2.4.2 Vers une radicalité idéologique
Considérant les événements de
Saint-Domingue, Malouet part du constat que, selon lui, l'esclavage sans limite
a conduit à une révolution. Inversement, la liberté pour
tous a engendré le plus grand chaos dans les colonies. Se faisant le
porte-parole de la plantocratie, il considère l'abolition de l'esclavage
de 1794 comme une véritable catastrophe, rendue possible par un a
priori des économistes et des philosophes qui se pensent capables
de gérer une telle révolution380. Il se montre
également prompt à user du préjugé de couleur. Pour
les Noirs, liberté rime avec paresse, à laquelle ils sont
naturellement disposés. Ils ne sont pas éduqués, leurs
moeurs ne leur permettent pas de vivre dans une société autre que
celle des camps ou des ateliers. Ils ne savent pas où est leur
intérêt, qui ne peut évidemment leur être
indiqué que par l'autorité bienveillante du
maître381. Malouet révèle même l'existence
d'une « conjuration universelle des Noirs » dans toutes les Antilles
qui viserait à asservir les Blancs des îles, à
défaut de les éradiquer jusqu'au dernier :
« Le voilà donc connu ce secret plein d'horreur
: la liberté des noirs, c'est leur domination ! c'est le massacre ou
l'esclavage des blancs, c'est l'incendie de nos champs,
de nos cités382. »
Le contexte, on le voit, est largement favorable à une
attaque en règle contre les idées abolitionnistes. Il est
également caractérisé par une propagande diffusant des
théories racistes, qui
379 Jean-François NIORT, La figure juridique du Noir
à travers l'évolution de la législation coloniale
française (XVII-XIXe siècles), op. cit.
380 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 5, op. cit., p. 2-3.
381 Ibid., p. 225.
382 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 4, op. cit., p. 46.
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voient le jour peu à peu et s'affichent comme des
vérités indiscutables, fondées sur des observations «
scientifiques ». L'argumentation accumule les « preuves » que
les Noirs sont des esclaves par nature, sur la base des
événements survenus à Saint-Domingue. La ligne
générale est définie par deux thèmes. D'abord les
faits montrent que les Noirs libérés ne travaillent pas, du fait
de leur tendance naturelle à l'oisiveté. C'est-à-dire, du
point de vue des colons et des négociants, qu'ils ne s'adonnent pas aux
cultures d'exportations, les seules qui, finalement, intéressent le
commerce européen. À l'évidence, le lobby colonial ne fait
que peu de cas du travail à la production de cultures vivrières.
La conclusion relève de l'évidence pour les colons : il faut
remettre les Noirs au travail. « Tout repose sur le postulat que le Noir
libre ne travail pas, écrit Yves Benot. On ne vérifie pas ce
qu'il se passe à Saint-Domingue, ce qui occulte complètement
l'effort de redressement entrepris par Toussaint Louverture383
» qui relance les productions dans le sud par un système de
fermage384. Le deuxième thème éclaire le fait
que les Noirs ne pensent qu'à commettre des exactions à
l'encontre des Blancs, bien pires que ce qu'ils ont eu à subir
eux-mêmes. Malouet est horrifié par la résistance de
Toussaint Louverture à l'expédition Leclerc en février
1802 : il ferait égorger les Blancs par dizaine dès lors que la
France veut reprendre possession de Saint-Domingue. Accorder la liberté
aux Noirs, c'est devoir vivre sous leur domination385. Donc la
sécurité des colons, et de l'Europe en général,
exige le retour à l'esclavage, seul moyen capable de maintenir la
sûreté des propriétés et des cultures
coloniales386.
Malouet prend également en compte l'aspect commercial
et économique. Nous l'avons vu, le soulèvement de Saint-Domingue,
là où il a toute sa fortune, l'a ruiné. Il n'est
guère surprenant qu'il milite pour la restauration d'un système
qui lui a apporté richesse, prestige et honneurs. De plus, le
régime du Consulat favorise une réflexion qui ne cherche plus
à s'opposer aux abolitionnistes sur le terrain des idées, mais
à mesurer quel sera l'apport du commerce colonial sur l'économie,
sur la richesse et la puissance de la France. C'est une approche purement
pragmatique. « La question de savoir si une autre structure de
l'économie française ne pourrait pas lui assurer tout autant de
richesses que l'économie esclavagiste des plantations n'effleure pas le
lobby de la plantocratie », conclut Yves Benot387.
Se pose alors la question de savoir comment assurer l'avenir des
colonies, dans une logique de restauration de l'ordre colonial.
383 Yves BENOT, La démence coloniale sous
Napoléon, op. cit., p. 188.
384 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER,
Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 407.
385 Yves BENOT, La démence coloniale sous
Napoléon, op. cit., p. 190.
386 Abel POITRINEAU, « L'état et l'avenir des
colonies françaises », op. cit., p. 44.
387 Yves BENOT, La démence coloniale sous
Napoléon, op. cit., p. 184.
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