CONCLUSION
Après examen, le parcours de Malouet s'avère
donc conforme aux standards de l'époque. Issu de la bourgeoisie
provinciale, il suit une scolarité chez les Oratoriens, d'abord à
Riom puis à Paris, où il effectue son droit. Base fondamentale de
l'apprentissage des cadres administratifs du XVIIIe siècle, ses nombreux
voyages lui permettent de compléter sa formation scolaire par une
acquisition des compétences adéquates sur le terrain. Enfin,
adossé à un réseau de relations et de protections
particulièrement efficace et qu'il sait utiliser à bon escient,
Malouet parvient à intégrer le service de la Marine et à
se maintenir, quand bien même est-il confronté à des
situations délicates.
Son entrée au service de la Marine lui permet de se
frotter aux réalités coloniales ; son expérience de
planteur et d'administrateur à Saint-Domingue sont pour lui l'occasion
de développer une vision des colonies qu'il affine tout au long de sa
carrière. Défenseur de la colonisation française des
Antilles et de l'esclavage, il ne verse pas pour autant dans la
radicalité la plus absolue et adopte une position médiane,
ouverte à certains changements que nous allons aborder dès
à présent.
61
245 Antoine LILTI, Le monde des salons, op.
cit., p. 100.
246 Ibid., p. 101.
62
2 MALOUET ET LES COLONIES
La réflexion de Malouet s'inscrit dans l'effort de
rénovation administrative entreprise par le ministère de la
Marine depuis les années 1760. En 1775, nous l'avons vu, le ministre
Sartine met sur pied une commission législative relative aux colonies,
au sein de laquelle Malouet, de retour de Saint-Domingue après sept ans
passée dans les hautes sphères administratives de cette colonie,
est chargé d'élaborer un projet permettant d'améliorer la
réglementation générale de la Perle des Antilles. Ce
faisant, il développe une réflexion nourrie à la fois par
son statut de planteur et sa fonction d'ordonnateur par intérim du Cap.
Ses idées sur les colonies tiennent une place
prépondérante dans la façon dont il appréhende la
mission qui lui est confiée en Guyane, et servent en partie de
sous-bassement à sa future carrière politique. La
réflexion qu'il entretient tout au long de sa carrière
débouche sur un modèle théorique qu'il nomme le «
système colonial », viatique conçu dès son retour
d'exil londonien pour la restauration et la préservation des
colonies.
Précisons toutefois qu'étudier la pensée
coloniale de Malouet soulève une question quant à la
méthodologie et détermine la grille de lecture que nous adoptons.
Généralement, l'historiographie retient de ce personnage la
pensée qu'il développe dans ses écrits,
c'est-à-dire principalement celle qui est la sienne à partir des
années 1780-1790, et présente ses idées comme
affirmées, achevées et globales. Or, rappelons que les ouvrages
qu'il rédige entre 1801 et 1808 livrent un regard a posteriori
sur la période qui nous intéresse, car ils desservent des
objectifs personnels. En réalité, la lecture des archives d'une
part, et de ses différents écrits d'autre part, permet de nuancer
largement l'idée selon laquelle Malouet aurait très vite et
très tôt eu une vision pleine et entière du problème
colonial, et par conséquent des solutions à apporter ; d'autre
part nous pouvons distinguer deux phases dans la construction de sa
pensée : une première phase d'élaboration jusqu'à
la fin des années 1770, ensuite une seconde phase d'affirmation vers le
milieu des années 1780. L'analyse qu'en livre Michele
Duchet247, qui distingue également une évolution en ce
sens, nous permet de structurer notre hypothèse. Dès lors, notre
analyse consiste ici à montrer l'évolution de sa pensée,
préalable nécessaire à l'étude du projet qu'il
élabore pour la Guyane.
247 Michèle DUCHET, Anthropologie et histoire au
siècle des lumières, op. cit. ; Michèle
DUCHET, « Malouet et le problème de l'esclavage », op.
cit.
63
2.1 De l'utilité des colonies
Malouet s'affiche tout au long de sa carrière comme un
fervent défenseur de la colonisation française aux Antilles. On
retrouve l'essentiel de sa pensée dans la longue introduction du
quatrième volume de sa Collection de mémoires sur les
colonies248. « Les colonies, écrit-il, [...]
étant instituées au profit de la métropole,
protégées par ses armes, alimentées par son commerce, ne
peuvent être soustraites à sa dépendance249.
» En admirateur de Colbert, dont il étudie la correspondance quand
il est en poste à Rochefort entre 1764 et 1767250, il
adhère longtemps et pleinement aux conceptions mercantilistes du
tout-puissant ministre de Louis XIV, largement développées au
XVIIIe siècle. La volonté de soutenir et de consolider la
colonisation française dans les Antilles, tant sur le plan politique
qu'économique, repose en effet sur l'idée que les territoires
outre-mers conquis par la métropole doivent profiter à ses
intérêts. On invoque notamment la complémentarité
des relations commerciales et de l'impact positif sur le rayonnement politique
du royaume en Europe. Chez la plupart des mercantilistes, l'excédent de
la balance commerciale est un indicateur significatif de la bonne santé
d'une économie. Dans cette optique, le commerce colonial est
perçu comme un des moyens les plus efficaces d'enrichir la nation,
idée que l'on retrouve développée chez des auteurs comme
Melon, Gournay ou Forbonnais par exemple251.
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