B - Les solutions au vieillissement : la
modernisation
86. Le vieillissement du symbole d'unité que constitue
le Code civil n'est plus à démontrer, il est effectif et conduit
ce dernier à une mort annoncée. Il est voué à
disparaître en tant que forme du droit commun français et
expression d'une civilisation juridique. Le Code civil est aujourd'hui en
décalage par rapport à la réalité
économique, sociale et même à la réalité
juridique, il ne peut plus servir de cadre, de modèle. Pour que notre
Code retrouve sa nature de « monument du droit»116, de
« ciment de la société »117 une
cohérence doit être retrouvée.
87. La modernisation du Code civil, remède au
vieillissement doit s'envisager à travers la sécurité
juridique : il s'agit là d'une fin principale à laquelle tend
toute codification118. La nature même d'un Code demeure la
réunion de l'ensemble des dispositions législatives en vigueur.
Si le Code est sans lacune, c'est à dire complet et exhaustif, le droit
le devient également et la sécurité juridique est
retrouvée. En effet, un Code complet est ainsi lisible,
prévisible, à l'inverse il échappe à l'arbitraire
du juge et au phénomène de jurisprudence législative. Un
droit complet interdit donc le recours à des principes subjectifs,
incertains tels que l'équité. La modernisation induit ainsi la
cohérence, celle-ci ayant pour conséquence la
sécurité juridique. Cependant, ce cercle vertueux participe sans
doute d'une utopie, celle d'une confiance illimitée en la loi.
116 G. Cornu, « Un Code civil n'est pas un instrument
communautaire », D. 2002, chron., p. 351.
117 Y. Lequette, « Quelques remarques à propos du
projet de Code civil européen de Monsieur Von Bar », D.
2002, chron., p. 2202.
118 P. Malaurie, « L'utopie et le Bicentenaire du Code civil
», in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 5
119 Il s'agit la d'une idée de R. Libchaber reprise par
Th. Revet, « La recodification, entre tentation et illusions »,
in Livre du Bicentenaire, ouvr. préc., p. 461.
Réformer le Code civil 37
88. La modernisation peut-elle ainsi se passer d'un objectif
concret mais impossible telle que la sécurité juridique ? En
effet, la modernisation du droit civil est nécessaire. Réformer
le Code civil c'est ainsi le moderniser. Sans envisager, pour le moment, une
technique particulière et précise de réforme (voir infra
§151 et suivants), il convient d'éluder la question d'une
réactualisation du Code civil. D'une part, les dispositions
désuètes doivent être éradiquées : le
vieillissement du droit des biens est considérable, cette matière
n'est plus aujourd'hui du droit commun : les notions dépassées
mais pourtant nécessaires devraient ainsi rejoindre d'autres codes,
comme celui du Code rural119. Un toilettage systématique
s'impose également s'agissant de la responsabilité civile.
89. La modernisation du Code doit être
réalisée à travers une réécriture de
certaines dispositions. Ainsi, à la différence d'une
éviction des dispositions désuètes, il s'agit ici d'une
simple modification. Certaines règles ont été
partiellement modifiées, précisées par la jurisprudence,
cependant il s'agit d'une source d'imperfections et de grands
dérèglements. L'article 1129 en est la preuve, celui-ci dispose :
« Il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins
déterminée quant à son espèce. La quotité de
la chose peut être incertaine, pourvu qu'elle puisse être
déterminée ». Ne pourrait-on pas, comme le suggère
Thierry Revet, inscrire l'exigence d'objectivité autrement dit
d'extériorité à la volonté unilatérale de
l'un des contractants ? Ce n'est malheureusement pas la voie choisie par le
législateur. En effet, le projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations prévoit un article 1162 selon lequel « L'obligation a
pour objet une prestation présente ou future. Celle-ci doit être
possible et déterminée ou déterminable. La prestation est
déterminable lorsqu'elle peut être déduite du contrat ou
par référence aux usages ou aux relations antérieures des
parties ». Aucune trace d'objectivité ici.
90. Enfin, la modernisation doit s'analyser au regard de
l'adjonction de dispositions c'est à dire d'ajouts. Il s'agirait ainsi
d'intégrer les créations prétoriennes, intégration
qui peut s'apparenter à un remède au vieillissement. Mais
adjoindre la jurisprudence au Code, ce n'est pas réformer, le Code
deviendrait alors saturé, peut-être l'est-il même
déjà. La recodification passe ainsi par l'innovation afin de
remettre le droit civil en paix avec son temps. La survie du Code civil postule
donc d'une recodification.
Réformer le Code civil 38
91. En résumé, le Code civil
est « à bout de souffle »120 et la valeur
sentimentale qu'il peut revêtir pour le plus grand nombre ne suffit plus
à le maintenir en tant qu'oeuvre symbole d'unité. Il n'est plus
homogène, a perdu de sa cohérence, ne contient plus l'ensemble du
droit civil. Pire, il est source d'insécurité juridique,
inaccessible pour tous, obsolète. A l'aide du Code, il est impossible
d'appréhender le droit civil français à moins de se
plonger dans une abondante jurisprudence. La réforme est
nécessaire, vitale, ses défauts en témoignent. La
nécessité de la réforme revêt cependant une autre
facette, plus importante encore. Certes le Code est défectueux au plan
interne, il est impératif de remédier à ses
défauts, mais l'adaptation à l'Europe apparaît aujourd'hui
primordiale : le débat se situe désormais au niveau
européen.
120 D. Tallon, « L'avenir du Code civil en
présence des projets d'unification européenne du droit civil
», in 18042004, Le Code civil un passé, un présent, un
avenir, ouvr. préc., spéc. p. 1001
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