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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Chapitre 3. La parole à l'oeuvre

L'action décrite dans le Maléfice tient dans une parole. La plupart des tableaux de l'artiste sont des scènes sans communication entre les protagonistes, des pantomimes muettes. Les scènes de

357 Silvestre, Théophile, Les artistes français, op. cit., p. 141. L'expression proviendrait selon lui des amis du peintre.

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conversations même mettent avant tout en scène une entente tacite et chaleureuse entre les personnages qui prime sur tout dialogue. Le Maléfice place quant à lui peut se réduire à une parole prononcée, mise nettement en valeur dans chacune de ses versions. Si le genre et le nombre de personnages malévolents varie d'un tableau à l'autre, leur attitude penchée, murmurant à l'oreille de la jeune fille est l'essentiel du sujet.

La parole est l'agent magique, qui suggère à la jeune fille des idées néfastes. Dans la Scène d'Incantation, Diaz accentue aussi la parole du personnage là où Téniers358 par exemple se focalisait sur les accessoires magiques pour décrire le surnaturel.

Section 1. Le verbe, essence humaine de la Création

L'unicité humaine décrite dans les paragraphes précédents s'observe, comme nous l'avons fait remarquer précédemment, dans la négation de la typologie des expressions en fonction des caractères nationaux. Ceci sous-tend qu'au lieu de chercher l'humain dans le déploiement et la variété de ses expressions, Diaz le ramène à l'essentiel : la possession commune de moyens d'élocution et d'expression. Dans le Maléfice, il insiste sur le pouvoir créateur des mots : ils font et défont les situations, influent sur les personnes.

Le Maléfice n'est pas exactement la seule scène où l'usage de la parole est mis en évidence. Diaz en fait notamment le sujet du Conteur (repr. 33) où la parole est utilisée comme support du mythe oralement transmis. L'usage des mots est pris comme la condition nécessaire à la vie sociale, à même de donner un sens à l'existence du groupe, et élément principal sur lequel repose le quotidien.

C'est grâce à la critique que Diaz est reconnu comme artiste. De ce point de vue Diaz peut connaitre d'une façon égale l'importance de l'association amicale, qui est à la base de la synergie artiste-marchand-critique, et de la parole qui agit dans cet espace virtuel pour créer de la valeur abstraite.

Les rumeurs qui créent les intrigues, les promesses, les insinuations, les épanchements, créent des affinités, permettent la cohésion et entretiennent la principale source de conflits. Ce sont ces histoires qu'on raconte qui font l'histoire des individus. La vieille femme couverte, pourrait jouer de la sensibilité de la jeune bohémienne aux moeurs inconséquentes, en lui rapportant ce qu'on dit d'elle, qu'elle « fait des histoires », pour qu'à l'avenir elle n'expose plus ses charmes.

Diaz oppose à l'idéal de transparence romantique, où l'expression peut révéler mutuellement à deux interlocuteurs leur moi profond afin de rompre avec une codification pesante, la vacuité d'une telle

358 David Teniers, Scène d'Incantation, 1650, oil on cooper, 36,8 x 50,8 cm, Collection of the New York Historical Society.

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entreprise, et revisite plus volontiers la sociabilité du XVIIIe siècle ou d'un ailleurs oriental. Les deux sont mis en équivalence, opposés à la modernité individualiste, et supposent un degré de sociabilité et de solidarité rendu mieux accessible par l'évacuation de l'enjeu identitaire de la transparence. En soulignant l'existence de la parole et en la faisant primer sur l'expression, Diaz nie l'idéalité de la sociabilité de son temps. La parole d'un tiers agit quels que soient les efforts de communication, la sorcière du Maléfice pouvant balayer en quelques suggestions la construction d'un couple amoureux, voire l'identité même de la jeune fille en l'atteignant dans son narcissisme. Lorsque le peintre revisite la fête galante de Watteau dans la Descente de Bohémiens en substituant les aristocrates aux voyageurs, il établit une équivalence d'élite morale. La bohême devient dépositaire d'un sens authentique qu'il lui appartient de transmettre, formant la nouvelle tradition romantique. Les bohémiens, comme les exilés de Coblence, voyagent en préservant un sens moral et une culture propre, indépendante des frontières et des nations. Par-delà la recherche rationaliste déraisonnablement systématique d'un type, Diaz fait renouer la bohême avec ce que peuvent partager bohémiens et aristocrates idéalisés : un sens de l'association et de la conversation, c'est-à-dire une sociabilité viable. Les bohémiens deviennent une aristocratie débarrassée du luxe et des codifications.

Contrairement à ce que suppose l'idéalité d'une révélation mutuelle359 par le travail de l'expressivité d'une identité, la parole ne peut se contenter d'informer sur une personne, elle modifie sensiblement les rapports de pouvoirs et agit d'elle-même sur les situations. Diaz peut être sensible à l'idée du Verbe créateur, puisque c'est ce qu'enseignent les écritures.

Diaz laisse du jeu entre ses personnages, comme s'il opposait la contrainte de l'expression d'un moi qui traduise l'essence d'un individu supposément indépendant de l'être-là, et l'interdépendance de ses personnages dont l'individualité est brouillée. Le jeu entre les personnages, le jeu entre les coups de pinceau et entre les formes, est la technique qui n'a pu voir le jour que sous la dominance d'un libéralisme esthétique, dont le versant social appelle une réflexion sur l'identité. L'interchangeabilité des personnages sous leur costume nie la possibilité d'une révélation du moi individuel par transparence, et ramène à un jeu d'apparences, où l'on peut mentir sur son identité, infléchir le cours des choses et sa propre identité par le costume.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand