1.3.3 La production
Les produits tropicaux
Comme toute agriculture coloniale, elle est essentiellement
tournée vers l'exportation de produits tropicaux. À la
différence du modèle antillais, elle n'est cependant pas
centrée sur le sucre. On trouve en Guyane, en effet, de nombreuses
cultures telles que le coton, le café, l'indigo, le rocou, le cacao, le
sucre et les épices (à partir de 1773). Cette
variété de produits dénote un manque de moyens
(financiers, techniques, et en main-d'oeuvre) général à
l'installation d'une production sucrière. Bien que Préfontaine
recommande la sagesse au futur planteur, en concentrant ses efforts
510 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 168.
511 Jean Antoine BRULETOUT DE PREFONTAINE, Maison
rustique, op. cit., p. 124.
512 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 169.
513 Marie POLDERMAN, La Guyane française,
1676-1763, op. cit., p. 73.
124
sur un seul objet de culture et de fabrique514, il
n'est pas rare de trouver en Guyane des habitations produisant deux, voire
trois denrées515.
D'après le tableau ci-dessous, tiré de l'ouvrage
de C.F. Cardoso, on note au début de la période une forte
présence du rocou (une plante tinctoriale) et du sucre, avec une petite
production de coton. À partir des années 1750, le sucre
s'effondre et le rocou domine largement la production guyanaise. Le coton
connaît une progression sensible, pour arriver vers les années
1770 au même niveau que le rocou, stimulé par la demande
européenne et sa facilité de culture. Le sucre, en revanche, ne
cesse de s'effondrer, couvrant à peine les faibles besoins de la
colonie. Essentiellement tournée vers la production de tafia (eau de
vie), la quantité de sucre produite devient si faible certaines
années que la colonie n'est pas en mesure d'en exporter. Sur l'ensemble
de la période, les productions de cacao et de café se
maintiennent, bon an mal an. Au total, le volume des exportations a tendance
à augmenter, mais reste globalement très faible. Il fait
écho à la petite taille de la colonie qui, comme nous l'avons vu,
compte environ 200 exploitations de plus de 10 esclaves vers les années
1770. C'est sans commune mesure avec la situation à Saint-Domingue qui,
en 1789, regroupe plus de 460 000 esclaves, répartis entre 7858
propriétés importantes516.
|
1719 (valeur)
|
1737 (poids)
|
1752 (poids)
|
1752 (valeur)*
|
Moyenne 1766/1774 (poids)
|
Moyenne 1766/1774 (valeur)
|
Rocou
|
46424
|
89225
|
260541
|
203222
|
376700
|
292409
|
Coton
|
706
|
1630
|
17919
|
28431
|
142077
|
224923
|
Cacao
|
|
102336
|
91917
|
49365
|
9750
|
52960
|
Sucre
|
121084
|
387400
|
80363
|
30903**
|
15383
|
4093
|
Café
|
|
58409
|
226881
|
23925
|
38697
|
34526
|
Valeur des exportations
|
250953
|
|
|
|
|
620772
|
* Calculée d'après la moyenne des prix de
1766-1774
** Moyenne d'après le prix du sucre blanc et celui du
sucre brut entre 1766 et 1774
Tableau 9: Productions de la Guyane
(1719-1774)
Cette diversité des cultures traduit par ailleurs la
difficulté d'adaptation des colons aux conditions locales. Ce sont
souvent d'anciens soldats ou des citadins fuyant la misère, pour qui les
techniques agricoles ne sont peu voire pas connues. Le choix des cultures n'est
donc pas toujours en adéquation avec la nature des sols ni la
conjoncture européenne. Les habitants les plus modestes persistent
à cultiver le rocou, plante dont la culture nécessite peu de
moyens financiers, matériels et humains, alors que les marchés
européens sont saturés par une offre excédant la demande.
La
514 Jean Antoine BRULETOUT DE PREFONTAINE, Maison
rustique, op. cit., p. 3.
515 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 211.
516 Ibid., p. 215.
125
nécessité d'un rendement immédiat pousse
les habitants forts modestes dans des logiques de court terme, dans lesquelles
on tente plusieurs cultures qui sont abandonnées dès la
première difficulté517.
Les autres cultures : épices, tabac et
bois
Les épices
Depuis le début de la colonisation les épices
sont perçues comme un moyen de développer le territoire et
d'enrichir les habitants. S'en procurer et en découvrir sont des
leitmotiv tout au long de la période. On récolte depuis
la fin du XVIIe siècle la cannelle et la vanille. Dans les années
1740, on cultive du safran. La Condamine, en 1744, distribue aux habitants des
graines de quinquina et de corossol. En 1768 sont introduits poivrier,
giroflier et muscadier, ainsi qu'en 1773, où la Guyane reçoit six
girofliers, quelques canneliers de Ceylan et une caisse de noix de
muscade518.
Le clou de girofle devient un produit d'exportation important
pour la Guyane à partir des années 1780, bien que sa consommation
en Europe soit limitée. La cannelle se récolte tous les trois ans
et son exportation ne commence qu'en 1787. Mais l'intermittence de sa
production et la méconnaissance du procédé utilisé
par les Hollandais pour préparer l'écorce donne un produit de
qualité fort médiocre. Le poivre n'est réellement
cultivé qu'à partir de 1784 et les premières exportations
débutent en 1813. Sa culture reste marginale, quand bien même le
poivre de Cayenne est de bonne qualité. Enfin, la muscade rencontre des
difficultés liées au climat, très défavorable. En
outre, les arbres sont sexués si bien que la différenciation ne
peut se faire qu'au bout de sept à huit années de culture. Ainsi
la culture de la muscade reste compliquée et n'est pas un article
d'exportation en Guyane519.
Le tabac
La plante y pousse naturellement mais le traitement des
feuilles après fermentation et séchage est mal
maîtrisé, ce qui en fait un produit de mauvaise qualité
malgré les efforts des
517 Marie POLDERMAN, La Guyane française,
1676-1763, op. cit., p. 77.
518 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 243 ; Marie POLDERMAN, La Guyane
française, 1676-1763, op. cit., p. 88.
519 Ciro Flamarion CARDOSO, La Guyane française
(1715-1817), op. cit., p. 244-246 ; Marie POLDERMAN, La
Guyane française, 1676-1763, op. cit., p. 88.
126
autorités et plusieurs projets à partir de 1776.
Ce sont essentiellement les esclaves qui en produisent pour leur consommation
et pour alimenter l'étroit marché local520.
Le bois
Enfin, les « grands bois » sont
régulièrement cités pour les richesses qu'ils renferment
et les perspectives d'exploitation lucrative qu'ils nourrissent. Dans son
utilisation immédiate, le bois est le matériau de base de
l'architecture coloniale, pour la construction des fortifications, des
palissades, des maisons, des habitations. On envisage également de
l'utiliser pour la construction navale, dès 1714. Mais son exploitation
est difficile car on ne connaît qu'un nombre limité
d'espèces utilisables, qui sont souvent éloignées les unes
des autres, difficilement accessibles et transportables. De plus l'exploitation
est essentiellement manuelle, et les différents essais pour fabriquer
des moulins à planche n'ont pas été
concluants521.
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