Les contes et les mythes en pidgin : facteur d'éducation de l'enfant dans la société africaine traditionnelle dans la région du sud- ouest (BUEA)( Télécharger le fichier original )par Anne OBONO ESSOMBA Université de Yaoundé I - Doctorat en littérature orale et linguistique 2014 |
V.2.2. Quelques valeurs africaines à sauvegarderL'une des plus grandes conclusions des éducateurs de toutes sortes aujourd'hui reste et demeure la reconnaissance légitime et solennelle d'une éducation qui a pour but principal le développement et l'ouverture au monde.Cetteéducation devrait avoir pour base les connaissances traditionnelles et culturelles d'un peuple. Car ces connaissances constituent pour ce peuple non seulement son héritage mais aussi et surtout son identité, elles servent à le définir et à le différencier d'un autre peuple. La nation africaine traditionnelle à travers son éducation prône un certain nombre de valeurs qui comme nous l'avons vu permettait non seulement à l'enfant de s'enraciner dans sa culture, de s'intégrer dans sa communauté mais en outre, ces valeurs étaient les facteurs d'équilibre et de cohésion du groupe tout entier. Etant donné qu'avec la colonisation et son corollaire d'acculturateur qu'est l'école, nos sociétés africaines se sont aliénées, acculturées au point où la culture traditionnelle tend partout à s'imposer comme la culture de référence. Nous disons à cet effet que ce fait est impropre à tout développement de l'Afrique car chaque peuple a ses mythes et ses histoires à raconter. Ceux-ci sont la base de la mentalité et l'essentiel de l'imagerie et de la représentation sociale d'un peuple. Ces mythes et ces histoires sont les bases sur lesquelles doivent s'appuyer tout processus d'éducation et de développement. En plus, ils sont les éléments qui permettent à un homme de s'accomplir, de se réaliser, de s'émanciper dans son milieu de vie. Ces valeurs sont, pour l'essentiel, la famille africaine élargie, la solidarité, la pudeur et le respect, une éducation intégrative et totalisante et la langue. L'introduction de ces valeurs dans le contexte scolaire et dans le contexte général de l'éducation à travers les masses médias, les livres etc. sera un instrument d'enracinement et en outre comme le dit André Mvesso (2005 :40): « le développement de ces valeurs par leur transmission aux jeunes générations, fera en sorte que le patrimoine de l'humanité, qui n'est pas seulement artistique mais aussi culturel, s'enrichisse et soit sauvé de l'uniformisation ». Ces valeurs transmises souvent au travers de la littérature orale en générale et les contes et mythes en particulier peuvent contribuer comme nous allons le voir à l'éducation de l'enfant moderne. Ø La famille africaine Parmi les nombreuses raisons proférées pour soutenir la sauvegarde des idéaux et des valeurs de notre vieille famille africaine. La plus importante est cette modification dans les relations interpersonnelles qui fondaient l'essentiel du modèle de vie familiale de l'Africain traditionnel. Outre cette raison : La désintégration familiale ne permet plus à la famille de remplir pleinement ses fonctions. Il n'y a plus continuité entre ce qui est demandé à l'enfant et ce qui est demandé à l'adulte. L'enfant dans une telle ambiance conflictuelle, n'a plus de repères stables, de modèles de référence constants pour former sa propre identité, étant donné que ses parents sont eux-mêmes en quête d'une identité dans une société oùils se confrontent aux réalités sociales nouvelles avec leurs références traditionnelles(F. .Itoua et als, 1988 :201). Aussi nous affirmons que la famille africaine, en tant qu'elle était ce creuset où l'enfant pouvait trouver sécurité, affection, stabilité, au milieu de la foule de parenté dans son sens large, cette famille est seule aujourd'hui capable d'intégrer efficacement l'enfant dans sa société. Et qui dit intégration dit enracinement de l'enfant à sa culture conformation aux idéaux et valeurs que la société juge bons pour sa cohésion. Dans la famille africaine étendue ou élargie par exemple, les enfants ne peuvent pas ressentir le manque que provoquerait l'absence d'un père ou d'une mère partie à la recherche des ressources nécessaires à la satisfaction des besoins familiaux. Les oncles paternels ou maternels, les tantes, les Cousins et Cousines, les grands parents sont toujours là pour apporter l'affection, les conseils utiles pour empêcher la naissance dans la Psychologie des enfants du stress ou de l'ennui qui peuvent provoquer à leur tour la délinquance, l'oisiveté, et le vol, etc. Parce que les enfants peuvent trouver dans la famille élargie un parent, un frère susceptible d'apporter une sorte de compensation à un certain manque, parce que les enfants « peuvent aller et venir entre la maison de leurs parents, les domiciles de leurs grands-parents, ceux de leurs oncles et tantes ; il est clair qu'une telle mobilité n'est pas sans incidence positive sur la découverte des autres et de leur environnement par les enfants qui en bénéficient, donc sur leurs chances d'ouverture aux autres et au monde. » (J.Essindi Evina, 2003 :76). Dans la famille africaine élargie, il serait rare de trouver les enfants qui ne parlent pas leur langue maternelle. Les relations interpersonnelles ont souvent comme facteur d'unité ou condition à remplir: l'obligation pour chaque membre outre de parler la langue maternelle, la conformation aux façons de pensée, de faire bref la conformation aux normes familiales qui ont toujours une corrélation étroite avec les normes sociales dans un sens stricte. En plus de la conformation aux normes sociales, la famille africaine de part la diversité de ses membres peut permettre, à l'enfant, de part la diversité des relations humaines qu'elle peut susciter, une meilleure intégration sociale. En outre, dans le contexte actuel où l'école a une place certaine dans la société en tant qu'elle apporte à l'enfant de larges possibilités quant à son instruction, la famille africaine peut apporter plus efficacement l'essentiel de l'éducation morale et communautaire que l'enfant ne peut recevoir à l'école. C'est dans cette optique qu'il serait mieux que la famille et l'école agissent ensemble pour l'édification d'une éducation de l'enfant qui permettrait à l'enfant de s'enraciner dans sa culture (objectif que la famille africaine pourrait être plus apte à remplir) et de l'ouvrir au monde (objectif que l'école pourrait en dernier lieu réaliser). C'est cette synergie des forces qui pourrait donner à l'enfant aujourd'hui les savoirs que sont: le savoir, le savoir-être, le savoir-faire, et le savoir-vivre. Dans une mesure plus large, cette synergie pourrait donner à l'enfant aujourd'hui, les rudiments nécessaires pour que lui à son tour éduque lorsque viendra pour lui le moment de perpétrer ce qu'on lui aura montré et enseigné. Ø La solidarité La solidarité c'est le sentiment qui pousse les individus à s'accorder une aide mutuelle. C'est en un sens la vertu suprême de la société traditionnelle africaine. Ce sentiment vient du voeu profond de l'homme traditionnel africain d'apporter de l'aide à un membre quelconque de la communauté chaque fois que le besoin se fait sentir. Dans l'éducation de l'enfant, cette solidarité se manifeste très tôt dans la vie de l'enfant. Ce dernier est l'objet d'une éducation qui lui est administré aussi bien par sa famille que part le groupe tout entier. Tout le monde peut le gronder, lui faire des reproches, le récompenser, le consoler. On constate à regret qu'aujourd'hui, cette solidarité dans l'éducation de l'enfant ne fait plus partie des habitudes. Chaque personne voit d'un mauvais oeil qu'une tierce personne puisse essayer d'éduquer de quelques façons que ce soit ses enfants. Il n'est pas rare d'avoir des querelles entre voisins pour la simple raison, qu'un voisin aurait par mégarde essayé de raisonner l'enfant d'un autre. Les conséquences sont graves lorsqu'on sait que, lorsqu'une surveillance est relâchée dans l'éducation des enfants, ceux-ci se croient tout permis et l'on voit aujourd'hui ce qu'un tel état de chose peut entraîner: mépris, irrespect, insoumission qui ne sont que les exemples d'une longue liste de comportements asociaux. Dans nos écoles aujourd'hui, un seul fait est visible, les élèves manquent non seulement de respect à leurs camarades mais aussi à leurs maîtres. Et ces derniers non pas toujours le droit de réprimander car dans la pensée actuelle des africains, c'est aux parents que revient ce rôle. Il convient donc de rétablir la solidarité des membres de la communauté dans l'éducation de l'enfant. Dans le conte La jeune fille désobéissante,le rôle de l'éducation des jeunes filles Ngo Maliga,Ngo Yi et Ngo Lipem n'incombe pas seulement à leurs parents, mais la communauté entière par l'entremise du génie du fleuve participe aussi de l'éducation dans la mesure où, elle a un droit de regard dans la bonne marche de l'éducation. Aussi, elle peut punir et corriger. C'est le sens à donner à la punition que reçoit Ngo Lipem de la part du génie du fleuve. La solidarité est en étroite relation avec les vertus comme l'union et le partage. Car c'est dans l'union que chacun peut apporter sa part à l'édifice social et dans notre cas, ce conte L'union fait la force aété un exemple illustrateur. Tout le monde dans la communauté, dans la famille doit oeuvrer ensemble à l'édification de la société. C'est ensemble qu'on construit une nation. Au-delà de ces simples mots, c'est le développement d'une nation dans tous ses contours qui est en jeu. Parce que l'individualisme, l'égoïsme se sont introduits dans la société africaine d'aujourd'hui nous sommes dans le sous-développement. Construire donc une nation dans l'idée de son développement doit avoir pour préalable une éducation dans laquelle, on inculquera à l'enfant l'esprit de solidarité. Cet esprit de solidarité implique aussi les notions de dévouement, de don de soi et exclut tout d'esprit d'égoïsme. Nous devons à cet effet prendre l'exemple du benjamin dans le conte Les trois frères, non seulement il pardonne à ses frères aînés qui ont voulu lui faire perdre son héritage mais, il leur donne ensuite une part de sa richesse car dit-on souvent il n'y a pas de joie à être heureux tout seul. Dans cette dernière optique nous proposons que cette solidarité soit encouragée non seulement dans nos écoles mais aussi dans nos sociétés. Ø La pudeur et le respect La pudeur est une sorte de contenance, de retenue par rapport à tout ce qui dans l'agir et le dire peut blesser les normes, la décence. Plus souvent on parle de pudeur lorsqu'on se réfère aux questions d'ordre sexuelles. Le respect aussi introduit une sorte de contenance de retenue, c'est un sentiment qui tend à ne pas porter atteinte à quelque chose ou à traiter quelqu'un avec des égards. Ces deux valeurs avaient une grande place dans la société africaine traditionnelle. C'est pourquoi l'essentiel de l'éducation administrée aussi bien dans le cadre des familles que dans la société consistait à montrer aux enfants, le respect non seulement de son propre corps, mais aussi bien de tout ce qui pourrait toucher autrui en particulier et la communauté en général. Le sexe dans la société traditionnelle africaine, était quelque chose de sacrée et tout ce qui concernait le sexe était l'objet d'un traitement particulier. Aussi très tôt dans la vie, les jeunes filles étaient éduquées sur tout ce qui pouvait porter atteinte à leur intégrité corporelle. Dans La jeune fille désobéissante, rappelons nous, l'essentiel de l'éducation administrée par les parents aux jeunes filles Ngo Maliga, Ngo Yi , Ngo Lipem consistait pour ces dernières à éviter sous peine de punition grave, toute frivolité car, elles étaient destinées au mariage et de fait elles devaient éviter toute attitude indécente. La raison principale qui nous conduit à proposer la pudeur et le respect comme valeur à sauvegarder c'est la situation actuelle dans laquelle se trouve la société Camerounaise. En effet, le sexe y est banalisé, les jeunes filles surtout s'habillent n'importent comment. C'est cet état de chose qui est la conséquence de la chosification de la femme et de son corps dans les chaînes de télévision par câble et par satellite et par la diffusion d'émissions pornographiques. Ceci conduit à une grande crise dans la société où les statistiques concernant les viols ne cessent de prendre une évolution exponentielle. L'Afrique en général et le Cameroun en particulier se doivent de sauvegarder ces valeurs. Nous proposons un retour à la décence, à la pudeur, au respect du corps humain et surtout au respect des autres et du bien social. Enseignés donc dans nos écoles, la pudeur et le respect permettront à l'enfant de grandir, de se développer dans une société portée par des valeurs aptes à émanciper l'homme dans tous ces contours. Ø Une éducation intégratrice et totalisante Une des valeurs à sauvegarder aujourd'hui serait aussi l'une des spécificités de l'éducation traditionnelle qui est intégratrice et totalisante. Mais en quoi consistait cette éducation dans les sociétés précoloniales ? Dans les sociétés précoloniales, l'éducation s'occupait de l'individu en général, que l'on soit riche ou pauvre, normal ou anormal, déficit mental ou disposant pleinement de ses facultés, tout le monde était formé à la même école de la vie, car tout le monde recevait les mêmes instructions partant du fait que tout individu était un membre à part entière de la communauté. La littérature orale en général et le conte en particulier n'était pas simplement destinée aux enfants mais aussi, concernait les adultes car le conte, comme dit A. Hampate Bâ (1994 :33) est un: « support d'enseignement aussi bien pour l'éducation des enfants que pour la formation morale et sociale voire spirituelle ou initiatiques des adultes» , c'est ainsi que la nuit, au clair de lune, autour d'un feu adultes comme enfants recevaient à partir d'un simple conte l'essentiel de l'enseignement sur les normes sociales et les comportements que la société donnait comme modèle. Aussi l'éducation était totalisante car s'il elle s'occupait de l'enfant de la naissance jusqu'à la mort, elle s'occupait: « aussi bien de la formation du caractère, le développement des aptitudes physiques, l'acquisition des qualités morales considérées comme d'inséparables attributs de la qualité d'homme, l'acquisition des connaissances et des techniques nécessaires à tout homme pour lui permettre de prendre une part active à la vie sociale sous ses différents aspects. » (Moumouni, 1998 :32). Cette éducation doit être sauvegardée parce que l'éducation à travers l'école tend à être sélective à cause du manque de moyens. Certains enfants des familles pauvres n'ayant pas toujours la chance d'aller à l'école. L'éducation à travers l'école tend à être instructive ne s'occupant que des individus dans une période particulière et définie de leur vie. Ø La langue Véhicules de nos cultures, nos langues tendent aujourd'hui à disparaître au profit de l'enseignement des langues occidentales. Cela est une grande crise car ces langues étrangères véhiculent une culture de domination et tendent à nous asservir. Pour Barthélemy Kontchy (1971 :367, le maintien de ces langues étrangères: « symbolise non seulement la division des classes sociales, mais l'aliénation. ». Considérant donc qu'un peuple sans langue est un peuple sans culture, l'éducation doit, comme l'a stipulé le rapport de la commission« Langues Nationales» au colloque sur L'identité culturelle Camerounaise en 1985, s'engager « résolument et explicitement dans la voie d'intégration des langues nationales dans notre système éducatif afin d'offrir aux jeunes camerounais la possibilité d'une inculturation nationale réelle». 18(*) Cette intégration des langues nationales doit servir à porter un coup fatal à l'aliénation culturelle qui pèse sur l'éducation de l'enfant aujourd'hui. Car il est invraisemblance qu'à l'heure actuelle où l'éducation au Cameroun est régie par la loi d'orientation de l'éducation de 1998, qui elle-même stipule en son article 5 alinéa 4 : « La promotion des langues nationales» que les élèves continuent à recevoir les enseignements avec les langues étrangères que sont le français et l'anglais comme langues officielles et aussi les langues espagnole, allemande, voire italienne alors qu'aucune langue locale n'est au programme des enseignements. Il faut donc repenser notre système éducatif car comme le dit Alpha Oumar Konaré, premier président démocratiquement élu du Mali (1994 :264) : « [L'] école ne prend en charge ni les cultures locales ni l'environnement, elle communique dans une langue étrangère, et n'a jamais pu s'enraciner profondément. Cette école est une école d'exclusion. Aujourd'hui pour reformer le système scolaire, il faut le casser» . Dans cette optique, nous disons ici qu'il faut sauvegarder notre culture africaine et ceci passe par une introduction féconde des valeurs humaines qui sont la particularité de cette culture et qui font sa spécificité et son unicité dans le contexte général de l'éducation. Nous finirons notre propos en disant avec Iba Der Thiam cité par Etouga Manguelle (1993 :136) que : il ne s'agit pas d'exalter ni de restaurer tout le patrimoine social africain. Tout n'y fut pas positif, juste, progressiste, démocratique. Il ne s'agit pas non plus de rejeter ce que l'histoire nous a apporté d'Europe ou d'ailleurs. Il s'agit de rechercher dans notre culture authentique les valeurs permanentes qui faisaient: l'unité, la stabilité, la solidarité et la cohésion des sociétés anciennes .... et d'ajouter à ce substrat originelles valeurs sélectionnées non point de la seule Europe ... mais de toutes les civilisations et cultures du monde entier des vertus élevées. C'est cet alliage fécond des valeurs anciennes précoloniales avec celles prises çà et là dans le monde entier qui permettra à l'éducation aujourd'hui non seulement d'enraciner l'enfant dans sa culture mais aussi de l'ouvrir au monde car il est avant tout un être qui doit vivre son temps. L'éducation de l'enfant dans la famille africaine traditionnelle doit servir de guide à l'éducation de l'enfant moderne car comme le dit à juste titre Kum'a Ndumbe III: « l'avenir de notre peuple est dans sa culture » (1985 :67), la culture est l'âme d'une société, c'est ce par quoi la société se définit, elle est son identité de sorte qu'un peuple sans culture est un peuple sans âme. * 18 Ministère de l'information et de la culture : direction des affaires culturelles ; L'identité culturelle Camerounaise, Yaoundé, Cameroun, 1985, p.489. |
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