2.4 Le « système colonial » de Malouet :
un principe conservateur
Ce système colonial constitue l'acmé de
sa pensée sur le terrain des colonies, qu'il développe
abondamment dans l'introduction du quatrième volume de sa Collection
de mémoires. En réalité, le système
colonial est plutôt pour Malouet l'occasion de ramasser l'ensemble
d'une réflexion élaborée sur un quart de siècle, au
moment où Napoléon tient les rênes du pays. Nous l'avons
dit, il s'agit pour lui de revenir aux affaires en mettant en avant sa longue
expérience coloniale. Il pose donc trois principes, très simples,
qui forment « le principe conservateur » des colonies, reprenant en
grande partie ses réflexions antérieures : une législation
différenciée entre la métropole et ses possessions
outre-mer, une autonomie législative des colonies, enfin une
réforme du statut de l'esclave.
2.4.1 Revenir aux affaires : le lobby colonial
À son retour d'exil de Londres, au lendemain du coup
d'État du 18 brumaire, Malouet cherche à reprendre du service au
sein de l'administration coloniale. Nous l'avons évoqué, le
soulèvement des esclaves de Saint-Domingue et son exil londonien l'ont
financièrement ruiné. C'est aussi un fervent monarchiste,
soucieux d'ordre et de prestige national. De fait, et à l'image de bon
nombre de monarchiens, il verse dans le bonapartisme. Pourtant, si le Premier
consul met en place un État fort qui conserve une grande partie des
acquis de la Révolution, il nourrit en matière coloniale une
position indécise368 que tentent de faire basculer en leur
faveur les coloniaux de l'Ancien Régime. Regroupés autour de
personnages comme Narcisse Baudry des Lozières, les ministres de la
Marine Forfait et Decrès, l'ancien intendant de Saint-Domingue
Barbé de Marbois, Moreau de Saint-Méry ou Guillemin de Vaivre, le
groupe colonial forme une sorte de bureau de la propagande qui pousse le
Premier consul à restaurer l'ordre colonial tel qu'il était sous
l'Ancien Régime.369 Malouet fait partie de ces lobbyistes. Il
joue sur sa réputation et met en avant son expérience de planteur
et d'administrateur. Ses livres s'inscrivent dans le cadre de la politique
consulaire et ne sont certainement pas étrangers à son
élaboration370. Par exemple, il se prononce en
368 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER,
Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 415 ; Pierre
PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op.
cit., p. 905.
369 Yves BENOT, La démence coloniale sous
Napoléon, op. cit., p. 186 ; Jean MEYER, Jean TARRADE et
Annie REY-GOLDZEIGUER, Histoire de la France coloniale, op.
cit., p. 146 ; Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation
française, op. cit., p. 908.
370 Yves BENOT, La démence coloniale sous
Napoléon, op. cit., p. 186-192.
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faveur d'une législation différenciée
entre la métropole et les colonies, considérant que les lois
valables pour l'une ne peuvent et ne doivent pas s'appliquer pour les autres au
risque de mettre à mal l'équilibre de la société
coloniale. Ce qui est pour lui l'occasion de conspuer l'égalité
des droits, une « métaphysique dangereuse dont on a trop
abusé371 » et de faire coïncider ses idées
avec la politique consulaire qui, le 13 décembre 1799 dans la
Constitution de l'An VIII consacre la spécificité des colonies
dans son article 91, et préconise des lois spéciales pour ces
territoires372.
Soucieux de restaurer la main-mise de la France sur son
domaine colonial373, Malouet estime que « les colonies ne
pouvoient être gouvernées comme leurs métropoles ; car
elles n'ont ni la même fin, ni les mêmes moyens374.
» Il s'appuie également sur des considérations
économiques :
« Des cent vingt millions de revenu colonial, il nous
en reste cinquante de bénéfice numéraire chaque
année. La perte des colonies entraîneroit la ruine de nos
manufactures, celle de la marine marchande et subsidiairement celle de
l'agriculture, jusqu'à ce que l'industrie nationale se fût ouvert
laborieusement des débouchés375. »
Cette argumentation est largement partagée par la
plantocratie, dont Bonaparte ne tarde pas à céder aux
sirènes. En outre, les coups d'État successifs de Toussaint
Louverture à Saint-Domingue entraînent chez le premier Consul une
grande méfiance. Il est également motivé par l'argument
économique, teinté d'anglophobie. La production de Saint-Domingue
chute et le peut qui est produit est capté par les Anglais, en position
monopolistique sur le sucre et le café, ce qui met à mal l'emploi
et participe au renchérissement des denrées coloniales en
métropole376. De fait, la loi promulguée le 20 mai
1802 consacre la restauration de l'ordre colonial d'Ancien Régime aux
colonies, un véritable retour à zéro, selon
Jean-François Niort377. Alors que l'esclavage est
légalement abolit en 1794, la loi du 20 mai supprime le travail
forcé et rétablit l'esclavage378. Le 2 juillet, un
arrêté retire les droits de la citoyenneté aux gens de
couleur et leur interdit, ainsi qu'aux
371 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 4, op. cit., p. 15.
372 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER,
Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 416 ; Pierre
PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op.
cit., p. 909.
373 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires,
tome 4, op. cit., p. 53.
374 Ibid., p. 4.
375 Ibid., p. 247.
376 Jean MEYER, Jean TARRADE et Annie REY-GOLDZEIGUER,
Histoire de la France coloniale, op. cit., p. 416 ; Pierre
PLUCHON, Histoire de la colonisation française, op.
cit., p. 908.
377 Jean-François NIORT, La figure juridique du
Noir à travers l'évolution de la législation coloniale
française (XVII-XIXe siècles), op. cit.
378 Pierre PLUCHON, Histoire de la colonisation
française, op. cit., p. 909.
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Noirs, d'entrer en métropole. Pour la Guadeloupe, un
arrêt consulaire spécifique (dont l'original est retrouvé
en 2007) est rendu le 16 juillet 1802, un arrêt « consternant et
effrayant » précise Jean-François Niort, qui rétablit
l'esclavage, le préjugé de couleur et la traite. L'interdiction
de séjour et des mariages mixtes en métropole est
également rétablie379.
Ce basculement de la politique consulaire s'accompagne
également d'une radicalisation du discours colonial, qui s'engage
dès lors dans une racialisation des rapports entre Blancs et Noirs.
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