3.1.1 Ravitailler la colonie
Malouet constate l'irrégularité de la
fréquentation des navires marchands qui, selon lui, pondère
fortement l'arrivée de main-d'oeuvre en nombre suffisant698.
Ce constat, déjà dressé par Bessner en 1767699,
rend compte de l'aspect aléatoire du ravitaillement dont dépend
en grande partie la colonie700. En effet, celui-ci est très
faible compte tenu du manque de moyens des habitants et de la faible
quantité de numéraire en circulation, des difficultés
à aborder la rade de Cayenne sans s'échouer, et relativement
fluctuant selon que la France est en paix ou engagée dans un conflit
armé. Ainsi, durant le Guerre de Sept ans (1756-1763) on peut observer
une chute radicale des mouvements commerciaux701.
Malouet propose alors un arrangement, une sorte d'engagement
réciproque entre les colons et les armateurs, sous le patronage de
l'État. D'abord, il faut inciter les navires négriers à
accoster à Cayenne pour y vendre des esclaves, et leur assurer de
repartir les cales pleines de denrées702. Malouet pointe ici
le fait qu'il n'y a jamais suffisamment d'argent en circulation en Guyane.
À l'instar des autres colonies, la monnaie métallique est rare en
Guyane et on a souvent recours au troc pour régler ses
échanges703. « Les commissaires ordonnateurs se
plaignent toujours d'être à court d'espèces, écrit
C. F. Cardoso, de ne pas avoir de quoi payer la garnison et les fonctionnaires,
etc704. » Ainsi, face au manque récurent de
liquidités en circulation en Guyane, l'État doit payer comptant
une partie de la cargaisons, et octroyer aux négriers une prime en
quittance d'octroi pour sa cargaison retour vers les Antilles. Ensuite, les
habitants en créance auprès des négriers doivent s'engager
auprès de l'État à fournir des denrées aux
négriers à leur retour. Malouet ajoute toutefois qu'il convient
de ne pas précipiter les choses et que le soutien de l'État est
déterminant. Si les quotas d'approvisionnement pour les négriers
ne sont pas atteints, l'État doit prendre la différence à
sa charge pour continuer à encourager colons et armateurs à
travailler ensemble705.
Dans un deuxième temps, Malouet reprend à son
compte une des propositions faite par Besner, qui consiste à construire
une liaison commerciale permettant d'importer des bestiaux depuis le Cap-Vert,
et d'organiser un circuit de traite par l'intérieur des terres avec
l'aide des Indiens706. En
698 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 1, op. cit., p. 85.
699 ANOM C14/35 F° 246
700 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 281 ; Marie POLDERMAN, La Guyane
française, 1676-1763, op. cit., p. 110-111.
701 Catherine LOSIER, Approvisionner Cayenne au cours de
l'Ancien Régime, op. cit., p. 130-132.
702 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 1, op. cit., p. 85.
703 Marie POLDERMAN, La Guyane française,
1676-1763, op. cit., p. 114.
704 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 271.
705 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 1, op. cit., p. 85-86.
706 Ibid., p. 87-88.
165
fait, comme nous l'avons détaillé plus en amont,
il s'agit de réactiver l'ancienne filière d'introduction du
bétail en Guyane par le Cap-Vert mise en place en 1664, pour que la
Guyane devienne en mesure de fournir les Antilles707.
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