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Réformer le code civil.

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par Anaïs Bodenes
Université Rennes 1 - Master 2 Droit privé général 2014
  

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CHAPITRE 2 - ADAPTER À L'EUROPE

92. Le Code civil n'est plus un code, il est devenu, malgré lui, un recueil de lois civiles. Si ce constat revêt une certaine gravité, celle-ci se démultiplie si l'on envisage l'esprit du Code au-delà de son corps. A l'origine, l'unité du droit civil français, la réduction de l'ordre civil à la loi et enfin la rationalité de cet ordre constituaient les piliers du Code civil. Aujourd'hui, sous l'effet d'une « post modernité »121, ces trois piliers ne sont plus les « raisons d'être » du Code civil. Ainsi, il faut adapter le Code civil, du fait d'une dénationalisation du droit civil, plus précisément en raison de l'Européanisation de ce droit.

93. Adapter le Code civil à l'Europe postule d'une double épreuve. D'une part, l'adaptation à l'Europe des droits de l'homme (Section 1), aujourd'hui l'on assiste en effet à une expansion des droits individuels sous la forme radicale des droits de l'homme. D'autre part, à l'Europe du commerce (Section 2). Cette prolifération de sources européennes est un des obstacles, surmontable, qui se place sur la route d'une réforme du droit civil. Il faut redonner au Code civil son statut de « livre de référence »122, cependant ces deux pôles, que sont l'Europe du commerce et l'Europe des droits de l'homme, exercent une domination sur les sources internes. Il convient ainsi d'envisager la façon de concilier sources internes et sources communautaires.

Section 1 - A l'Europe des droits de l'homme

94. La Convention européenne des droits de l'homme exerce une influence sur le devenir du texte fondateur, le Code civil. Ainsi, les droits de l'homme constituent-t-il l'avenir du droit civil (1) ? En raison de la réponse nuancée, l'avenir du Code civil, sans adaptation autrement dit sans réforme, est sombre : sa légitimité est atteinte du fait de la toute puissante du juge européen des droits de l'homme (2).

§1 - L'avenir du droit civil : les droits de l'homme ?

95. Si l'avenir du droit civil repose entre les mains des droits de l'homme, la théorie voudrait qu'existe entre droits fondamentaux et droits civils, deux pôles originellement distincts, une frontière bien étanche (A). En pratique, la réalité est bien différente : notre droit civil français, droit positif, est aujourd'hui subjectivisé (B).

121 Terme employé par Ph. Rémy, « Regards sur le Code », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 113.

122 J. Carbonnier, « Le Code civil », in Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, t. 1, 1997 p. 1345.

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A - Une frontière théorique étanche entre droits civils et droits fondamentaux

96. En théorie, droits de l'homme et Code civil constituent deux réalités auxiliaires, additionnelles. En effet, la spécificité d'une Europe et notamment d'une idéologie juridique européenne est le fruit d'une corrélation entre codifications des droits nationaux et déclarations des droits subjectifs123. Une définition du terme « droits fondamentaux » est nécessaire. Il s'agit en effet d'une formule floue, difficile à définir et, ni la Cour européenne des droits de l'homme, ni la Cour de justice, ne donnent une définition de ce terme. Il s'agirait des droits « essentiels tant à l'ordre juridique qui les porte qu'à l'humanité même de leurs titulaires »124. Une exhaustivité d'une liste des droits fondamentaux est alors impossible. L'emploi ici du terme « droits fondamentaux » consistera à designer des droits protégés et surtout proclamés par une juridiction.

97. La coexistence entre droits civils (ici le Code civil) et droits fondamentaux devraient ainsi être naturelle et se passer sans heurts. Cette coexistence tranquille tirerait sa source de la nature même des droits fondamentaux : les droits de l'homme sont des déclarations de principe, leur portée est ainsi limitée à des considérations morales ou philosophiques. Historiquement, ces affirmations sont exactes. En 1804, droits de l'homme et droit civil évoluaient sans contact, dans des univers opposés. En effet à l'origine, les droits fondamentaux étaient définis de sorte que le droit civil soit laissé hors de leur emprise : notre Code civil avait ainsi toute sa raison d'être, les normes qu'il édictait n'étaient pas sous l'emprise d'autres droits, d'une nature différente de la sienne. Ces droits fondamentaux avaient pour objectif de prévenir une possible réitération des horreurs perpétrées par les régimes totalitaires125, à protéger le citoyen contre l'action de l'Etat qui aurait pu apparaitre arbitraire. Des exemples appuient ce propos, notamment les articles 8 et de 12 de la Convention européenne des droits de l'homme (la Convention), relatifs respectivement au droit au respect de la vie privée ou de la vie familiale et au droit au mariage. Ces articles, en raison de leur contenu, auraient pu apparaître contraires, en opposition ou bien superflus à nos articles du Code civil, par exemple à l'article 9 du Code également relatif au droit au respect de la vie privée. Pourtant, tel n'était pas le cas, puisque ces articles 8 et 12 n'avaient pour seul objectif la prévention des risques précités.

123 A.-J. Arnaud, « Ces âpres particularismes... », Droits, 1991, p. 17 et s., spéc. p. 20.

124 E. Picard, « Droits fondamentaux », in Dictionnaire de la culture juridique.

125 Y. Lequette, « Le Code civil est la prolifération des sources internationales », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 186.

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98. Le constat est le suivant : à l'origine et en théorie, droits subjectifs et droits civils ne souffraient d'aucune hiérarchie, ils reposaient sur la base d'une complémentarité. Une telle affirmation, si elle était encore exacte aujourd'hui, ne menacerait en rien la légitimité de l'ensemble de nos règles de droits civils, autrement dit notre Code civil. A présent, il en va autrement : l'ensemble des pays qui adhèrent à la Convention européenne des droits de l'homme ont, par leur acceptation, accepté le droit de recours individuel devant la Cour de Strasbourg. Ainsi, les droits de l'homme ne sont plus seulement des données gouvernées par des considérations morales et philosophiques, mais ils regroupent des données positives d'une importance considérable. Ce droit de recours individuel devant la Cour de Strasbourg, autrement dit le contrôle de conventionalité, constitue un contrôle a posteriori, exercé à l'initiative de tout intéressé. Cette Cour a ainsi, au fil des années, dépassé le but premier des droits de l'homme à savoir prévenir de l'arbitraire126. Désormais, tous les droits subjectifs doivent être protégés, il s'agit ainsi de défendre l'individu contre l'Etat mais également de garantir « l'exercice effectif par l'Etat »127 de ces droits. La Convention européenne des droits de l'homme peut ainsi réglementer le comportement des personnes privées : tel est l'effet horizontal de la Convention. Cette considération fait inévitablement naître des conséquences directes sur notre droit civil et sur son contenant, le Code civil. Les droits civils des Etats membres de l'Union européenne, ici la France, doivent ainsi se soumettre aux droits fondamentaux. Si le droit civil français ne vaut plus rien, s'il n'est pas conforme aux droits de l'homme, quelle place tient-il désormais aux côtés d'un droit de tous les droits ?

99. Cette question peut être reformulée de la façon suivante : « L'idéologie des droits de l'homme est-elle compatible avec l'existence d'un véritable ordre civil ? »128. La montée en puissance de tels droits que constituent les droits de l'homme, des droits plus fondamentaux encore que l'ensemble des droits civils dont le Code civil en est la représentation, doit en effet pousser à la réflexion. Aujourd'hui, la régulation sociale prend la forme d'une affirmation de droits subjectifs, ces droits subjectifs ayant la caractéristique supplémentaire d'être des droits subjectifs fondamentaux. Ainsi n'y a-t-il pas une incompatibilité avec notre Code civil ?

126 A. Debet, L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit civil, thèse Paris-II, 2001.

127 Ph. Malaurie, « La Convention européenne des droits de l'homme et le droit civil français », JCP 2002. I.143, n°6.

128 Question posée par Y. Lequette, « Le Code civil est la prolifération des sources internationales », in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 185.

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