CHAPITRE 2 - ADAPTER À L'EUROPE
92. Le Code civil n'est plus un code, il est devenu,
malgré lui, un recueil de lois civiles. Si ce constat revêt une
certaine gravité, celle-ci se démultiplie si l'on envisage
l'esprit du Code au-delà de son corps. A l'origine, l'unité du
droit civil français, la réduction de l'ordre civil à la
loi et enfin la rationalité de cet ordre constituaient les piliers du
Code civil. Aujourd'hui, sous l'effet d'une « post modernité
»121, ces trois piliers ne sont plus les « raisons
d'être » du Code civil. Ainsi, il faut adapter le Code civil, du
fait d'une dénationalisation du droit civil, plus
précisément en raison de l'Européanisation de ce droit.
93. Adapter le Code civil à l'Europe postule d'une
double épreuve. D'une part, l'adaptation à l'Europe des droits de
l'homme (Section 1), aujourd'hui l'on assiste en effet
à une expansion des droits individuels sous la forme radicale des droits
de l'homme. D'autre part, à l'Europe du commerce (Section
2). Cette prolifération de sources européennes est un
des obstacles, surmontable, qui se place sur la route d'une réforme du
droit civil. Il faut redonner au Code civil son statut de « livre de
référence »122, cependant ces deux pôles,
que sont l'Europe du commerce et l'Europe des droits de l'homme, exercent une
domination sur les sources internes. Il convient ainsi d'envisager la
façon de concilier sources internes et sources communautaires.
Section 1 - A l'Europe des droits de l'homme
94. La Convention européenne des droits de l'homme
exerce une influence sur le devenir du texte fondateur, le Code civil. Ainsi,
les droits de l'homme constituent-t-il l'avenir du droit civil
(1) ? En raison de la réponse nuancée, l'avenir
du Code civil, sans adaptation autrement dit sans réforme, est sombre :
sa légitimité est atteinte du fait de la toute puissante du juge
européen des droits de l'homme (2).
§1 - L'avenir du droit civil : les droits de l'homme
?
95. Si l'avenir du droit civil repose entre les mains des
droits de l'homme, la théorie voudrait qu'existe entre droits
fondamentaux et droits civils, deux pôles originellement distincts, une
frontière bien étanche (A). En pratique, la
réalité est bien différente : notre droit civil
français, droit positif, est aujourd'hui subjectivisé
(B).
121 Terme employé par Ph. Rémy, « Regards sur
le Code », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p.
113.
122 J. Carbonnier, « Le Code civil », in
Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, t. 1, 1997 p. 1345.
Réformer le Code civil 40
A - Une frontière théorique
étanche entre droits civils et droits fondamentaux
96. En théorie, droits de l'homme et Code civil
constituent deux réalités auxiliaires, additionnelles. En effet,
la spécificité d'une Europe et notamment d'une idéologie
juridique européenne est le fruit d'une corrélation entre
codifications des droits nationaux et déclarations des droits
subjectifs123. Une définition du terme « droits
fondamentaux » est nécessaire. Il s'agit en effet d'une formule
floue, difficile à définir et, ni la Cour européenne des
droits de l'homme, ni la Cour de justice, ne donnent une définition de
ce terme. Il s'agirait des droits « essentiels tant à l'ordre
juridique qui les porte qu'à l'humanité même de leurs
titulaires »124. Une exhaustivité d'une liste des droits
fondamentaux est alors impossible. L'emploi ici du terme « droits
fondamentaux » consistera à designer des droits
protégés et surtout proclamés par une juridiction.
97. La coexistence entre droits civils (ici le Code civil) et
droits fondamentaux devraient ainsi être naturelle et se passer sans
heurts. Cette coexistence tranquille tirerait sa source de la nature même
des droits fondamentaux : les droits de l'homme sont des déclarations de
principe, leur portée est ainsi limitée à des
considérations morales ou philosophiques. Historiquement, ces
affirmations sont exactes. En 1804, droits de l'homme et droit civil
évoluaient sans contact, dans des univers opposés. En effet
à l'origine, les droits fondamentaux étaient définis de
sorte que le droit civil soit laissé hors de leur emprise : notre Code
civil avait ainsi toute sa raison d'être, les normes qu'il
édictait n'étaient pas sous l'emprise d'autres droits, d'une
nature différente de la sienne. Ces droits fondamentaux avaient pour
objectif de prévenir une possible réitération des horreurs
perpétrées par les régimes totalitaires125,
à protéger le citoyen contre l'action de l'Etat qui aurait pu
apparaitre arbitraire. Des exemples appuient ce propos, notamment les articles
8 et de 12 de la Convention européenne des droits de l'homme (la
Convention), relatifs respectivement au droit au respect de la vie
privée ou de la vie familiale et au droit au mariage. Ces articles, en
raison de leur contenu, auraient pu apparaître contraires, en opposition
ou bien superflus à nos articles du Code civil, par exemple à
l'article 9 du Code également relatif au droit au respect de la vie
privée. Pourtant, tel n'était pas le cas, puisque ces articles 8
et 12 n'avaient pour seul objectif la prévention des risques
précités.
123 A.-J. Arnaud, « Ces âpres particularismes...
», Droits, 1991, p. 17 et s., spéc. p. 20.
124 E. Picard, « Droits fondamentaux », in
Dictionnaire de la culture juridique.
125 Y. Lequette, « Le Code civil est la
prolifération des sources internationales », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 186.
Réformer le Code civil 41
98. Le constat est le suivant : à l'origine et en
théorie, droits subjectifs et droits civils ne souffraient d'aucune
hiérarchie, ils reposaient sur la base d'une
complémentarité. Une telle affirmation, si elle était
encore exacte aujourd'hui, ne menacerait en rien la légitimité de
l'ensemble de nos règles de droits civils, autrement dit notre Code
civil. A présent, il en va autrement : l'ensemble des pays qui
adhèrent à la Convention européenne des droits de l'homme
ont, par leur acceptation, accepté le droit de recours individuel devant
la Cour de Strasbourg. Ainsi, les droits de l'homme ne sont plus seulement des
données gouvernées par des considérations morales et
philosophiques, mais ils regroupent des données positives d'une
importance considérable. Ce droit de recours individuel devant la Cour
de Strasbourg, autrement dit le contrôle de conventionalité,
constitue un contrôle a posteriori, exercé à l'initiative
de tout intéressé. Cette Cour a ainsi, au fil des années,
dépassé le but premier des droits de l'homme à savoir
prévenir de l'arbitraire126. Désormais, tous les
droits subjectifs doivent être protégés, il s'agit ainsi de
défendre l'individu contre l'Etat mais également de garantir
« l'exercice effectif par l'Etat »127 de ces droits. La
Convention européenne des droits de l'homme peut ainsi
réglementer le comportement des personnes privées : tel est
l'effet horizontal de la Convention. Cette considération fait
inévitablement naître des conséquences directes sur notre
droit civil et sur son contenant, le Code civil. Les droits civils des Etats
membres de l'Union européenne, ici la France, doivent ainsi se soumettre
aux droits fondamentaux. Si le droit civil français ne vaut plus rien,
s'il n'est pas conforme aux droits de l'homme, quelle place tient-il
désormais aux côtés d'un droit de tous les droits ?
99. Cette question peut être reformulée de la
façon suivante : « L'idéologie des droits de l'homme
est-elle compatible avec l'existence d'un véritable ordre civil ?
»128. La montée en puissance de tels droits que
constituent les droits de l'homme, des droits plus fondamentaux encore que
l'ensemble des droits civils dont le Code civil en est la
représentation, doit en effet pousser à la réflexion.
Aujourd'hui, la régulation sociale prend la forme d'une affirmation de
droits subjectifs, ces droits subjectifs ayant la caractéristique
supplémentaire d'être des droits subjectifs fondamentaux. Ainsi
n'y a-t-il pas une incompatibilité avec notre Code civil ?
126 A. Debet, L'influence de la Convention
européenne des droits de l'homme sur le droit civil, thèse
Paris-II, 2001.
127 Ph. Malaurie, « La Convention européenne des
droits de l'homme et le droit civil français », JCP 2002.
I.143, n°6.
128 Question posée par Y. Lequette, « Le Code civil
est la prolifération des sources internationales », in Livre du
Bicentenaire, ouvr. préc., p. 185.
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