3.2 Une proposition de relecture
À la lumière du bilan que nous venons
d'établir, et qui nuance les annonces quelque peu optimistes de Malouet,
une réévaluation de son passage à Cayenne est
également envisageable à la
1113Jean Samuel GUISAN, Le Vaudois des terres
noyées, op. cit., p. 156.
1114Yannick LE ROUX, « L'apport de Guisan dans
l'économie de la Guyane », op. cit., p. 35.
1115C. MARIUS, Notice explicative de la carte
pédologique de l'Île de Cayenne, Paris, OSTROM, 1969, p.
14.
1116Yannick LE ROUX, « L'apport de Guisan dans
l'économie de la Guyane », op. cit., p. 36.
1117ANOM C14/50 F° 28
1118ANOM C14/51 F° 235
1119ANOM C14/81 F° 37
1120ANOM C14/50 F° 86
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lueur de la réception qu'en font les habitants. Nous
pourrons ainsi soutenir certains points de contestation de l'historiographie le
concernant.
3.2.1 La réception du projet de Malouet en
Guyane
L'un des leitmotiv qui irrigue la pensée de
Malouet est la pédagogie et la valeur didactique qu'il donne à
son travail. Si « éclairer la colonie » semble a priori
une intention louable, la prétendue vacuité intellectuelle
de la Guyane ne semble pas si évidente quand on considère les
Remarques sur les propositions respectives de deux compagnies de culture
qui se présentent pour la Guyane, datées de 1780 et
adressées au ministre. Ce document au discours relativement univoque,
voire partisan, épingle vigoureusement Malouet au sujet de son projet
et, s'il nécessite des précautions méthodologiques quant
à son utilisation, n'écorne pas moins le mythe de
l'administrateur intègre au-dessus de toutes polémiques :
« M. Malouet, nonobstant qu'il assure dans ses
mémoires comme un résultat important auquel a abouti sa mission
à Cayenne, qu'il est parvenu à convaincre enfin les habitans de
la Guyane de la mauvaise qualité de leurs terres hautes et de
l'excellence de leurs fonds, M. Malouet ne doit pas non plus prétendre
au mérite d'avoir le premier articulé et fait reconnoItre ces
vérités dans la colonie , · elles étoient connues
et non contestées avant qu'il y arrivât. Lui-même en avoit
été informé avant son départ de France par le baron
de Bessner qui en avoit donné connoissance au ministre dès
l'année 1772. [...] M. Malouet n'a fait à cet égard autre
chose qu'exécuter le projet du baron de Bessner que celui-ci lui avoit
communiqué. Dans les faits, une pareille entreprise étoit utile
et convenable mais elle n'étoit pas nécessaire pour persuader
qu'on pouvoit mettre en valeur les terres basse, personne à Cayenne ne
doutoit de l'existence de Surinam. [...] [Le baron de Bessner] ne dira pas,
comme M. Malouet, qu'il a trouvé aux habitans la plus incroyable
ténacité à ne pas vouloir avouer qu'ils étoient
dans l'erreur à cet égard [de persister à cultiver les
terres hautes] [...] Ce qui véritablement est inconcevable c'est que 12
ans après, M. Malouet ait trouvé tant de peine à leur
persuader ce dont ils étoient convaincus douze ans avant en ce que
l'expérience
259
n'a cessé de leur confirmer depuis1121.
»
De fait Malouet accuse un fort déficit d'image au sein
de la colonie, où il est accusé de s'approprier le plan que le
baron de Bessner avait établi en 1769, et dont nous avons
déjà signalé les emprunts qu'il avait effectivement faits.
La réception de son travail par les habitants apparaît donc comme
des plus mitigée. On lui reproche, à dessein, d'avoir
pillé et dénigré les travaux de Bessner pour s'en arroger
la paternité :
« Le baron de Bessner auroit continué, comme
il a fait jusqu'ici à dédaigner ces réclamations, si les
prétentions mal fondées de M. Malouet n'avoient fait regarder ce
dernier comme ayant des connoissances nouvelles et uniques sur la colonie de
Cayenne, et si le baron de Bessner n'avoit à se justifier de
l'accusation formelle de M. Malouet qui le chargeoit d'avoir sur cette colonie
des notions fausses et des principes erronés1122.
»
En outre, Malouet se rendrait coupable de psittacisme en
expliquant à qui veut bien l'entendre les causes de la
dégradation des terres hautes, « mais cette vérité
d'adoption ne lui a procuré qu'une connoissanc stérile » car
Bessner peut se prévaloir d'une expérience de terrain qui l'a
conduit à cette découverte1123. Le rapport conclut au
fait que les projets soumis par Malouet n'ont pas l'importance à
laquelle il prétend et coûtent cher. Il considère que ceux
proposés par Bessner sont mieux adaptés aux possibilités
de la Guyane1124.
C'est une lourde charge portée contre l'ordonnateur.
À l'évidence, ce rapport instruit contre lui et intervient
à un moment où Bessner souhaite obtenir le poste de gouverneur en
Guyane, et nous avons vu avec Malouet, mais aussi avec Guisan, quel est le
caractère de cet homme. Même s'il est à prendre avec
circonspection, ce document peut être lu à la lumière des
événements de 1775 qui opposent Malouet à Sartine et
encore plus en amont, ses démêlés avec le Conseil
supérieur du Cap. Ce faisant, nous pouvons dire que Malouet utilise les
mêmes armes que ses contempteurs et n'hésite pas à verser
dans la calomnie. Loin de remettre en cause ses qualités de gestionnaire
et d'organisateur qui paraissent évidentes, soulignons tout de
même que, rompu à la rhétorique et
1121ANOM C14/52 F° 259-260 1122ANOM C14/52 F° 260
1123Ibid.
1124ANOM C14/52 F° 257
260
maniant la plume avec facilité, il déploie tout
son talent épistolaire, dans une tendance assez marquée à
présenter les choses sous un angle favorable pour sa réputation
et sa carrière, quitte à tordre le cou aux faits. Ce qui
constitue bien évidemment une force puisque l'image de l'administrateur
intègre et talentueux lui est souvent encore associée.
Certes, Malouet ne fait pas l'unanimité en Guyane et
son travail, si ce n'est sa personne, est dénigré. Cependant,
cette configuration dévoile un homme qui, s'il est effectivement un
administrateur compétent, n'en est pas moins habile quand il s'agit de
s'arroger des mérites qui ne lui reviennent pas nécessairement.
Soucieux de faire carrière, à l'image de ce qu'a monté
Neil Safier pour La Condamine1125, Malouet se montre très
attentif à sa réputation en France et n'hésite pas
à enjoliver les faits pour se mettre en valeur. Ce qui nous engage
à nuancer certains points historiographiques le concernant.
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