1.1.2 Un parcours scolaire classique
Quand il parle de sa jeunesse, Malouet évoque une
première instruction auprès d'un précepteur «
ignorant et spirituel, qui ne [lui a] rien appris », et son passage
ensuite dans un collège de province151. Le petit Pierre
Victor est, en effet, placé avant l'âge de huit ans en
sixième, au collège oratorien de Riom, où il poursuit une
scolarité brillante puisqu'il figure parmi les insignes,
c'est-à-dire les trois ou quatre meilleurs
élèves152. Son parcours scolaire s'inscrit dans la
lignée de la formation reçue par la bourgeoisie riomoise.
René Bouscayrol explique que traditionnellement, la bourgeoisie et les
propriétaires terriens riomois ont tendance à scolariser leurs
garçons chez les Oratoriens, alors que la noblesse préfère
les Jésuites de Clermont153. Une approche plus fine montre
que le rayonnement du collège de Riom n'est, en réalité,
pas seulement local, puisque cet établissement attire à
l'échelle régionale l'ensemble des élèves qui
désirent entrer à l'université, ou dans la
cléricature. Le contexte de ce collège s'inscrit dans la
lignée de ces villes moyennes, à l'image de Beaune ou de Salins,
qui connaissent des taux de recrutement deux à trois fois
supérieurs à la moyenne nationale. Ces collèges, toujours
fondés sur appel des municipalités, permettent l'accès aux
études de jeunes garçons issus de la petite bourgeoisie, de
l'élite artisanale et paysanne. Ils participent à ce que Pierre
Costabel nomme « le ratissage systématique du potentiel
intellectuel de la nation154. » De plus, dans une ville comme
Riom, où la robe domine, « le bailliage et le présidial se
trouvent pendant plusieurs générations dans une sorte d'osmose
par rapport à l'Oratoire, osmose que la présence du
collège dans la ville tend à maintenir155. » Ce
qui renvoie évidemment aux fonctions exercées au sein de la
famille Malouet, par le père et les deux grands-pères, et
dénote d'une tendance certaine à la reproduction sociale.
À quatorze ans, le jeune Pierre Victor est
envoyé par son père au collège de Juilly, en région
parisienne, afin de terminer ses études. Cet établissement, le
plus célèbre collège Oratorien, dispose d'un
véritable rayonnement national156. C'est en 1638 que Louis
XIII, désireux de confier à l'Oratoire l'éducation des
cadets de la noblesse, octroie le titre d'Académie royale au
collège de Juilly. Le recrutement des élèves,
conformément à l'esprit de la fondation, définit un type
très particulier de prise en charge des élèves. Du fait de
sa situation géographique, le collège ne peut
151 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol.
1, op. cit., p. 2.
152 René BOUSCAYROL, « Origines et prime jeunesse
», op. cit., p. 20.
153 Ibid., p. 21.
154 Pierre COSTABEL, « L'Oratoire de France et ses
collèges », in Enseignement et diffusion des savoirs en France
au XVIIIe siècle, Paris, Hermann, 1964, p. 69-70.
155 Dominique JULIA et Willem FRIJHOFF, « Les Oratoriens
de France sous l'Ancien régime. Premiers résultats d'une
enquête », Revue d'histoire de l'Église de France,
1979, vol. 65, no 175, p. 235.
156 Céline RONSSERAY, Administrer Cayenne au XVIIIe
siècle, op. cit., p. 258.
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recevoir que des pensionnaires, qui appartiennent en
très grande majorité à la noblesse157. Deux
raisons expliquent le choix de Pierre André Malouet pour son fils. D'une
part, des mesures discriminatoires frappent les Oratoriens, proches des
Jansénistes, qui entretiennent une rivalité avec les
Jésuites de Clermont. D'autre part, Pierre Antoine Malouet, oncle de
Pierre Victor, y est professeur de philosophie (entre 1749 et 1754) et
désire voir son neveu devenir prêtre158. Cette
perspective semble réjouir le jeune Pierre Victor : « Je ne vis
rien de plus désirable que le sort de mon oncle, et l'habit religieux,
que j'ai porté jusqu'à l'âge de seize ans » nous
dit-il159. Institution sacerdotale par excellence, l'Oratoire ne
reçoit, en effet, que des prêtres ou des aspirants à la
prêtrise160. D'un point de vue pédagogique, John
Renwick et Jean Ehrard mettent en avant une certaine volonté d'ouverture
des Oratoriens aux nouveautés du XVIIIe siècle, notamment aux
horizons chers aux philosophes des Lumières. L'enseignement
dispensé, généralement en français, porte
principalement sur les arts oratoires (la rhétorique), l'histoire et la
philosophie. La rhétorique occupe une place centrale : d'après
les théoriciens de cette congrégation, tout comme ceux des
Jésuites, seules les lettres sont capables de parler à
l'intelligence, à l'imagination et à la sensibilité. La
finalité de leur enseignement est donc de préparer à la
vie de société, à la sociabilité
polie161. En plus de ces enseignements des humanités,
l'Oratoire, depuis l'élan donné au XVIIe siècle, constitue
jusqu'à la Révolution un véritable foyer de culture
scientifique. On y enseigne les sciences en général, les
mathématiques, la physique, la chimie, les sciences naturelles, les
techniques de fortifications, celles liées à la marine, la
mécanique. Cet enseignement scientifique et intégré dans
les deux années de philosophie162.
Toutefois, Malouet n'en bénéficie pas. La vie
conventuelle et les études qui en découlent finissent par le
lasser. Il obtient de son père l'autorisation d'y renoncer et quitte le
collège de Juilly dès la fin de la classe de rhétorique.
Ses mémoires rapportent ensuite qu'il suit avec succès les cours
de la faculté de droit de Paris jusqu'à ses dix-huit
ans163. Là encore, il se dévoile une logique de
reproduction sociale qui a cours dans la bourgeoisie et la noblesse. « Au
XVIIIe siècle, nous dit Céline Ronsseray, un jeune homme sur cent
arrive aux études supérieures suivant un mécanisme de
reproduction professionnelle. Parmi les futurs administrateurs de Guyane, nous
savons que quatre d'entre eux sont passés du collège à la
faculté de droit : Thibault de Chanvalon, Maillart-Dumesle,
157 Pierre COSTABEL, « L'Oratoire de France et ses
collèges », op. cit., p. 76.
158 René BOUSCAYROL, « Origines et prime jeunesse
», op. cit., p. 21.
159 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol.
1, op. cit., p. 2.
160 Dominique JULIA et Willem FRIJITOFF, « Les Oratoriens
de France sous l'Ancien régime. Premiers résultats d'une
enquête », op. cit., p. 233.
161 John RENWICK et Lucette PEROL, Deux
bibliothèques oratoriennes à la fin du XVIIIe siècle: Riom
et Effiat, Saint-Etienne, Université de Saint-Etienne, 1999, p.
27.
162 Pierre COSTABEL, « L'Oratoire de France et ses
collèges », op. cit., p. 79.
163 Pierre Victor MALOUET, Mémoires de Malouet, vol.
1, op. cit., p. 2.
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Vassal et Malouet. Reproduction sociale oblige, ces hommes
sont issus de famille disposant d'un office ou d'une charge. » Il n'est
pas non plus surprenant de voir que Malouet, ses études
terminées, envisage de devenir avocat. Alors que la philosophie et la
théologie stagnent, en raison notamment de la saturation du
marché des bénéfices ecclésiastiques, le droit
présente une progression constante, qui s'explique par
l'accessibilité des gradués en droit aux carrières
d'avocat à partir de 1657 et l'introduction du droit civil dans le
cursus en 1679. Le recrutement ne cesse alors d'augmenter : les facultés
de droit produisent annuellement 100 à 200 licenciés par an
jusqu'en 1789164.
Ainsi, la scolarité de Malouet suit un parcours
classique, où bourgeoisie et noblesse fréquentent les mêmes
établissements. Sur cette toile de fond qui illustre un certain
rapprochement des élites, il continue son parcours en suivant un
schéma répandu au XVIIIe siècle, dans lequel
mobilité géographique et formation se rejoignent.
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