2.1.2 Réformer la justice et réprimer ses
abus
Dans un courrier du 17 janvier 1777 adressé au ministre,
Malouet présente une situation
897 Marie POLDERMAN, La Guyane française,
1676-1763, op. cit., p. 114.
898 Ibid., p. 120.
899 ANOM C14/44 F °306 et 326
900 ANOM C14/44 F° 306
901 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 274-275.
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assez anarchique de la justice en Guyane. Son analyse semble
définitive : « Il est impossible de trouver de bons
magistrats902 », écrit-il. Toutes les procédures
criminelles s'instruisent sur le compte du roi, ce qui entraîne de
nombreuses dépenses et accroît la lenteur des
procédures903. Son témoignage montre que rendre une
justice impartiale et efficace dans une colonie aussi petite est une
véritable gageure904.
Ainsi il désigne un premier abus à
réprimer. Claude Macaye, procureur général du Conseil
supérieur vieillit ; c'est le seul magistrat digne de ce nom de la
colonie. Il faut songer à le remplacer, mais il n'y a personne capable
de pourvoir à ce poste, ni à ceux de procureurs et de lieutenant
de juge d'ailleurs. Ces postes restent vacants905. De fait,
l'absence de juristes qualifiés entraîne une application de la
justice inconséquente dans laquelle « les parties n'ont aucun
secours pour défendre ou établir leurs droits. » Les
plaignants doivent comparaître en personne à l'audience et
l'exposé des faits est « toujours cruellement embrouillé par
les demi-connoissances des mauvais praticiens qui se trouvent ici. » De
fait Malouet demande au ministre d'envoyer des procureurs qualifiés, car
ceux qui occupent ce poste ici sont « de très-mauvais sujets, dont
[il serait] d'avis de purger la colonie. Ces mêmes hommes continuoient
donc, sans qualité, à se mêler obscurément de toutes
les affaires ; ils les multiplient, les embrouillent, désolent les juges
et les plaideurs906. »
Les procédures en matière civile sont donc
longues et coûteuses, au point que les habitants les plus fortunés
et sachant le mieux se défendre, s'adressent directement au ministre
pour obtenir justice. L'interminable affaire Lafitte en est la parfaite
illustration. Cet individu est condamné en 1773 par le Conseil
supérieur de Cayenne pour une affaire d'impayés avec un
négociant bordelais. Sauf que la plupart des conseillers l'ayant
condamné sont ses débiteurs : il y a donc un conflit
d'intérêt qui engage Lafitte à penser que le Conseil le
condamne à dessein, pour ne pas avoir à le rembourser. Depuis,
l'affaire se perd dans un labyrinthe de procédures à
répétitions, entre les associés de Lafitte, contre ses
juges, etc. Quand Malouet prend en main l'affaire dans le courant de
l'année 1777, Lafitte assigne en justice tous les magistrats
supérieurs et inférieurs de la colonie et ne reconnaît pas
le tribunal de Cayenne car tous les conseillers lui doivent de l'argent. Il ne
sait donc pas vers quelle juridiction se tourner et s'en remet à
l'ordonnateur. Cette affaire « ennuie, scandalise et fait perdre du temps
» à Malouet qui botte en touche et renvoie le dossier au
ministre907.
Le deuxième volet de son action consiste à
réduire les frais de justice. Le principal problème relève
des trop nombreuses dépenses qu'entraînent le déplacement
des juges. En charge des affaires
902 ANOM C14/50 F° 86
903 ANOM C14/45 F° 213
904 Marie POLDERMAN, La Guyane française,
1676-1763, op. cit., p. 141.
905 ANOM C14/43 F° 32
906 ANOM C14/45 F° 213
907 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 1, op. cit., p. 401-402 ; ANOM C14/50 F° 96.
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touchant les officiers civils, les habitants, et
théoriquement les esclaves, les juges et les procureurs doivent se
rendre dans la juridiction où la plainte a été
posée908. Cependant cette façon de faire est
particulièrement onéreuse dans un territoire aussi vaste et les
frais de transports sont importants. « L'assassinat d'un nègre
coûte 4 000 francs. » Les frais de justice, rien que sur Cayenne
s'élèvent à 14 000 francs par an909. Sur
l'ensemble de la colonie, Malouet estime leur montant à 40 000
écus910. Du fait de la pénurie de magistrat, le juge
et le procureur sont débordés, d'autant qu'ils sont mal
payés. Ils n'ont aucun intérêt à multiplier les
instructions criminelles, donc les criminels sont rarement
poursuivis911.
Pour y remédier, Malouet provoque un arrêt de
règlement afin d'augmenter les appointements des magistrats pour qu'ils
puissent subvenir à leurs dépenses, et supprimer les
déplacements en nommant dans chaque quartier un commissaire de justice,
pour constater les délits par un procès verbal qu'il envoie au
juge. Il demande au ministre de bien vouloir lui expédier rapidement les
lettres patentes confirmatives nécessaires afin que sa mesure soit
suivie d'effet, car il avoue avoir le plus grand mal à contenir les
agissements des magistrats indélicats912.
L'action de Malouet permet donc de remettre quelque peu en
ordre les affaires judiciaires de la Guyane. Face à un manque de
juristes compétents qui multiplient les affaires et à une
organisation dispendieuse, le règlement qu'il adopte donne de la
souplesse et de la rationalité au fonctionnement de la justice. Par
ailleurs, son plan pour la colonie comporte un point suggéré par
le baron de Bessner au gouvernement, concernant un peuplement par le biais des
esclaves fugitifs du Surinam et des Amérindiens.
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