Les contes et les mythes en pidgin : facteur d'éducation de l'enfant dans la société africaine traditionnelle dans la région du sud- ouest (BUEA)( Télécharger le fichier original )par Anne OBONO ESSOMBA Université de Yaoundé I - Doctorat en littérature orale et linguistique 2014 |
V.2.1. Les problèmes éducatifs actuelsCes problèmes relatifs à l'éducation de l'enfant aujourd'hui nous les retrouvons aussi bien dans le cadre de la famille qui constitue la cellule de base de la société, à l'école qui est censée relayer la formation et l'éducation faite en famille et enfin dans la société où il évolue. Ø Une famille éclatée Un regard rapide sur notre société actuelle nous amène à un triste constat: la famille africaine jadis qualifiée d'élargie, d'étendue du fait de ses limites particulièrement proches du système social s'est vue affectée dans sa composition et dans son fonctionnement. Dans sa composition, elle s'est réduite considérablement et a: « fait sa mutation vers le modèle de la famille nucléaire, le fameux "triangle oedipien». Ce dernier est même dépassé par les familles monoparentales livrées à la fragilité croissante des mariages ou au nomadisme d'un mari itinérant» (J.Ki-Zerbo, 1990 :54). Si cette réduction semble être la résultante des difficultés économiques que rencontrent les familles, elle est aussi et surtout, la résultante d'une envie pour la majorité des familles africaines situées souvent en ville de s'identifier aux façons de faire occidentales. Cette identification est pour l'essentiel la cause des problèmes que nous retrouvons dans le fonctionnement même des familles. Ainsi, les liens de parenté étaient des liens forts qui unissaient les membres de la famille africaine entre eux, de sorte que, comme nous l'avons montré plus haut dans le cadre de la famille étendue, on ne voyait pas d'un mauvais oeil que les enfants quittent leurs géniteurs pour aller s'installer avec les autres membres de la famille lorsque le besoin se faisait sentir. De nos jours, tout cela semble être une utopie. L'enfant n'est plus l'enfant de la famille il devient tout simplement celui des géniteurs, de telle sorte que si un malheur lui arrive, personne n'est plus responsable. Ceci nous amène à conclure que l'individualisme à l'occidental a pris le pas sur la solidarité africaine. De plus, dans la triade père, mère et enfant, on constate un grand dysfonctionnement et une grande fragilité relationnelle ; car aujourd'hui à cause de son travail le père est souvent absent et lorsque la mère vient elle aussi à travailler pour rechercher les ressources nécessaires aux besoins du couple, les enfants sont abandonnés à eux- mêmes. Ils sont condamnés à marcher avec les bandes d'amis qui éduquent selon les normes souvent asociales. Pire encore, les enfants ne connaissent pas leurs langues maternelles et parce que la famille est disloquée, ils ne connaissent pas les différents membres de la parenté. Parce qu'il n'y a plus de famille étendue qui pouvait pallier à des problèmes souvent relatifs à l'absence des parents, à la connaissance de la langue. Nous constatons une fragilité comportementale chez les enfants et un manque d'affection du fait que ceux-ci sont désormais confiés aux maîtres d'écoles qui n'ont ni les moyens ni le temps de jouer le rôle qui revient de droit naturellement aux parents. Parce qu'il est absent, le père cesse d'être ce patriarche qui dans la tradition était celui à qui l'enfant devait soumission et déférence. Désormais éduqué par la mère (si elle ne travaille pas) qui comme on le sait n'a pas toujours la pointe de fermeté et d'autorité que dispose le père, l'enfant se développe, grandi dans un cadre propice aux développements de ses caprices les plus fous. Il se sent désormais au même pied d'égalité que ses parents et cultive à leur égard des sentiments individualistes aptes à développer chez lui l'insoumission, l'irrespect et le mépris. En un sens: « de nos jours la famille africaine est devenue un terrain fertile où se développent les semences les plus défavorables à l'émancipation tant individuelle que collective» (H.Sikounmo, 1995 :74). De plus avec ces dysfonctionnements, on voit apparaître le phénomène «des enfants de la rue », des enfants abandonnés qui n'existait pas dans la société africaine traditionnelle et qui n'est que le résultat actuel du malaise dans l'éducation de l'enfant dans sa famille. Ø L'acculturation Nul ne peut nier aujourd'hui l'énorme outrage et l'énorme perte qu'ont connue nos traditions africaines depuis l'introduction de l'école. Cet outrage et cette perte sont considérables et il faudra une lutte surhumaine pour essayer de reprendre ce que l'école a détruit sur le plan des possessions de tout un continent. Outre ces possessions qui constituent l'essentiel de la culture africaine dans les façons de faire, des façons d'être apprises depuis les temps immémoriaux: c'est l'âme même de l'Afrique que l'école a volée. L'école comme on le sait a été introduite sous le prétexte d'une action civilisatrice car, selon les occidentaux le peuple noir était un peuple barbare, incapable de culture et ne vivant que selon l'instinct. Mais, après une vaste entreprise de falsification des preuves historiques de la grandeur de la culture noire à travers la civilisation égyptienne et d'autres peuples africains comme l'a montré CHEIKH ANTA DIOP15(*), les occidentaux se sont livrés à un lavage considérable des mentalités non seulement à travers l'école mais aussi à travers les religions chrétiennes. C'est ainsi qu'avec l'école, ils vont asseoir définitivement leur oeuvre acculturatrice. Et cela se voit non seulement au niveau des programmes d'enseignements mais aussi au niveau de la mentalité des enfants. Et les savoir-vivre. Tout reste au niveau de l'instruction, l'éducation qui est plus intégrative est délaissé. On remarque par ailleurs que l'école en plus est sélective ; dans la mesure où tout le monde ne dispose pas de moyens financiers. Alors que l'éducation de l'enfant dans la société traditionnelle africaine était intégrative, inclusive, l'éducation moderne des enfants condamne les enfants pauvres et les prépare à être les parias de la société. Avec tout ce que nous avons vu, l'enfant devient un étranger dans sa culture. On cultive chez lui l'extraversion ce qui contribue à lui faire croire qu'il ne peut se réaliser et s'accomplir qu'en vivant comme les occidentaux et que, c'est le monde européen qui reste et demeure le modèle de référence. Le résultat sur l'éducation de l'enfant est alarmant:« l'écrasante majorité de nos scolarisés africains ignorent tout des acquis de nos ancêtres, ils ne connaissent ni leur histoire, ni leur science, ni leur religion ». Les programmes d'enseignements malgré les efforts qui sont faits aujourd'hui pour essayer de les enraciner à l'environnement du pays sont pour l'essentiel de pâles copies du modèle occidental. Comme le montre une enquête faite par Hilaire SINKOUNMO (de janvier à mars 1992) pour chercher à connaître l'avis de la jeunesse camerounaise sur le système éducatif du pays, les avis divers témoignent d'un malaise: celui de l'inadaptation des programmes d'enseignements. Ces avis sont: « « il existe un fossé entre nos réalités et notre système scolaire", "aliénant, inadapté aux exigences de l'action", "ce système cause l'oubli des traditions de nos ancêtres", "notre système traditionnel ne puise pas ses sources du pays", "système extraverti", " on ne s'occupe pas des problèmes du pays dans nos programmes", " il a été appliqué pour favoriser l'occident plus que notre pays » (Hilaire Sinkounmo) . Le système scolaire institue une véritable compétition entre les élèves qui valorise l'individualisme au dépend de l'esprit de camaraderie qui était pour l'essentiel l'esprit valorisé dans le bois sacré; lieu des initiations africaines. Tout ce qui préoccupe l'école aujourd'hui c'est de dispenser le savoir (dénaturé et inadapté d'ailleurs) de sorte que l'enfant est formé pour le travail qu'il pourra trouver plus tard. Rien n'est fait au niveau de la formation de l'être pour donner à l'enfant le savoir-être et les savoir-vivre. Tout reste au niveau de l'instruction, l'éducation qui est plus intégrative est délaissé. L'école en plus est sélective. Car, tout le monde ne dispose pas de moyens financiers. Alors que l'éducation de l'enfant dans la société traditionnelle africaine était intégrative, inclusive, l'éducation moderne des enfants condamne les enfants pauvres et les prépare à être les parias de la société. Avec tout ce que nous avons vu, l'enfant devient un étranger dans sa culture. On cultive chez lui l'extraversion ce qui contribue à lui faire croire qu'il ne peut se réaliser et s'accomplir qu'en vivant comme les occidentaux et que, c'est le monde européen qui reste et demeure le modèle de référence. Le résultat sur l'éducation de l'enfant est alarmant: « l'écrasante majorité de nos scolarisés africains ignorent tout des acquis de nos ancêtres, ils ne connaissent ni leur histoire, ni leur science, ni leur religion » (K.Ndumbe III, 1985 :50). Ø Une société paralysée et minée par une véritable crise de valeurs Après avoir reçu une éducation fortement fragilisée au sein de sa famille. Après avoir reçu un enseignement qui aura tendance à l'amener à s'identifier aux moeurs occidentales à l'école, l'enfant est désarmé devant les modèles que présentent à profusion les médias. La télévision extravertie continue l'oeuvre acculturatrice qu'ont amorcé l'école et la famille dans quelques bords. On est en présence d'une véritable crise de valeurs sociales. Les jeunes filles s'habillent de telle sorte qu'elles suscitent chez les garçons de leurs âges, voire même des hommes adultes la naissance des pulsions libidineuses qui nourrissent et mûrissent dans l'esprit de certains les désirs de viol. Ce fait est alimenté par les chaînes de télévision par câbles et par satellites qui non seulement diffuse des émissions amorales et pornographiques mais ne sont l'objet d'aucune censure de la part des autorités en place. La non canalisation des limites à donner aux comportements qui est la résultante de l'irresponsabilité des parents dans la famille entraîne dans la société l'irrespect et le mépris de la part des enfants. Ces derniers n'appellent plus père, les hommes ayant l'âge de leur père, ils n'appellent plus mère les femmes ayant l'âge de leur mère, ils ne s'appellent plus entre eux frères ou soeurs. La seule réalité est l'individualisme. Entre les enfants de la même classe d'âge, l'esprit de la communauté et de camaraderie qui était cultivée dans les sociétés précoloniales n'est plus à l'ordre du jour: c'est la ségrégation dans les relations humaines. Comme ils existent des quartiers de riches et des quartiers de pauvres, les enfants des pauvres évitent les enfants des riches et entre les enfants de même condition ;il existe une guerre sourde. Ce qui n'est que la résultante de l'effacement dans nos têtes et nos consciences de l'essentiel de nos traditions, de ce qui faisait l'équilibre de la société. Cet équilibre rompu, il n'est pas surprenant d'entendre des choses atroces qui révoltent les consciences. La poursuite des rêves que font naître les médias amène les enfants à la recherche de toutes sortes de stratagèmes pour avoir de l'argent. Pour réaliser leur rêves, les adolescents mentent, escroquent, se livrent comme leurs montrent leurs parents à des coups bas, pour avoir de l'argent oubliant les exigences auxquelles ils doivent se conformer dans le cadre de la vie en société. D'autres; surtout les adolescentes se livrent au plus vieux métier du monde16(*)., oubliant les maladies sexuellement transmissibles (le SIDA surtout) qui dépouillent le pays de la fine fleur de sa jeunesse. Dans les institutions publiques d'encadrement des mineurs et de rééducation des mineurs Inadaptés sociaux.17(*)Les missions de rééducation, de prévention de l'inadaptation sociale et de resocialisation ne sont pas atteintes faute de moyens. Aussi dans les institutions publiques d'encadrement de la petite enfance, on a cessé de se plaindre sur l'humanité de la société et de la cruauté de certaines femmes ou jeunes filles qui n'hésitent pas à abandonner de jeunes enfants. Cette jeunesse aura la lourde tâche d'éduquer à son tour, on est en droit de se demander ce qu'elle pourra inculquer comme valeurs à ses enfants. Ces problèmes nous amènentà proposer comme solution la sauvegarde de nos traditions, de nos cultures, des valeurs de la société traditionnelle et leur introduction féconde dans le contexte général de l'éducation de l'enfant moderne. La famille moderne devrait donc s'inspirer du modèle familial des anciennes sociétés précoloniales. L'école doit s'enraciner dans le modèle de vie culturel de l'Afrique. Comme le dit Joseph KI-ZERBO: «l'école ne peut tourner le dos au patrimoine africain; ce serait l'école en Afrique et non l'école africaine » (J.K.Zerbo, 1990 :92). La société doit promouvoir les valeurs comme l'esprit de la communauté, l'éducation communautaire, la solidarité qui était en quelque sorte le modèle de vie de l'Africain traditionnel dans sa société. Enfin nous dirons avec Iba Der Thiam cité par Etounga Manguele (1993 :136) que: « nous courons vers un naufrage culturel inévitable, si nous ne mettons pas au point une stratégie de sauvegarde et de valorisation du patrimoine social africain, si nous commettons l'erreur de nous dépouiller du code de règles de vie sociale qui fit des siècles durant l'harmonie et la stabilité des sociétés de naguère ». Aussi dans ce qui suit nous proposerons comme solution à ce malaise certaines valeurs africaines à sauvegarder à tout prix. * 15 Les thèses de Cheik Anta Diop exposées dans son livre : Nations Nègres et Culture II, Présence africaine, Paris, 1979, démontrent la prééminence des cultures à travers la civilisation égyptienne sur toutes les autres cultures et démontrent que l'homme noir était doué d'une culture extraordinaire. * 16 L'expression le plus vieux métier du monde désigne la prostitution. * 17 L'institution publiques d'encadrement des mineurs et de rééducation des mineurs inadaptés sociaux furent créée par le décret N°2001-109-PM en date du 20mars 2001 au Cameroun. |
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