2.1.1 Le ministère de la Marine : l'administration
centrale
À partir de 1670, les organismes coloniaux sont
placés sous la coupe du secrétariat d'État à la
Marine, au sein duquel évoluent des premiers commis
spécialisés. Ceux-ci en représentent les principales
cellules décisionnaires, hormis pour les questions financières
qui restent une prérogative du Contrôleur Général,
dès lors que celui-ci ne possède pas en même temps le
secrétariat d'État à la
527 Etienne TAILLEMITE, « Le haut commandement de la
Marine française de Colbert à la Révolution », in
Jean MEYER, José MERINO, Martine ACERRA et Michel
VERGÉ-FRANCESCHI (dirs.), Les marines de guerre européennes:
XVIIe-XVIIIe siècles. Actes du colloque organisé au Musée
de la Marine et à l'Université de Paris-Sorbonne, Paris,
Presse Paris Sorbonne, 1998, p. 267.
129
Marine528.
Les affaires coloniales sont réparties par Colbert en
trois bureaux : le Ponant, le Levant et les Fonds. Cependant, à la fin
du règne de Louis XIV (1661-1715), des réformes interviennent et
les choses évoluent vers une certaine modernisation. La
répartition des tâches se rationalise et chaque bureau se voit
attribuer une fonction déterminée. Ainsi Jérôme de
Pontchartrain forme en 1709 le Bureau des colonies, le Bureau des consulats et
le Bureau des classes529.
Le Bureau des colonies représente une entité
particulière, sur laquelle s'appuient les ministres successifs pour
donner des instructions, réglementer et entretenir une correspondance
avec les territoires ultra-marins. À sa tête, nous trouvons le
premier commis, « véritable bras droit et interlocuteur
privilégié du Secrétaire d'État à la
Marine530. » qui fait figure de vice-ministre des colonies.
Quand Malouet est nommé ordonnateur, le poste de premier commis est
occupé par Antoine Anselme Auda de 1775 à 1777 puis par
Jean-Baptiste Dubuq de 1777 à 1795531. Avec
l'avènement de Louis XVI (1774-1791) et l'arrivée d'Antoine
Raymond de Sartine532 aux commandes de la Marine, les commis des
colonies font figure de spécialistes, rompant avec une tendance à
l'affairisme qui avait cours jusque-là533. Hommes de l'ombre,
le premier commis occupe pourtant un poste-clé où la plupart des
décisions sont prises, intégrant ce que Jean Meyer appelle un
brain trust, c'est-à-dire un groupe restreint d'experts, un
« cercle magique » de gens qui se connaissent et sont souvent amis,
proche de l'entourage royal. Ce petit groupe détient la
réalité du pouvoir et oriente l'ensemble de la politique
coloniale534. « Roi, secrétaire d'État,
contrôleur général (qui détient les cordons de la
bourse) et premiers commis des instances en cause sont les véritables
initiateurs de la politique535. »
Le premier commis joue le rôle de rapporteur.
L'essentiel de son travail consiste à résumer le contenu du
courrier ministériel, d'en dresser des extraits cohérents, et
surtout de proposer les solutions aux problèmes. Il trie les plans et
autres projets qui inondent le ministère, il rédige les projets
d'arrêts et les arrêts eux-mêmes, s'arrogeant la haute-main
sur les décisions importantes. Le rôle du premier commis est donc
primordial. Même en cas de refus de ses propositions, il lui est loisible
de dresser l'acte définitif d'une manière qui coïncide
finalement avec ses projets initiaux. Ce qui fait que le choix du premier
commis relève d'une décision politique ; en ce sens il est
souvent un
528 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER,
Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 104.
529 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation
française. Le premier empire colonial. Des origines à la
Restauration, Paris, Fayard, 1991, vol. 2/1, p. 580.
530 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe
siècle, op. cit., p. 32.
531 Ibid., p. 30.
532 Antoine Raymond de Sartines, ministre de la Marine de 1774
à 1780.
533 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation
française, op. cit., p. 586.
534 Jean MEYER, « Les « décideurs »:
comment fonctionne l'Ancien Régime? », The Annual Meeting of
the Western Society for French History, 1987, no 14, p. 87.
535 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER,
Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 104.
130
proche du ministre536.
Le premier commis est donc un personnage incontournable, avec
lequel il vaut mieux entretenir de bons rapports pour la suite de sa
carrière. À ce titre, Malouet en fait les frais en 1764. En
effet, deux inspecteurs des magasins des colonies sont nommés en 1763.
L'un d'eux choisi de rester au bureau des colonies à Versailles.
Grâce au soutien de Jarente, l'évêque d'Orléans, nous
l'avons vu, Malouet est nommé par le ministre Choiseul pour occuper la
place vacante. Il est envoyé à Rochefort en 1764, ce que
n'apprécie pas Accaron537, premier commis du bureau des
colonies, qui a créé ces postes et souhaite naturellement y
placer ses hommes. Cette hostilité envers Malouet fragilise sa position
au point qu'elle rend nulle les fonctions qui devaient être les
siennes538.
D'une façon générale, l'administration
coloniale repose sur une tradition centralisatrice, et son organigramme reprend
celui des départements portuaires. Parallèlement à cela,
le règlement du 7 mars 1669 donne à Colbert la Marine, le
commerce et les consulats. Cette double administration, à la fois
militaire et civile, caractérise le département de la Marine sous
l'Ancien Régime. Elle se retrouve à son tour transposée
dans les colonies. Ainsi, l'administration des départements portuaires
français, à l'exemple de Rochefort, sert de modèle
à l'organisation des territoires outre-mer. « L'arsenal de
Rochefort est le siège de l'organisation d'un département
maritime ; tandis que la ville de Cayenne contrôle la gestion de la
colonie de Guyane française539. »
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