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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Chapitre 2. L'humain à travers les cultures

La présence de magiciennes dans l'oeuvre de Diaz illustre et confirme sa préoccupation centrale : ce qui lie l'humanité, en menant la même bataille contre certains tenants de l'idéologie du Progrès que celle où s'illustra Nodier notamment. Le Maléfice illustre bien mieux que La Magicienne, la réalité d'une part irrationnelle irréductible à l'humanité, et qui, en étant niée sous couvert de superstition, devient d'autant plus mystifiée, comme dans L'Horoscope. Le physionomiste acharné qui ne reconnait pas sa propre superstition, est pareil à celui qui croit aux lignes de la main ; ce dont la gitane, elle, se soucie peu. Dans le Maléfice, les personnages renvoient le spectateur à une condition irréductible et indépendante de toute culture.

Section 1. Des émotions universelles

344 Lebensztejn, Jean-Claude, L'art de la tache, introduction à la « Nouvelle Méthode » d'Alexander Cozens, Paris, Éditions du Limon, 1990, p. 493.

345 Miquel, Pierre et Rolande, op. cit., p. 46.

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Théophile Thoré346 devint en 1844 le principal promoteur de l'art de Diaz, ce qui du point de vue de ses propres recherches physionomiques peut étonner. On comprend l'engouement de Thoré pour Diaz aussi à l'aune de l'analyse que nous présentons ici. Thoré, très intéressé comme beaucoup de ses contemporains par la progressive découverte des peuples étrangers, souscrit à la notion de caractère et de type, et participe à asseoir la science des caractères dans son Dictionnaire de phrénologie. Sa dernière phrase explique cependant la visée particulière pour laquelle son oeuvre n'est qu'un moyen : contribuer à l'amour entre les peuples, en leur permettant de reconnaitre en chacun l'oeuvre de Dieu. Thoré pensait oeuvrer pour l'harmonie et la compréhension mutuelle des individus et des « races347 » ; suivant la même aspiration, il explique en 1855 dans La Revue universelle des Arts voir à l'Exposition universelle la formation d'avant-gardes artistiques ne respectant pas les frontières, comme l'annonce de l'avènement d'une « école universelle (...) à laquelle rien d'humain ne sera étranger348 », reprenant les mots du philosophie Térence349. L'art peut devenir une langue universelle, se donnant comme un autre moyen que la science phrénologique à l'entente entre les peuples, grâce aux avant-gardes, dans l'esprit de plusieurs théoriciens et acteurs de la scène artistique française, dont Thoré, ou encore Baudelaire350. Thoré voit précisément chez Diaz l'émanation du divin commun à toute la Création. Mais Diaz s'écarte de la recherche typologique, et en cela répond aux aspirations de Thoré dans un sens qui peut être lui échappe.

Diaz assume que l'étrangeté et l'altérité résistent à la science, qu'ils sont inhérents à la perception de l'homme. En conséquence, l'identité que l'on pourrait voir apparente est mise à mal par le peintre. Devenant interchangeables sous leurs costumes, les personnages de Diaz donnent matière à réfléchir sur la pratique du déguisement en essor sous le Second Empire. Les déguisements peuvent infléchir la perception de l'instant, et éventuellement le déroulement des intrigues. L'identité d'un individu se « colore » de son apparence, il n'y a pas d'individualité indépendante de son être-là. Cette importance de l'instant où le déguisement accorde une fuite dans un ailleurs se retrouve chez l'Impressionniste Renoir, avec Parisiennes habillées en Algériennes ; saisir la poésie de Diaz permettrait ainsi de relire l'oeuvre de Renoir, particulièrement ses oeuvres parfois dites « faibles ». De même, compte tenu du rayonnement de Diaz, la poésie de l'anecdote qui traverse son oeuvre pourrait permettre de reconsidérer la façon dont certains Réalistes comme Manet s'y prêtent, qui

346 Sur la complexité de la sensibilité critique de Thoré, voir Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit., p. 205-216.

347 Thoré, Théophile, Dictionnaire de phrénologie et de physiognomonie, à l'usage des artistes, des gens du monde, des instituteurs, des pères de famille, des jurés, etc., Paris, La Librairie Usuelle, 1836 ; voir les phrases conclusives de l'auteur, qui y résume son intention humanitariste.

348 Bruger, William (pseudonyme de Thoré, Théophile), « Des tendances de l'art au XIXe siècle », Revue universelle des Arts, t. 1, 1855, p. 83.

349 Térence, L'Héautontimoroumertos, c. 170-160 av. J.C., v. 77.

350 Voir l'article de Béatrice Joyeux, « Art moderne et cosmopolitisme à la fin du XIXe siècle. Un art sans frontières ? », Hypothèses, 2002/1, p. 187-199.

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passent aussi pour des oeuvres « faibles351 », pour ne pas dire incohérentes. A la transparence idéalisée s'oppose la réalité du jeu des apparences, auquel la jeune fille du Maléfice peut se faire prendre. Ce jeu d'apparences, niant l'existence absolue d'une identité essentielle à trouver chez les personnes, explique le jeu à l'oeuvre chez Diaz, et son intérêt particulier pour le déguisement dans sa vie, la construction de son personnage artistique, et l'interchangeabilité de ses personnages. En se parant d'une façon qui évoque l'imaginaire ou l'exotique, l'individu ravive le plaisir qu'il prend à être là en pouvant jouer avec sa propre présence.

Le peintre unifie plutôt le genre humain sous cette condition individuelle et commune, faisant de ses protagonistes des individus s'accompagnant souvent sans même se parler. L'idée d'une « langue » universelle ne correspond que de façon secondaire à l'oeuvre de Diaz, puisqu'il s'agirait tout au plus d'expériences partagées par le genre humain, expériences amoureuses et familiales. Sous ses traits mythologiques, allégorisé de façon personnelle ou narré dans des anecdotes, l'Amour s'installe comme principe hégémonique, auquel répond les scènes de familles et d'enfants, mais aussi les scènes de conversation. Les mêmes assemblées en sous-bois se jouent d'un continent à l'autre (voir repr. 34, 35, 36), car ce qui occupe les interactions humaines est en premier lieu l'amour et toutes les histoires que l'on se raconte. Diaz suppose que l'humain est unifié par la cellule familiale - l'idée ethnocentrée est facilement accessible et a une profondeur suffisante pour que la sociologie ne la réfute que très récemment352 - et en tire la langue universelle : l'amour, qui confirme sa foi.

Ces manières répétitives, attribuées indifféremment à tous les protagonistes des différents ailleurs de Diaz, renvoient à une force de grâce, notion caractérisant un rapport individuel aux choses, que peut partager l'ensemble de l'humanité. Cette grâce est elle-même art de la suggestion et de l'appréhension de l'autre, une forme de délicatesse poétique et d'intention altruiste que le peintre décline dans un répertoire limité et répétitif de scènes de genre. Il met ainsi en scène le don, l'accompagnement, la sensibilité aux choses. L'insistance du motif répété nous ferait oublier que quelque chose est bien mis en scène et inlassablement représenté : une manière, une « magie », art de faire, au sens qu'aurait pu utiliser Diderot. Ce sont aussi ces échanges et interchangeabilités qui traduisent le même sentiment d'harmonie humaine à laquelle Thoré fait référence.

Diaz, par son succès, a expérimenté la vanité de la recherche de l'expression juste pour satisfaire à la prégnance d'une émotion sur un public, et la supériorité de la suggestion, qui elle, est universellement partagée.

351 Rosen, Charles et Zerner, Henri, op. cit.

352 Voir Godelier, Maurice, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'anthropologie, Paris, Flammarion, 2007.

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