VI.1.2. La
société enfantine
Dès que l'enfant a reçu, les premières
bases de son éducation au sein de la famille à travers une foule
de personnes qui constitue le groupe de parenté, dès qu'il a
prononcé quelques mots et qu'il peut user de ses petites jambes, les
adultes vont le pousser à aller, d'une certaine manière,
percevoir les exigences d'une vie communautaire au sein de sa classe
d'âge que nous avons convenu de nommer: la société
enfantine.
Très tôt les adultes vont s'apercevoir que
l'enfant va baigner au milieu d'une complexité relationnelle qui se fera
par et autour du jeu et elle, constitue pour l'essentielle le creuset autour
duquel s'opère singulièrement l'apprentissage de la vie.
Cette complexité relationnelle qui se réalise
autour du jeu sera comparable à bien des égards aux relations que
l'enfant entretient au sein de la famille. En un sens on pourra dire avec Alain
(1986 : 36) que :
L'enfant tient à sa famille par des liens
forts; mais il tient au peuple enfant par des relations qui ne sont pas moins
naturelles. En un sens il est moins étranger au milieu d'enfants que
dans sa famille, où il ne trouve point d'égaux, ni de
semblables. C'est pourquoi, dès qu'il peut ronger sa corde, il
court au jeu qui est la cérémonie et le culte du peuple
enfant.
Cette société enfantine joue un rôle
très important comme nous allons le voir dans l'éducation de
l'enfant au sein de la société traditionnelle car, elle a souvent
une importance au sein de la société globale. Dans le conte
Sense pass kingpar exemple, le chef appelle tous les enfants du
village afin de leur confier une tâche communautaire: multiplier au bout
de deux ans un couple de chèvres qu'ils avaient reçu chacun.
Cette société enfantine est organisée et, à un
contenu et des finalités éducatives.
VI.1.2.1. L'enfant: acteur principal dans sa
propre éducation
L'introduction de cet aspect dans cette partie
consacrée aux acteurs de l'éducation vient d'un certain nombre de
considérations. Il est coutume de penser que l'enfant est un être
passif, qui est juste l'objet d'une éducation dont les principaux
acteurs sont étrangers à son être. Coutume est encore de
croire qu'il n'est là que pour exécuter ce qu'on lui dicte. Mais,
quelle n'est pas la surprise parfois de constater que l'on est face à
son refus de conformisme et à l'affirmation de son individualité
qui va au-delà des règles. Ce qui rompt avec les
considérations jusque-là admises et fait de l'enfant un acteur
principal dans sa propre éducation.
Volontairement et en toute liberté, l'enfant choisit de
respecter les normes du groupe social. De même, il peut décider de
passer outre toutes les recommandations, tous les conseils.
La société traditionnelle africaine
reconnaît à juste titre cette liberté de choix qu'a
l'enfant d'agir ou pas. C'est dans cette optique que les conseils occupent une
place considérable dans l'éducation traditionnelle. La plupart de
temps la société à travers les vieux, les hommes
d'expériences, les conteurs, les parents, conseille et guide. Elle
présente aux enfants les conséquences de tel ou tel acte pour
former leurs mentalités, pour les amener à canaliser leurs
pulsion au profit d'une gestion rationnelle de leurs émotions et
comportements en stricte conformité avec l'agir qui est admis par tous
comme profitable à l'ensemble. Par ces conseils l'enfant: «
acquiert le sentiment qu'il n'a pas le droit de vivre pour lui-même,
qu'il doit, pour être aimé et accepté,
se conformer à ce que les autres attendent de
lui » (P.Erny, 1968 :105).
C'est dans cette mesure que par la volonté, le choix
d'agir ou pas, nous classons les enfants de nos contes du Cameroun dans deux
grands groupes: le premier concerne ceux des enfants qui par la volonté
et le libre-arbitre qu'ils possèdent décident de n'en faire
qu'à leur tête: il s'agit ici de Ngo-lipem, dans La
jeune fille désobéissante qui malgré les
conseils de son père, décide malgré tout de diriger sa vie
comme elle l'entend. C'est aussi l'exemple des frères aînés
dans le conte Les trois frères et de Dudu dans Les poussins
têtus.
Le second groupe concerne les enfants qui toujours par leur
volonté décide de suivre les recommandations, d'écouter
les conseils comme nous le constatons dans le conte Les trois
frères avec le benjamin, dans La jeune fille
désobéissante avec Ngo yi et Ngo Maliga.
Si pour chacun de ces groupes nous avons vu des destins
opposés, ces destins constituent, notons le, des leçons que la
société traditionnelle africaine présente comme
modèles à suivre ou à ne pas suivre.
Ø Organisation
L'organisation de la société enfantine est
d'abord sexuelle: les filles se regroupent entre elles, les garçons
entre eux. Car la société traditionnelle fonctionne selon le
principe de la division sexuelle du travail: une fille ne peut faire ce que
fait un garçon et inversement.
Ensuite, la société enfantine s'organise selon
une hiérarchisation bien précise comme dans le conte : Les
trois frères où il y a un aîné, un cadet, un
benjamin. Elle opère selon une hiérarchisation où les
aînés règnent fièrement sur les cadets.
Une fois acceptés, les plus petits sont encadrés
par les plus grands qui leur font passer des tests physiques et parfois
d'intelligence comparables à une sorte de bizutage.
Parmi les aînés enfin, règne un chef qui
est généralement le plus âgé des enfants à
qui l'on confie comme dans la famille, la responsabilité des
tout-petits. Celui-ci devra le plus clair de son temps répondre de ce
qui pourrait arriver aux plus jeunes.
Si les sociétés enfantines ont des lois et des
codes de conduites propres à elle, force est de s'apercevoir que: tout
adulte à tout moment a un droit de regard. L'adulte pourra par exemple
contrôler, proscrire tel ou tel acte, punir tel ou tel écart de
conduite.
Ø Contenu éducatif et
finalité
Le contenu éducatif de la société
enfantine est essentiellement le jeu qui, constitue pour l'essentiel, le moyen
par lequel l'enfant apprend des autres et apprend de lui-même. Les jeux
auxquels se livrent les enfants sont aussi divers et nombreux et comprennent
principalement les jeux qui visent à développer les aptitudes
physiques et d'autres qui développent les aptitudes intellectuelles et
mentales.
Parmi les jeux qui développent les aptitudes physiques,
on peut citer les jeux de force, qui vise non seulement à
développer la force mais aussi la musculature. Ceci, pour permettre
à l'enfant de ne pas se faire menacer par les autres sous peine de se
faire traiter de « femme».
Les jeux qui développent les aptitudes intellectuelles
et mentales permettent à l'enfant d'avoir un esprit de discernement et
d'intelligence. Ces facultés ou aptitudes se manifestaient le plus
souvent par les devinettes et les énigmes qui au delà de
l'intelligence, permettent à l'enfant, avec l'art du contage de
développer l'éloquence et l'art de la parole facile.
Très souvent, c'est à travers ces jeux que
l'enfant saura donner un peu de son être aux autres de son groupe. Il
saura très vite que: « pour se faire accepter et
intégrer, pour gagner la sympathie et l'estime des autres,
[il] doit apprendre à faire des concessions et
abandonner certaines conduites qu'il pourrait se permettre avec
sa mère, mais qui lui causent du préjudice face aux
semblables ». (P .Erny, 1968 :83)
Dans une large mesure, ces jeux sont une
représentation ou une miniaturisation de tout ce qui se fait dans la
société des adultes, ils visent à renforcer la
fraternité entre les enfants. Les adultes ayant conscience de l'impact
de la fraternité dans l'éclosion d'autres valeurs que sont:
l'amour, la compréhension, la tolérance. Le conte Le
mauvais frère est l'exemple illustrateur de cet esprit de
camaraderie entre la soeur du mauvais frère aux jambes coupées et
son amie qui, au delà des vents et marées étaient tout
simplement inséparables.
Comme nous voyons, la société enfantine avait
dans la société traditionnelle un rôle important dans le
processus de socialisation de l'enfant.
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