CONCLUSION
Malouet propose un plan qu'il place sous le signe de la
prudence et de la mesure. Or, les projets que fait le baron de Bessner à
la fin des années 1760 promeuvent un certains nombres de principes que
l'on retrouve dans les propositions de Malouet. Hormis sur le volet
scientifique et technique, il reprend à son compte les principes de
recourir à l'État pour stimuler l'économie et apporter son
soutien au développement. Malouet se démarque cependant en
s'écartant du modèle de
737 Ibid., p. 66.
738 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 1, op. cit., p. 91.
739 Jean TARRADE, « Malouet et les colonies:
législation et exclusif », in Jean EHRARD et Michel
MORINEAU (dirs.), Malouet (1740-1814), Riom, Société des
amis des universités de Clermont, 1990, p. 37-36.
mise en valeur par le biais d'une compagnie commerciale, qu'il
estime risqué, dépassé, et auquel il ne croit
guère. En outre, sa réflexion se nourrit d'idées qu'il
puise dans le libéralisme économique alors en germe.
L'État, en quelque sorte, doit investir en Guyane et se porter garant
pour la colonie afin de réinstaurer un climat de confiance
vis-à-vis du marché. C'est un investissement sur le long terme
que propose Malouet, afin de construire les bases solides d'un
développement économique en adéquation avec les
possibilités de la Guyane, visant à concilier les
intérêts de la monarchie et des colons.
Quant à la question du peuplement, l'enjeu va bien plus
loin qu'une simple question posée dans le but de déterminer quels
individus seraient les mieux adaptés à la mise en valeur de la
colonie. Politiquement parlant, la réussite d'un peuplement d'esclaves
affranchis serait une vitrine de premier choix pour la cause anti-esclavagiste
que représente ici Besner. Maintenant, si nous envisageons cette
question du point de vue de Malouet, vraisemblablement y souscrit-il dans une
optique sécuritaire pour juguler le marronnage. Cependant, comme il le
laisse entendre en 1775 dans ses écrits en prenant l'exemple des
affranchis de Saint-Domingue, Malouet croit aux vertus de l'esclavage, qui
offrirait aux Noirs la possibilité de sortir de leur état de
« sauvagerie » par le contact éminemment « civilisateur
» de la culture européenne740. Il est donc raisonnable
d'avancer l'hypothèse selon laquelle s'il souscrit à
l'affranchissement progressif imaginé par Besner, c'est pour mieux
utiliser l'éventuelle réussite de ce projet pour montrer que
l'esclavage est nécessaire, malgré tout.
Enfin, fort de son expérience de planteur, il insiste
sur le fait que les habitants, en prise directe avec les problématiques
coloniales, sont plus à même de présider à leur
destinée que le ministère de la Marine situé à huit
semaines de bateau. Sa proposition pour créer une assemblée
coloniale va dans ce sens.
171
740 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires tome
4, op. cit., p. 148.
172
TROISIÈME PARTIE
-
L'ADMINISTRATEUR DES LUMIÈRES EN
GUYANE
173
L'action de Malouet en Guyane, bien que relativement
brève, permet d'observer un homme très actif, un grand
travailleur, déterminé à réaliser ses objectifs.
Interlocuteur privilégié entre la métropole et sa colonie,
c'est par lui que transite l'essentiel des informations entre les deux
entités. Malouet s'affiche alors comme un vecteur de la tradition
administrative et scientifique métropolitaine, qu'il diffuse au coeur de
la colonie en prenant appuis sur les relais scientifiques locaux. C'est
également un administrateur de terrain qui se livre à de
véritables investigations, en quête d'informations qu'il va
chercher auprès des habitants et au Surinam. Promoteur du projet
colonial, il anime dans la mesure de ses moyens la recherche locale et se
charge de dynamiser les secteurs économiques relevant des objectifs
définis par son projet. En cela, la bonification des zones humides de
Cayenne puis des régions de Kaw et de l'Approuague constitue le fer de
lance de son dispositif, qui met en lumière le rôle essentiel de
l'ingénieur Jean Samuel Guisan. Malgré cela, le bilan s'affiche
comme mitigé. Malouet essuie quelques revers qui autorisent une certaine
remise en cause, tant du point de vue de ses réalisations que du point
de vue de l'image d'un administrateur clairvoyant et au-dessus de tous
reproches qu'il se forge. Partant, c'est aussi l'occasion de nuancer, voire de
contester, certains points de l'historiographie se rapportant à ce
personnage, pour en proposer une lecture que nous souhaitons plus juste.
1 UN INTERMÉDIAIRE ENTRE LA COLONIE ET LA
MÉTROPOLE
La réalisation du projet ministériel met en
mouvement une machinerie qui fait fonctionner de concert les centres savants et
administratifs métropolitains, avec les différents acteurs
situés en Guyane : scientifiques, habitants, Amérindiens et
esclaves. Dans cette organisation, l'ordonnateur est un point de convergence
des informations, véritable courroie de transmission entre la
métropole et la colonie. D'un côté il centralise et diffuse
les informations récoltées sur le terrain, d'un autre il
contribue à propager les pratiques administratives et scientifiques
européennes par le biais d'une correspondance normalisée avec le
ministère de la Marine. Son rôle est aussi éminemment
pédagogique puisqu'il doit informer les habitants des projets que la
métropole envisage. En ce sens, l'Assemblée
générale de Guyane est l'occasion d'un exercice de communication,
à la fois pour affirmer l'autorité de l'administration et pour
éclairer les habitants. En tant que principal animateur et rapporteur de
cet événement, Malouet saisit l'occasion pour se mettre en valeur
auprès du ministère.
174
1.1 Centraliser et diffuser l'information
Conformément aux directives ministérielles, et
dans la droite ligne de la redéfinition du projet colonial voulu par
Colbert, les administrateurs coloniaux sont soumis à l'impératif
d'informer la métropole par la collecte d'informations. En Guyane,
Malouet fait littéralement figure d'enquêteur. Ses investigations
s'appuient d'un côté sur ses observations personnelles, et sur la
sollicitation des intermédiaires locaux que sont les différents
spécialistes, botanistes, ingénieurs-géographes, habitants
entreprenants, mais également les esclaves et les Amérindiens.
S'insérant dans les rouages de la Machine coloniale, Malouet
intègre cette mécanique en tant qu'intermédiaire entre la
colonie et la métropole, polarisant les échanges de savoirs entre
les deux entités.
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