CONCLUSION
Pierre Victor Malouet se montre donc soucieux de
préserver les colonies. Son statut de planteur et d'administrateur lui
permet de développer une réflexion qu'il tient tout au long de sa
carrière, qui s'efforce à la fois de concilier les
intérêts parfois contradictoires des planteurs et de la
métropole. Sur le terrain de l'esclavage, en revanche, ses prises de
position évoluent sensiblement. Là aussi il tente
d'élaborer un compromis entre humanisme et nécessité. S'il
se montre soucieux du sort des esclaves et qu'il considère leur
affranchissement comme une chose envisageable, il finit par refuser en bloc
cette éventualité au tournant des années 1780. C'est
à partir de cette décennie qu'il prend appui sur cette
thématique pour étoffer ses arguments, en soutien de
l'orientation politique de sa carrière. Loin d'être animé
par un esprit philanthropique, Malouet envisage la question coloniale en
professionnel, en évacuant les problématiques humaines sur
lesquelles repose l'exploitation des colonies, pour ne retenir que les enjeux
économiques et systémiques403. Il justifie même
la nécessité de l'esclavage comme un devoir morale et
civilisateur de l'Europe en faveur des Noirs. À mesure que sa
carrière évolue et que le temps passe, Malouet livre une vision
de plus en plus déconnectée des réalités
coloniales. Comme le lui fait remarquer le baron de Vastey, ses écrits
sont fondés sur une expérience datée d'un quart de
siècle404, qui ne prend pas en compte les évolutions
récentes. De fait, au début du XIXe siècle, il
développe une réflexion très théorique, dans
laquelle il place l'autonomie législative des colonies comme une
nécessité, accolée à une réforme du statut
des esclaves, dans un cadre législatif garanti par l'État.
Ainsi, quand Malouet est nommé commissaire ordonnateur
en Guyane en 1776, il se trouve dans une position vis-à-vis de
l'esclavage qui lui fait envisager l'affranchissement comme une
401 Ibid., p. 25.
402 Yves BENOT, La démence coloniale sous
Napoléon, op. cit., p. 191.
403 Abel POITRINEAU, « L'état et l'avenir des
colonies françaises », op. cit., p. 52.
404 Pompée-Valentin VASTEY, Notes à M. le baron
de V. P. Malouet, op. cit., p. 5.
95
possibilité, ce qui est important à garder en
tête dans le cadre de la préparation de son projet.
96
DEUXIÈME PARTIE
-
DÉVELOPPER LA GUYANE : LA GENÈSE D'UN
PLAN
La réflexion ministérielle autour de
l'implantation d'une colonie Blanche en Guyane s'inscrit dans les prolongements
directs de la Guerre de Sept ans. La ministre Choiseul, en effet, accorde
à cette colonie une valeur stratégique et défensive de
premier plan face aux Anglais. La tentative d'implantation d'un
établissement à Kourou et l'échec retentissant qui en
résulte ont des conséquences durables sur la façon dont on
pense le modèle de mise en valeur de cette colonie, et détermine
pour partie la mission de Malouet, en parallèle au projet définit
par le baron de Besner. Bien plus qu'une simple mise en valeur d'un territoire
lointain, le projet dans lequel Malouet se trouve impliqué revêt
une forte dimension expérimentale. Il s'agit d'une part d'appliquer de
nouvelles méthodes de peuplement en détournant au profit de la
Guyane le marronnage endémique du Surinam pour en faire un foyer de
peuplement constitué de propriétaires libres. D'autre part on
souhaite développer la colonie en augmentant la surface des terres
cultivables grâce à la dessiccation de certaines zones humides,
favoriser la culture des épices et l'exploitation du bois.
L'objet de cette deuxième partie consiste alors
à mettre en lumière les différents facteurs qui
président à l'élaboration du plan imaginé pour la
Guyane et leurs interactions. Dans un premier temps, nous donnerons un
aperçu de ce qu'est cette colonie au XVIIIe siècle en
décrivant son cadre naturel, sa population et son économie. Dans
un second temps, il s'agira d'expliquer quels sont les appareils
institutionnels, scientifiques et idéologiques qui déterminent
l'action ministérielle, avec en creux l'objectif de caractériser
plus justement le rôle de Malouet et la teneur de son intervention. Nous
détaillerons cette dernière, enfin, présentée par
Malouet devant Maurepas.
1 APERÇU DE LA GUYANE SOUS L'ANCIEN
RÉGIME
En brossant à grands traits le tableau de la Guyane
sous l'Ancien Régime, nous allons en donner une vue d'ensemble, en
décrivant son cadre naturel, sa population et son économie. Il
s'agit également de prendre la mesure de la distance qui existe entre
l'univers dans lequel Malouet évolue à Paris, entre salons
mondains et coulisses ministérielles, et cette colonie marginale et
marginalisée, faisant figure de bout du monde.
1.1 Le cadre naturel
97
Le cadre naturel est certainement ce qui présente le plus
grand dépaysement aux yeux des
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européens qui débarquent en rade de Cayenne.
Pour les colons, la résistance du milieu est quelque chose
d'extrêmement difficile à surmonter et conditionne le
succès d'un établissement en Guyane.
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