l'arrêt Mazurek144 rendu le
1er février 2000 dans lequel elle a considéré
que les dispositions du Code, limitant la vocation successorale de l'enfant
adultérin en présence d'enfants légitimes, étaient
contraires à la Convention. Un an après cette décision, le
législateur français est enfin intervenu, par le biais de la loi
du 3 décembre 2001145 : le Code civil a ainsi
été modifié en raison d'une condamnation
européenne. La portée des arrêts de la Cour peut alors
être considérable, cependant un problème survient : la
condamnation ne vient que confirmer une évolution existante ou remettre
en cause des dispositions internes très contestées. Ainsi la Cour
ne ferait qu'un acte de constatation et non d'évolution et ses
décisions n'apporteraient pas de révolution dans l'ordre
juridique interne.
111. Affirmer que la Cour ne met qu'à l'ordre du jour
des problèmes réels peut s'avérer véridique, mais
si cela permet une réforme, comme cela a pu être le cas avec
l'arrêt Mazurek, il ne faut pas s'en priver. Sans cette
condamnation, qui sait combien de temps aurait pu prendre cette modification du
Code civil ? Aucune réponse ne peut être apportée à
cette question, cependant là n'est pas le coeur du problème. En
effet, par l'arrêt Mazurek, c'est toute la marge
d'appréciation laissée aux Etats qui est remise en cause. Les
lois et la jurisprudence civile de chaque Etat membre de l'Union
européenne n'échappent plus à la censure de la Cour, et la
jurisprudence de la celle-ci va très loin : elle estime146,
à l'inverse de la jurisprudence française, que la Convention a
une autorité supérieure non seulement à celles des lois
ordinaires, mais encore à celle de la Constitution147. Une
telle autonomie de la jurisprudence de la Cour n'est pas acceptable : le
législateur national n'est rien si une seule voix peut le bloquer.
143 Explication de A. Debet, art. préc., in 1804-2004,
Le Code civil un passé, un présent, un avenir, p. 958.
144 Arrêt Mazureck c. France, 1er
févr. 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-II/ 1 ;
JCP 2000. II. 10286, note Gouttenoire-Cornut et Sudre ; RTD Civ.
2000. 311, obs. Hauser ; RTD Civ. 2000. 429, obs.
Marguénaud ; RTD Civ. 2000. 601, obs. Patarin.
145 Loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 relative
aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et
modernisant diverses dispositions du droit successoral.
146 CEDH, 30 janvier 1998, Parti communiste unifié de
Turquie c/Turquie, Rec. 1998-1/1.
147 J. Foyer, « Le Code civil de 1945 à nos jours
», in 1804-2004, Le Code civil un passé, un présent, un
avenir, ouvr. préc., p. 275 et s. spéc. p. 291
Réformer le Code civil 47
112. Le Code civil n'est ainsi plus la « charte positive
de nos droits fondamentaux dans les rapports privés
»148, aujourd'hui c'est tout le Code civil qui est ouvert au
contrôle de conventionalité, en raison d'une Cour
européenne très active qui contraint les Etats membres à
des mesures de nature à assurer le respect des droits de l'homme dans
les relations entre individus. La situation peut être
résumée de la manière suivante149 : le livre
1er du Code est sous l'emprise des articles 8 et 14 de la
Convention. Si l'on adjoint à cette emprise le principe de
proportionnalité, le contrôle du Code est assuré par le
juge des droits de l'homme. Le Code civil n'a plus de vigueur propre, puisque
le juge européen peut vérifier une proportionnalité entre
un droit fondamental et les intérêts de la société :
il s'estime investi du pouvoir de procéder à une
interprétation évolutive et progressiste du Code. Les droits
fondamentaux proclamés par cette Convention sont pragmatiques,
évolutifs, dynamiques, l'Europe est ainsi « maitresse des valeurs
auxquelles elle est subordonnée et c'est une maîtresse inconstante
»150.
113. La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est ainsi
très évolutive et permet de remettre en cause, en moins de temps
qu'il ne faut pour le dire, des principes bien établis au sein des
législations des Etats membres. Le juge européen ne statue pas
à partir d'une réalité objective, mais au regard d'un
droit fondamental : notre Code civil ne peut ainsi plus établir un
véritable ordre civil, « la fondamentalisation du droit civil
conduit à la volatilité de solutions et à l'exaltation des
intérêts particuliers »151 : les droits
fondamentaux conduisent à la confrontation entre individus et non
à l'unité. Cependant, en raison de la hiérarchie des
normes, ces principes sont imposés par la Cour malgré les
tentatives de l'ordre civil français : emmaillotée entre
l'intérêt national et la domination strasbourgeoise, l'entreprise
de réforme du Code civil sera bien difficile à mettre en
oeuvre.
114. Cette difficile mise en oeuvre, qui s'explique par la
toute puissante du juge européen, demeure plus flagrante encore lorsque
l'on se place au niveau de l'interprétation qu'exerce ce juge sur notre
Code civil.
148 Ph. Rémy, art. préc., in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 116.
149 Pour plus de détails voir J.-P. Marguénaud,
« L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur
le droit français des obligations », in Le renouvellement des
sources du droit des obligations, L.G.D.J, 1997. 45.
150 Ph. Malaurie, « La Convention européenne des
droits de l'homme et le droit civil français », art.
préc., n°9.
151 Y. Lequette, « Le Code civil est la
prolifération des sources internationales », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 187.
Réformer le Code civil 48
|