1.3.4 Un réseau mondain
En parcourant les Mémoires de Malouet, nous y
découvrons, à son retour de Saint-Domingue, un homme introduit
dans les cercles intellectuels de la capitale, fréquentant les salons de
Mme de Castellane, de Mme Lespinasse et celui de Mme du Deffand. Il y
côtoie certains des penseurs les plus en vue de son époque :
D'Alembert, Condorcet, Diderot, Véron de Forbonnais, l'abbé
Raynal. C'est auprès d'eux, en particulier Raynal dont il est un ami
proche, qu'il affirme ses opinions et sa pensée politique, intimement
liées au monde colonial et à l'esclavage239. Au XVIIIe
siècle, Paris est un centre intellectuel et philosophique majeur qui
exerce une force centripète importante, tant au niveau national qu'au
niveau européen, drainant vers elle « la noria des talents
»240. Capitale politique, capitale d'empire, Paris est une
ville hégémonique où se rencontrent les espaces culturels,
nationaux et sociaux ; c'est également un point de contact entre les
nations. On retrouve, par exemple, les philosophes écossais David Hume
ou Adam Smith chez Helvétius241.
C'est donc un point de convergence des idées et des
hommes, qui donne naissance dès la deuxième moitié du
XVIIIe siècle à de nouvelles formes de sociabilités comme
les salons, ou les académies par exemple. Les salons sont
généralement tenus par des femmes riches ou cultivées,
largement ouverts aux hommes de lettres. L'histoire retient ceux de Mme Necker
ou de Mme Geoffrin, qui reçoivent les écrivains à la mode.
Mme de Lespinasse reçoit également des écrivains, mais
aussi des hommes liés à la finance et à l'administration
comme Turgot ou de Vaines242. Le fait que Malouet, personnage
éloquent, riche propriétaire de plantations à
Saint-Domingue, fréquente des salons très courus traduit une
certaine évolution sociale vers une rencontre entre noblesse et
bourgeoisie, entre « le second ordre et la crème du tiers
état, au sein d'une élite fondée sur la
propriété, la richesse et le talent, non plus sur la distinction
des ordres243. » Encore que, comme le montre Guy Lemarchand,
cette fusion des élites soit très relative et ne concernerait que
celles qui se placent dans la dynamique inspirée par les
Lumières244. Quand bien même fréquenter un salon
témoigne d'une certaine ouverture des pratiques mondaines vers des
populations plus diverses que
239 Ibid., p. 69.
240 Gilles CHABAUD, « La capitale, le guide et
l'étranger: descriptions fonctionnelles et intermédiaires
culturels à Paris dans la première moitié du XVIIIe
siècle », in Christophe CHARLE (dir.), Capitales
européennes et rayonnement culturel XVIIIe-XXe siècles,
Paris, Editions rue d'Ulm, 2004, p. 119-120.
241 Guy CHAUSSIGNAND-NOGARET, Les Lumières au
péril du bûcher: Helvétius et d'Holbach, Paris,
Fayard, 2009, p. 158 ; Stéphane VANDAMME, Paris, capitale
philosophique: de la Fronde à la Révolution, Paris, Odile
Jacob, coll. « Histoire », 2005, p. 12 ; Christophe CHARLE,
Capitales européennes et rayonnement culturel XVIIIe - XXe
siècle, Paris, Editions rue d'Ulm, 2004, p. 21.
242 Antoine LILTI, Le monde des salons, op.
cit., p. 101.
243 Guy CHAUSSIGNAND-NOGARET, Une histoire des élites
1700-1848, Paris-La Haye, Mouton Editeur, 1975, p. 185.
244 Guy LEMARCHAND, « La France au XVIIIe siècle:
élites ou noblesse et bourgeoisie? », Cahier des Annales de
Normandie, 2000, vol. 30, no 1, p. 118.
l'on ne rencontre pas dans les pratiques curiales, le salon
est une forme de sociabilité qui consiste à recevoir chez soi et
à tenir table ouverte. Elle s'inscrit dans la réception
aristocratique et nécessite « de l'espace - d'où
l'importance de l'hôtel -, de l'argent et un ethos de
l'hospitalité et de la dépense ostentatoire qui
caractérise la noblesse de cour245. » C'est donc une
pratique largement élitiste et élective, à l'image du
salon de la marquise du Deffand, où l'on ne trouve quasiment que des
membres de l'aristocratie : Praslin, Choiseul, Beauvau, Chabot, Boisgelin,
Cambis, Boufflers, Broglie, Luxembourg, quelques nobles étrangers, le
médecin Tissot, et deux hommes de lettres : La Harpe et
Marmontel246.
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