Section 2. Une marraine de l'OEuvre
La Fée aux Fleurs peut donc être
envisagée comme allégorie que fait Diaz de sa propre oeuvre, dont
le sens reste hermétique à l'acheteur. Ceci expliquerait pourquoi
la figure n'est pas nommée après une nymphe, comme pour d'autres
représentations de Flore ou Ophélie, laissant le genre du tableau
incertain à mi-chemin entre le fantastique, le folklorique et la
mythologie. En réalité, si l'indéfinition du genre
permettait d'ancrer la scène dans la continuité de la destruction
de la hiérarchie des genres et du renouvellement romantique de la
peinture, elle aurait aussi un sens intime.
Le don que fait la Fée à Diaz peut
être celui d'une « grâce » perçue dans son oeuvre,
que Paul Mantz associe lui-même à de la féérie :
« Il sut conter des historiettes connues avec une bonne humeur qui
ressemblait à de la grâce, avec un accent qui leur donnait de la
nouveauté... On disait de Diaz qu'il était un peintre de
fééries et il acceptait le compliment101 ». La
féérie perçue par ses contemporains dans l'oeuvre de Diaz
dépasse largement le corpus des fées et êtres fantastiques
regroupé ici, pour recouvrir toute l'oeuvre. La Fée aux
Fleurs peut donc bien être une réflexion que se fait Diaz
à lui-même, en retour de cette étiquette qu'on lui appose.
Si d'ordinaire le peintre laisse une atmosphère féérique
dans son oeuvre, ici il donne corps à la féérie de sa
propre peinture. Se détachant sur un fond unifié, la figure
échappe au milieu naturel, elle n'émane pas de la nature comme
les nymphes, mais de l'oeuvre-même du peintre.
Gautier, dans ses images synthétiques, attribue un
charme identique à tous les tableaux de Diaz : pour lui chacun est une
« gerbe de couleurs102 ». La métaphore
évoque bien un tableau-fleur, dont la couleur serait vivante. Diaz peut
reprendre à son compte cette image, qui correspond à la
désinvolture et au principe de plaisir de sa peinture. Focillon rapporte
que Diaz parlait du « bouquet de fleurs dans l'eau sale103
» pour désigner son usage des tons. Théophile Gautier classe
Narcisse Diaz dans son Salon de 1847 parmi les « Peintres de Grâce
et de Fantaisie104 », avec Winterhalter,
101 Mantz, Paul, op. cit.
102 Gautier, Théophile, Salon de 1847, Paris, J.
Hetzel, 1847, p. 92.
103 Focillon, Henri, La peinture au XIXe
siècle, Paris, Flammarion, 1991, p. 226. Le « bouquet »
est aussi une expression de Silvestre à propos de la touche du peintre,
voir son Histoire des artistes français, op. cit., p.
151. Voir également Thoré, Théophile, Promenade au
Salon de 1844, op. cit., p. 31.
104 Gautier, Théophile, Salon de 1847, Paris, J.
Hetzel, 1847, p. 87-108.
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Longuet, Bosson, Baron, Isabey, Vidal et Muller. Pour le
critique, les peintres ont placé la « beauté » au
centre de leur recherche picturale.
Dans l'émulation artistique des années
1840-1850, devenir l'« exemple curieux d'une fortune facile obtenue par
une faculté unique105 » selon la formule de Baudelaire,
peut être tout aussi inattendu pour le peintre. Celui-ci
allégoriserait donc au retour de sa fortune après 1860, «
cette faculté unique dont la nature l'avait prodigalement
doué106 », le don que l'on lui attribue, par une bonne
fée.
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