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Secteur publicitaire. Une révolution industrielle mise en évidence par l'échec de la fusion publicis-omnicom.

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par Clément MERILLET
CNAM - Analyse Stratégique Industrielle et Financière 2014
  

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C. Annonce de l'abandon du projet

Le 9 mai 2014, après 10 mois de pourparlers, les deux groupes annoncent conjointement par communiqué de presse10 11 sur leur site internet respectif, qu'ils mettent un terme au projet de fusion d'un commun accord, dans les termes suivants: « Les difficultés encore à surmonter ajoutées à la lenteur du processus ont créé un niveau d'incertitude préjudiciable aux intérêts des deux groupes, de leurs salariés, de leurs clients et de leurs actionnaires. Nous avons donc décidé ensemble de reprendre notre route de manière indépendante. Nous resterons bien sûr des concurrents tout en conservant l'un pour l'autre un très grand respect ».

Sans être exhaustif, il est aisé de comprendre dans quelle mesure la longueur du processus pouvait s'avérer préjudiciable aux intérêts de part et d'autre.

Les salariés craignant des plans sociaux pouvaient être sujets à une baisse de motivation pendant toute cette période intermédiaire, ce qui occasionnerait potentiellement une baisse de dynamisme des deux côtés.

10 http://newsflash.publicisgroupe.net/uploadedDocs/20130728 280713 Publicis Omnicom Gruop EN.pdf

11 http://newsflash.publicisgroupe.net/uploadedDocs/2013073020130730PublicisOmnicomFR.pdf

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Les clients constatant que l'opération n'aboutissait pas, pouvaient légitimement se poser des questions sur la capacité des deux groupes à travailler efficacement ensemble, notamment parce que la gestion des clients du groupe consolidé était une question sensible nécessitant des dispositifs particuliers. À titre d'exemple Coca-Cola étant client de Publicis et Pepsi client d'Omnicom, la confidentialité des stratégies de communication de chacun imposait à la nouvelle entité la mise en place de strictes « murailles de Chine », qui devaient garantir l'étanchéité parfaite de la circulation d'informations sensibles entre les différents services (généralement par la désignation d'un nombre réduit d'« initiés» encourant de très lourdes sanctions dissuasives en cas de manquement ainsi que la surveillance de leurs échanges internes).

Enfin les actionnaires pouvaient également interpréter que l'équipe dirigeante s'investissait trop profondément dans ce projet qui, donnant des signes de plus en plus probables d'échec, détournait potentiellement chacun des groupes de leurs intérêts individuels (ce qui aurait pu se matérialiser par exemple par la perte de certains marchés pendant cette période).

Suite à cette annonce conjointe de la rupture, l'un et l'autre clarifient « les difficultés encore à surmonter» parmi lesquelles l'incapacité à trouver un accord sur le lieu de résidence fiscale, ainsi qu'à obtenir le feu vert de l'autorité chinoise de la concurrence (la seule manquante parmi les quinze autorisations ayant demandé un examen approfondi).

Cependant on remarque qu'à partir de cet instant les deux parties s'expriment différemment sur les détails de l'abandon du projet.

Alors que John Wren reste très évasif sur les motifs de la rupture, en se limitant à une téléconférence sur le site internet d'Omnicom12, Maurice Lévy lui s'exprime plus durablement à travers une téléconférence13 également, mais en plus par le biais d'interviews dans la presse14.

12 http://edge.media-server.com/m/p/2zji54v6/lan/en

13 http://www.media-server.com/m/p/33rsofhu

14 http://www.youtube.com/watch?v=T61Mcr8j8ZU

http://www.dailymotion.com/video/x1tq57k publicis-omnicom-projet-de-mega-fusion-renonce-maurice-levy-dans-gmb-09-05 news

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Côté français, Maurice Lévy insiste surtout sur le fait que le point majeur de désaccord ait été l'incapacité à se mettre d'accord sur le choix du directeur financier. Dans les faits, à un stade avancé de la mise en place du projet, Omnicom souhaitait être représenté par les trois postes les plus importants du management de la nouvelle entité, à savoir le CEO, le CFO ainsi que le General Counsel. Selon lui, les difficultés administratives liées au lieu de résidence fiscale et à l'autorisation de la concurrence chinoise étaient secondaires et auraient pu être surmontées, tandis que celle du choix du directeur financier a été cruciale parce qu'elle remettait en cause le principe d'égalité qui avait été souscrit par les deux parties, et c'est sur ce point-là qu'il n'était pas prêt à transiger.

Côté américain, John Wren est parfaitement en ligne avec le communiqué officiel et ne s'en écarte pas, selon lui, trois motifs résument la situation : différences de culture d'entreprise sous-estimées, complexité et temps, sans mentionner à aucun moment le désaccord sur les postes.

Dans le mois suivant la rupture, la mise en perspective de l'ensemble des questions posées aux dirigeants et leurs réponses permet de révéler un certain consensus de la part de la communauté des journalistes. Nous relevons en effet d'après la compilation de l'ensemble des interviews disponibles de Maurice Lévy et de celles de John Wren à l'issue de l'abandon du projet, que parmi toutes les questions posées, deux thématiques sont systématiquement abordées.

La première thématique est celle d'une hypothétique bataille d'égos à laquelle les dirigeants se seraient heurtés en cours de route.

La deuxième est celle d'un hypothétique amateurisme des deux hommes, du fait de ne pas avoir su évaluer et anticiper les potentiels obstacles ayant entravé l'opération.

Nous allons ici décrire et débattre ces thématiques.

http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2014/05/09/maurice-levy-je-n-etais-pas-pret-a-transiger-sur-l-equilibre-de-cette-fusion 4414086 3236.html http://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0203488208386-maurice-levy-le-jour-ou-j-ai-compris-que-la-fusion-ne-se-ferait-pas-669982.php

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1) « Une bataille d'égos? »

Avant d'approfondir la thématique, un petit détour s'avère nécessaire. Lorsque les deux dirigeants présentaient conjointement le projet à l'été 2013, Maurice Lévy déclarait avec l'approbation de John Wren : « certains esprits chagrins disent déjà : fusion entre égaux ou égos ? Ça va marcher ? La réponse est simple : nous avons créé une relation suffisamment solide. Une négociation de cette importance ne se fait pas en cinq minutes! ».

Notons juste que le jeu de mots « fusion entre égaux ou égos ? » est largement relayé à travers la presse. Il est intéressant de décomposer cette formule galvaudée, car elle est employée comme un raccourci qui omet la compréhension de plusieurs phénomènes sous-jacents.

Cette formule marque clairement une opposition des termes mais elle sous-entend deux sens différents.

Le premier sens est que la fusion entre égaux est irréaliste, infondée et n'est en fait qu'un prétexte imaginé par les égos de chacun des deux dirigeants qui comptent mener une bataille interne pour le pouvoir une fois la fusion concrétisée. Le fait que les deux soient dans cette optique dès le départ nous renvoie au cas irréaliste du conflit d'intérêt entre dirigeants et actionnaires que nous avons évoqué plus haut et que nous écartons, d'autant plus qu'ici l'entente sur le caractère artificiel de l'égalité porterait sur une bataille interne, soit une perspective de bénéfice privé dont l'attractivité est très discutable. Toutefois, nous ne pouvons pas préjuger des arrières pensées ni de l'un ni de l'autre, et il est envisageable qu'à travers l'entente sur l'égalité, l'un des deux, voire les deux, aient imaginé de prendre le dessus sur l'autre par la suite. Sans compliquer davantage la chose, il faudrait pour être tout à fait précis, encore tenir compte du caractère évolutif des arrière-pensées des dirigeants, à travers le temps et les évènements.

Le deuxième sens traduit la mauvaise évaluation de l'égalité par les dirigeants parce qu'ils auraient été de part et d'autres aveuglés par un excès de confiance. La littérature financière traitant des fusions acquisitions relate souvent ce phénomène. Le phénomène dit de « l'hubris »15 pourrait être à l'origine de

15 R.Roll (1986), « The Hubris Hypothesis of Corporate Takeovers », Journal of Finance, 59(2), 197-216

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certaines transactions : un dirigeant ayant une confiance excessive en ses capacités risque, même s'il est persuadé d'oeuvrer dans l'intérêt des actionnaires, de se lancer dans des acquisitions à rentabilité faible, voire négative, car il surestime sa capacité à créer de la valeur. Cette thèse s'appuie notamment sur les recherches en psychologie qui ont montré que ce n'est qu'après plusieurs échecs dans un domaine particulier qu'un individu accepte le fait que ses capacités ne sont pas supérieures à la moyenne dans ce domaine. En l'occurrence ce phénomène s'appliquerait aux deux hommes, dans la mesure où ils auraient sous-estimé les difficultés de mise en oeuvre de la fusion entre égaux.

En revenant désormais sur notre compilation des interviews post abandon la question des égos est systématique et ne renvoie pas au seul dirigeant, mais à l'équipe dirigeante, dans le sens d'une bataille interne pour le pouvoir, en référence à l'épisode du choix du directeur financier. Substantiellement la question est : « la fusion entre égaux n'a-t-elle pas finalement échoué pour des questions de pouvoir entre les dirigeants ? »

En synthèse, et de façon unanime dans chacune des interviews, Maurice Lévy déclare formellement qu'il ne s'agissait pas de cela : il était d'ailleurs lui-même personnellement disposé à renoncer à son poste. Il émet toutefois un questionnement du côté d'Omnicom : peut-être avaient-ils de leur côté des arrière-pensées de cet ordre-là en ne souhaitant secrètement pas réellement d'une fusion entre égaux. En tout cas il insiste sur le fait que ce n'était pas un problème de pouvoir, mais de principes et en l'occurrence la rupture du principe d'égalité.

Par ailleurs, le détour que nous avons opéré au début de ce développement montre que la contradiction entre égalité et égocentrisme avait été évaluée dès le départ.

Notre analyse de la situation converge vers une combinaison de facteurs : les dirigeants auraient cherché l'intérêt général de leur groupe et étaient convaincus par le succès du projet, de ce fait ils étaient investis par un excès de confiance qui les a poussé à entreprendre une fusion entre égaux en admettant cette égalité sans recours à la rigueur mathématique désintéressée de celle-ci. Cet excès de confiance n'exclut

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pas l'existence d'arrière-pensées dirigées vers une quête de pouvoir supplémentaire au sein du groupe fusionné.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984