B - Une incompatibilité en pratique : la
subjectivisation du droit positif
100. Au nom des droits de l'homme, droits subjectifs, la
Convention européenne des droits de l'homme accompagnée de la
Cour de Strasbourg établissent un nouveau corps de droit. Celui-ci n'est
pas sans poser de problème avec l'ancien corps de droit : notre Code
civil. Ce nouveau corps de droits fait ainsi éclater le droit positif
actuel129. Cet éclatement doit être la source d'une
adaptation afin de régler l'incompatibilité, à savoir la
subjectivisation du droit positif et ainsi laisser place à une
cohérence nouvelle.
101. Les droits de l'homme sont incontestablement l'avenir du
droit, bien que certains soient très nuancés sur la
question130. La véritable question se situe sur un autre
plan, les droits de l'homme sont-ils l'avenir du Code civil ? L'influence que
la Convention exerce sur notre oeuvre symbolique est incontestable. Cette
influence peut être appréciée d'un regard optimiste, c'est
notre cas, ou plus tristement, d'un regard pessimiste, regard qui conduit
à énoncer que la Convention déstabilise notre Code,
représente un obstacle à sa cohérence. Il n'est pas
ironique d'énoncer que sa cohérence n'a pas attendu
l'avènement des droits fondamentaux pour être
ébranlée. Pourtant, la complémentarité
théorique du Code civil et de la Convention européenne des droits
de l'homme est réduite aujourd'hui à néant tant les
relations entre ces deux types de normes sont houleuses, sources d'une
incompatibilité : le droit positif se subjectivise. L'antinomie des
termes est évident, c'est pour cette raison qu'une adaptation du Code
est nécessaire, vitale.
102. Cette subjectivisation du droit positif trouve sa source
par l'intégration, dans l'ordre juridique française, de la
Convention européenne des droits de l'homme en 1974 mais, surtout, de
l'acceptation précitée du droit de recours individuel offert
à toute personne. Aujourd'hui, sous l'influence des droits fondamentaux,
l'importance moindre que revêt le droit positif français doit
être étudiée. Cette influence est telle que le contenu du
Code en est affecté, le législateur intervient en effet dans
l'hypothèse où ce contenu apparaît incompatible avec les
droits garantis par la Convention. Cette intervention est, de prime abord, une
réelle avancée et paraît nécessaire. Certes, mais la
subjectivisation du droit positif rend notre Code civil incohérent.
129 Ph. Malaurie, « La Convention européenne des
droits de l'homme et le droit civil français », art.
préc.
130 D. Gutmann, « Les droits de l'homme sont-ils l'avenir
du droit ? », in L'avenir du droit, Mélanges en hommage
à François Terré, Dalloz, PUF, Editions du
Juris-Classeur, 1999, p. 330 et s.
Réformer le Code civil 43
103. Le Code civil est vieillissant, nos droits civils
nationaux sont alors remaniés par des droits fondamentaux par nature
plus humains, compatibles avec la réalité sociale car attentifs
aux personnes. Cependant cette idéalisation doit être
nuancée : la « fondamentalisation » du droit civil a pour
corolaire une subjectivisation de celui-ci131. Cette
subjectivisation n'est pas compatible avec l'esprit du Code civil, celui de
définir un ordre civil. La réforme civile en est alors l'objet.
Le droit civil matérialisé dans notre Code est le socle de
l'organisation de la société : son attention est portée
sur les relations des membres de cette société, le modèle
qu'il édicte permet à chacun de prévoir la portée
de ses actes, d'agir en conséquence. A l'inverse, les droits
fondamentaux s'intéressent à l'individu lui-même et non
à ses relations : la personne prime, c'est la représentation
même du droit subjectif. Ainsi la subjectivisation du droit civil conduit
à envisager notre système juridique comme définit autour
de l'individu, comme un « droit civil entièrement revisité
par les droits fondamentaux132 ». Ce n'est pas la nature du
Code civil que d'être une compilation de droits subjectifs. Celui-ci doit
refléter la vision d'une société. De fait, si n'importe
quel droit fondamental peut remettre en cause le modèle qu'incarne le
Code civil, il n'y a plus de Code civil. Ce Code, pour être effectif,
doit être stable et la « fondamentalisation » de ses droits ne
le permet pas. Aujourd'hui, les règles civiles contenues dans notre Code
ont pour mission de coordonner les intérêts de tous au regard
d'une certaine vision de la société, cependant elles sont
dépourvues de vigueur propre puisque les droits fondamentaux peuvent les
remettre en cause.
104. Les droits fondamentaux constituent certes l'avenir du
Code civil, seulement et seulement si le législateur intervient pour
remettre de l'ordre dans cette incohérence. La nature de ces droits
subjectifs appuie cet argument. Le Code civil est un texte à valeur
législative et non à valeur constitutionnelle (à
l'exception de quelques textes). Sa valeur législative fait de lui un
texte inférieur aux traités internationaux133. Ainsi,
le contenu même du Code civil doit être modifié lorsqu'il
est contraire à ce qu'édicte la Convention européenne des
droits de l'homme. Pourtant, cette Convention est ignorée des
réformes entreprises du droit civil. L'on peut citer la loi du 29
juillet 1994 sur le respect du corps humain134 ou bien la
131 Y. Lequette, « Le Code civil est la
prolifération des sources internationales », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 187.
132 Y. Lequette, ibidem.
133 Art. 55 de la Constitution de 1958.
134 Loi n° 94-653 sur le respect du corps humain.
Réformer le Code civil 44
loi du 8 janvier 1993135 relative à
l'autorité parentale sont des réformes qui n'ont pas
été influencées par la Convention européenne des
droits de l'homme : « les instruments juridiques internes et
l'évolution de la société française suffisaient
à eux seuls à justifier les changements du Code civil
adoptés »136. Fort heureusement, la menace de
l'éventualité d'une condamnation par la Cour européenne
des droits de l'homme a poussé le législateur à agir :
c'est l'exemple de la loi du 22 janvier 2002 concernant l'accès aux
origines137.
105. Pour certains, il s'agirait d'une instrumentalisation de
la Convention européenne des droits de l'homme afin de justifier une
modification du Code civil138. En réalité, il s'agit
de modifications nécessaires, sur lesquelles le législateur
actuel devrait prendre exemple afin de réformer l'ensemble du Code
civil. Ainsi, sans tomber dans un Code civil rempli de droits subjectifs, il
s'agirait de le réformer en tenant compte, sans les ignorer, des droits
fondamentaux. En effet, leur importance nous empêche de les laisser de
côté. Aujourd'hui notre Code civil est instable, incohérent
et vieillissant : autant d'arguments qui pourraient engendrer une condamnation
de la France en raison de l'exigence européenne relative à la
stabilité et à la clarté des normes : les lois doivent,
selon la Cour européenne des droits de l'homme, être
accessibles139. Au regard de l'accessibilité au droit, ce que
ne garantit plus notre Code civil, la Cour européenne a malheureusement
toujours considéré que les dispositions de notre Code
étaient accessibles. Cependant, s'agissant de l'instabilité, la
prévisibilité des normes civiles n'est plus assurée, en
raison des multiplications des lois, des modifications constantes. Une
réforme d'envergure est ainsi nécessaire afin de mettre le droit
français en conformité avec la Convention européenne des
droits de l'homme. Cette réforme semble difficile à mettre en
oeuvre puisque l'influence de la Convention sur le contenu du Code civil est
faible : peu de modifications interviennent à ce propos. A l'inverse,
notre droit positif se subjectivise, le paradoxe est considérable.
106. En réalité, il apparait que la
réelle influence des droits de l'homme, des droits fondamentaux est
exercée, non pas de manière indirecte par le législateur,
mais de manière directe et cela par le juge. En effet, l'influence de la
Convention européenne est phénoménale s'agissant de
l'interprétation du Code civil. Le contenu du Code est ainsi directement
modifié,
135 Loi n°93-22 du 8 janvier 1993 relative à
l'état civil, à la famille, aux droits de l'enfant et au juge des
affaires familiales.
136 A. Debet, « Le Code civil et la convention
européenne des droits de l'homme », in 1804-2004, Le Code civil
un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p. 953
et s. spéc. p. 960.
137 Loi n°2002-93 du 22 janvier 2002 relative à
l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de
l'Etat.
138 A. Debet, art. préc., in 1804-2004, Le Code civil
un passé, un présent, un avenir, ouvr. préc., p.
961.
139 CEDH, 26 avril 1976, Sunday Times c/ Royaume-Uni,
série A, n° 30, Rec. p. 31, § 49.
Réformer le Code civil 45
celui-ci souffrant d'une perte de légitimité
considérable, entraînant dans sa perte le juge français.
|