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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Chapitre 2. La Fée aux fleurs : le don bohème

La fée aux fleurs (repr. IV) est un tableau peint en 1866, qui fait écho dans le catalogue à un autre nommé Flore ou la fée aux fleurs (allégorie du printemps) (repr. V), peint à la même date. Dans ce cas il faudrait la rapprocher de toutes les représentations de Flore, et qui plus est considérer que c'est uniquement une allégorie du printemps. Pourtant la passation de collections en collections des tableaux de Diaz permet sur un certain nombre de tableaux de douter du titre original. Il faut donc affranchir l'analyse de l'iconologie de Flore, sans négliger les liens que peut entretenir la fée avec elle, puisque la nymphe et la fée sont étroitement liées.

83 Diaz peut partager en effet avec l'art renaissant, l'idée de « montrer une beauté incomplètement réalisée dans ce qui existe », selon les mots d'Erwin Panofsky. Panofsky, Erwin, Idea, Paris, Gallimard, 1989, p. 65.

84 Gille Vincent, « Au hasard des taches : l'encre du rêve », Gille Vincent (dir.), cat. exp. Trajectoires du rêve, du romantisme au surréalisme, Paris, Pavillon des arts 7 mars - 7 juin 2003, Paris, Paris musées, 2003, p. 82-83.

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L'intérêt d'une « Fée » comparée à une nymphe, est son pouvoir de faire un don, d'être marraine85. Comme figure remplaçant la mère, son invention de toutes pièces par Diaz peut incliner à y chercher un rapport direct avec la mort de la mère du peintre. L'omniprésence écrasante de la femme et de la jeune fille dans son oeuvre est interprétée par Pierre et Rolande Miquel sous ce jour psychologique86, qui donne à l'oeuvre un aspect résilient ou exorciste. Sans refuser cette analyse, il est possible d'approfondir l'interprétation de ce sujet original et personnel, pour éclairer la volonté artistique de Diaz.

Section 1. Une conscience de l'éphémère

L'intérêt particulier et insistant attaché aux fleurs, est mis en évidence par l'invention par le peintre de cette « Fée aux fleurs ». L'insistance du motif floral dévoile une sensibilité attachée à l'éphémère et aux plaisirs que procurent les sens. Un certain hédonisme vient précisément « colorer » l'oeuvre entière, dans l'harmonie des tons éclatants, comparables aux teintes que peuvent prendre des fleurs.

Cet hédonisme particulier au temps de Diaz, sera baptisé « bohémianisme, culte de la sensation multipliée » par Baudelaire87. Le bohême s'enivre des choses, et parcourt les états d'âmes et les situations que peut proposer un contexte social dominé par une philosophie du libre arbitre88. Le papillon qui peut évoquer une âme défunte comme dans La Famille Oberkampf (v. 1803) de Boilly89, renvoie plus largement au caractère éphémère du plaisir. Il pourrait symboliser l'hédonisme bohème chez Diaz, mais sous le Second Empire, c'est la bourgeoise qui a tôt fait d'être symbolisée par l'inconstance et la liberté du papillon. À la lecture des propos de Seigel, on pourrait tenter une analyse passant outre l'antagonisme du bourgeois et du bohême pour la métaphore, d'autant que Diaz est tout à la fois bohème et rupin, et que son hédonisme est opulent. Pour Jerrold Seigel, c'est un pendant nécessaire à la sociabilité bourgeoise de donner un temps d'expérimentation dans la formation du jeune adulte, qui se réunit ainsi au corps social alors que son être nait dans un contexte individualiste qui ne lui donne nécessairement aucune place définie90. Autrement dit la bohème est un avatar de la culture bourgeoise. Ce pourrait être une image de la formation de l'individu, pendant une phase de chrysalide, avant de pouvoir déployer des ailes qui lui sont propres.

85 Rager, Catherine, op. cit.

86 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 27.

87 Baudelaire, Mon coeur mis à nu, préf. Antoinette Weil, Paris, La Cause des Livres, 2008, p. 68.

88 Seigel, Jerrold, Paris bohème. 1830-1930, trad. Odette Guitard, Paris, Gallimard, 1991. Sur les relations entre bourgeoisie et bohême, pour nuancer leur antagonisme, voir son introduction « Les frontières de la bohême », p. 14-38, notamment les pages 15 à 20.

89 Selon l'analyse de Sébastien Allard, dans Pernoud, Emmanuel, Allard, Stéphane et Laneyrie-Dagen, Nadège (dir.), L'enfant dans la peinture, Paris, Citadelles & Mazenod, 2011, p. 203.

90 Seigel, Jerrold, op. cit., p. 15-20.

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Dès ses années de formation non loin de la bohème du Doyenné, Diaz peint des fleurs sur les murs de l'auberge de Ganne (repr. 4), s'appropriant le privilège d'une peinture décorative et galante, en même temps qu'il retrouve l'hédonisme enfui que l'on prête à l'aristocratie, à qui appartenait le raffinement de ces décorations. Les fleurs sont un apanage bohème, à la fois bucolique, et inextricablement lié à la mort car elle se fane, et doit être appréciée dans l'instant. La même confrontation à la guerre et à la misère a focalisé l'attention d'une peinture romantique politisée et noire, tels Goya, Delacroix, Géricault, dont les leçons sont très présentes et marquantes pour la génération de 1830. Gautier, en faisant le manifeste d'un « art pour l'art », ne fait que continuer une forme de réaction à la violence, dans la fuite et la délectation de l'instant démultiplié dans l'imaginaire, le « fantastique ». Plutôt qu'une imitation de l'art aristocratique, c'est une réquisition de celui-ci que tente l' « artistisme91 » des Jeunes-Frances sous la monarchie de Juillet, forte de son sentiment de pouvoir mieux comprendre l'art que ne le faisait la tradition, par un retour aux sources, un rapport primordial et neuf au monde92.

Diaz avait peut-être remarqué que la fleur colorée, créée par la plante, s'apparente à une oeuvre d'art. A la lecture de certains commentateurs qui soulignent la vivacité des couleurs de Diaz, on peut comprendre une analogie entre les fleurs et les tableaux de Diaz, que la Fée aux Fleurs semble conscientiser, revendiquer. Plusieurs commentateurs nous rapportent que l'éblouissement des tableaux de l'artiste, que l'on nomme « pétard » ou « pétarade93 » (voir annexe 4) est éphémère ; nous pouvons ajouter que ce caractère a pu être assumé par le peintre, qui identifierait alors sa production à une floraison, après que les mots de son maitre Xavier Sigalon soient passés de bouche en bouche : « Il fait des tableaux comme un pommier des pommes94 ». La Fée aux Fleurs, tableau qui s'est manifestement beaucoup assombri, fait partie de ceux qui ont perdu leur éclat à cause de la technique du peintre, qui privilégiait l'effet immédiat sur la durée. À propos de ses sujets copiés de Prud'hon, Champfleury exprime ainsi cet aspect éphémère en en faisant la singularité de Diaz : « Cependant M. Diaz a quelque chose qui manquait à Prud'hon : il a inventé le pétard. Prud'hon est calme, M. Diaz est éblouissant ; malheureusement le pétard ne laisse que de la fumée95. » Comme la fleur éphémère et séduisante, les tableaux de Diaz ont quelque chose de « pop » avant la lettre : leur déliquescence n'intervient qu'après en avoir tiré un bon prix. Seulement quelques années après avoir été peints, les tableaux perdent leurs couleurs, comme le rapporte Monet :

91 Le mot est de Félix Pyat, dans, « Paris Moderne. Les artistes », Nouveau Tableau de Paris au XIXe siècle, Paris, Charles Béchet, t.4, 1838, p. 18.

92 Voir Jones Shirley, « Vue sur Cythère. Watteau et la critique romantique au XIXe siècle », Revue des sciences sociales, janvier-mars 1975

93 Le terme apparait dans la Complainte de Barbizon, chanson improvisée et collective, voir la page reproduite en annexe 4, de Ménard, René, « Barbizon », Le Musée Universel, avril 1876 - septembre 1876, t. VIII, 2e semestre 1876, p. 291.

94 Rapporté par Silvestre, Théophile, Les artistes français. 1. Les romantiques, (1852), Paris, Crès, 1926, p. 144.

95 Champfleury, « Salon de 1846 », op. cit., p. 40.

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« On ne peut s'imaginer comme les Diaz de la Peña étaient beaux quand ils venaient d'être peints ; c'étaient de véritables joyaux... Évidemment, sa technique l'a trahi ; aujourd'hui tout est embué ; ils ont perdu leur qualité96. »

La fée aux Fleurs dans son état actuel symbolise d'autant mieux tout cet aspect transversal de

l'OEuvre.

En effet, plus qu'un simple écho à la technique picturale du peintre, c'est une attitude face au marché qu'il impose, déterminant le premier une valeur à la chose déliquescente. L'esthétique de la ruine et de l'esquisse chère au romantisme trouve une continuation. Se rappelant peut être comment les tableaux de Constable passaient pour des esquisses97, Diaz impose la valeur poétique de cette forme (repr. 5). Tout d'abord, il est le premier, en 1849, à organiser une vente aux enchères d'oeuvres inachevées, esquisses et pochades exécutées sur le motif en forêt98. D'autres profiteront après lui de cette rupture de tradition qui fait autorité par la mode et le succès commercial ; autrement dit, il a été le pionnier99 d'une nouvelle brèche dans l'offre et la demande sur le marché. Comme pour la bataille d'Hernani, les amis de Diaz viennent soutenir les enchères. En 1853, le charme opère, les amateurs contournent la liste d'attente de plus d'un an pour lui acheter une toile, en lui demandant une ébauche. Diaz fait commerce prolifique d'oeuvres inachevées. À partir d'un tournant où la mode fait produire à Diaz des sujets anecdotiques en série, la critique commence à regretter ses paysages. En 1865, alors que ses toiles ne lui permettent plus de rembourser des dettes accumulées, il vend des dessins à l'essence qui atteignent presque le prix des tableaux (voir les peintures à l'essence sur le thème de Faust, (repr. 28), la presse y voit un exploit : « C'est la troisième manière et la troisième fortune de Diaz100 ». Après ses tableaux, ses esquisses de tableaux, il renoue avec une technique apprise de l'atelier de porcelaine, dont la rapidité d'exécution et l'innovation peut multiplier les chances de satisfaire la demande. Les deux versions de la Fée aux Fleurs, datées de 1866, ont été peintes après le succès que rencontrent ses ventes de dessins à l'essence, confirmation pour le peintre de la validité d'un art évoquant la nature par une technique relâchée. Le primat de l'effet de l'oeuvre sur la technique permet à Diaz de penser des oeuvres qui évoquent dans l'inachèvement son rapport sensualiste au monde, le même type de plaisir que l'on peut trouver à cueillir une fleur ; de la même façon, c'est cette envie qu'il essaie de susciter chez ses acheteurs.

96 Monet cité par Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 128.

97 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p. 242. Sur l'esquisse voir p. 241-248.

98 Catalogue d'une jolie collection d'esquisses peintes, sujets de figures et études d'après nature, par M. Diaz, Paris, 3 mars 1849.

99 Voir Kelly, Simon, op. cit., p. 33-47.

100 Chronique dans L'Artiste, 1865, cité par Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 132.

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Isolée dans l'oeuvre du peintre, comme la plupart des tableaux que nous étudions, les fleurs et le papillon que portent notre première Fée peuvent symboliser une idée que Diaz se fait du reste de son oeuvre : la confirmation d'une identité de peintre dont la technique autant que les sujets sont inspirés de la nature. Ainsi, la Fée aux Fleurs est bien une marraine, qui fait don à l'artiste d'attributs symbolisés par les fleurs.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand