V.1.1. Le conte pidgin : une
école d'éducation et de formation
S'il y a un genre littéraire qui peut réclamer
une certaine universalité, tant il est connu de tous de part le monde,
c'est sans contexte le conte. Car, plutôt qu'un simple genre oral, il est
l'expression de la société dans toutes ses manifestations, il
est le propre de l'homme de toutes les cultures et de toutes les
époques.
Dans la société traditionnelle africaine en
particulier, le conte est le genre qui : « semble passer pour le
résumé de la littérature orale »
(J. M.Awouna, 1970 :55). Ceci, en raison de ses nombreuses
affinités avec plusieurs autres genres que sont: le mythe, la fable, la
légende etc.
Comme l'ont montré des chercheurs tel que Pierre N'DAK
(1984) qui, lui-même s'est servi des théories sur les origines des
contes: le conte, comme le mythe, est une histoire qui relate les
événements situés dans les temps immémoriaux mais
à la différence, l'histoire racontée par le conte a un
pied dans la réalité alors que le récit du mythe reste
antérieur à l'histoire.
Ensuite comme la fable, le conte situe son histoire dans une
société imaginaire avec les personnages animaux mais à sa
différence, le conte raconte des histoires merveilleuses alors que la
fable reste dans le monde du possible, du réel.
Enfin, comme la légende, le conte hyperbolise les faits
en relatant les exploits des personnages. Dégradés, les
légendes comme les mythes peuvent donner lieu à des contes. Ce
sont ces affinités qui ont amené à dire: « la
ligne de démarcation entre les genres narratifs traditionnels est en
réalité très tenue, floue et poreuse et l'on passe de l'un
à l'autre naturellement » (Pierre Ndak,
1984 :22).
Après cette pause définitionnelle, entrons dans
le vif de notre propos en répondant aux questions suivantes: en quoi le
conte est-il une école? Et d'abord qu'est-ce qu'une école?
Simplement dit et conformément au sens commun, une
école est une institution à plusieurs niveaux où les
enfants reçoivent un enseignement différencié selon ces
niveaux et où ceux-ci sont soumis à des maîtres qui
respectent scrupuleusement un programme prédéfini, bien entendu,
propre à chacun de ces niveaux.
En appliquant cette définition dans notre contexte,
nous dirons que le conte est une école parce qu'il a des niveaux qui
sont dans son cas des niveaux d'âges. Il a un programme non pas
défini mais qui fluctue au gré des événements de la
société traditionnelle et selon que le conteur qui est le
maître ici juge de la nécessité de faire sa
récitation ou son cours sur telle ou telle leçon, qu'il juge apte
à apporter aux auditeurs un enseignement sur tel ou tel acte de la vie.
A la différence du maître d'école, le
conteur donne sa leçon ou l'enseignement du conte aussi bien aux enfants
qu'aux adultes. C'est dans cette optique que Amadou HampateBä
(1994 :33) a pu dire que le conte est un : « support
d'enseignement aussi bien pour l'éducation de base des enfants que pour
la formation morale et sociale, voire spirituelle ou initiatique, des
adultes ».
Approuvé comme tel, nous dirions que dans la
société africaine, il n'y a pas d'âge pour recevoir des
enseignements. Tout le monde, jeune comme vieux reçoit la même
éducation et à la même école. Toutes les occasions
sont bonnes pour enseigner, informer de telle sorte que: « Tout est
école, rien n'est simplement recréation (...) Que
ce soit par les contes, par les chants, par la parole, rien en Afrique
n'est vraiment une distraction simple ... tout a un but, tout a
un motif » (A.Hampaté Ba, 1994 :335).
Bien plus, dans la société traditionnelle
africaine:
Chaque conte est un livre que le maître
récite et commente, le jeune, lui doit écouter, se
laisser imprégner, retenir le conte autant que possible, le revivre
en lui-même. On lui recommande de revenir sans cesse au conte
à l'occasion des évènements marquants de sa
vie. Au fur et à mesure de son évolution
intérieure, sa compréhension se modifiera, il
y découvrira des significations nouvelles. Souvent telle
épreuve de sa vie l'éclairera sur le sens profond de tel
ou tel épisode du conte; inversement, celui-ci pourra l'aider
à mieux comprendre le sens de ce qu'il est en train de
vivre (A. Hampate Bä, 1994 :16).
En d'autres termes le conte dans la société
traditionnelle, doit être suivi et vécu par tout un chacun afin
d'acquérir des valeurs indispensables pour une intégration totale
dans la société.
Accepté donc comme tel, le rôle éducatif
du conte n'est plus à démonter. Mais on n'y insiste pas toujours
assez. Pour notre part, il s'agit de mettre en relief à partir des
contes recueillis l'importance du conte dans l'éducation et la formation
de l'homme (enfant et adulte).Cette éducation et cette formation sera
développée sur deux volets :
o La fonction morale du conte
Surle plan moral, le conte constitue une des bases
essentielles de l'enseignement traditionnel, un élément
privilégié de l'éducation formelle.
Autrement dit, l'enfant apprend les rudiments de la morale en
écoutant les récits que lui fait sa mère ou son
père, en assistant à des séances de contes. Les contes, en
effet véhiculent les idéaux de la société,
indiquent les règles de conduite à tenir dans telle ou telle
circonstance adopter pour la réussite de la vie personnelle et la bonne
marche de la communauté. C'est dans ce sens qu'on a écrit que le
conte est « une source de lumière pour la conduite
personnelledans la vie et l'intégration harmonieuse dans le milieu
social » (Victoire-hortense).
En effet, le conte contient l'essentiel de l'éthique
traditione1le et invite chacun à s'y conformer. Quiconqueparticipe aux
séances de contes s'en imprègne et les assimile parfois
mêmesans s'en rendre compte.
Les principes éducatifs utilisés dans les contes
traditionnels sont ceux de la pédagogie moderne : pour qu'une histoire
intéresse l'enfant, il faut qu'elle soit amusante, qu'elle
éveille sa curiosité, stimule son imagination. En d'autres
termes, il s'agit de provoquer chez l'auditeur (l'enfant en particulier)
l'intérêt et la motivation, et c'est ce à quoi s'emploie le
bon conteur. Autrement dit, une approche attrayante; une mise en scène
originale permettent à l'enfant de comprendre la situation et par
conséquent de saisir sans trop de peine le message du conte.
Ainsi,la trame du récit, la présentation des
acteurs, leurs actions, tout concourt à mettre en évidence les
valeurs qui doivent être les normes de conduite. Aussi, lorsque la fin du
conte ne donne pas les conseils appropriés, on peut soi-même
à partir de conduites rapportées, dégager les
leçons qui s'imposent.
En restant dans cette logique des choses, nous dirions que le
conte contribue à développer le sens moral en présentant
des aspects visibles du bien ou du mal. Par ailleurs, s'il est des
récits dont la portée morale est incontestable, c'est bien les
contes de l'enfant car, ils sont riches d'enseignements moraux. Prenons par
exemple les contes de l'orphelin. Ils juxtaposent souvent deux personnages (une
orpheline et sa demi-soeur) dont le contraste des comportements a pour but de
souligner les qualités appréciées par la
société et les défauts condamnables. Ainsi, l'orpheline
incarne l'obéissance, la soumission, le dévouement, la
serviabilité, le courage, la docilité, tandis que sa demi-soeur,
(la fille de la marâtre) représente la suffisance, l'insolence,
l'impolitesse ; ainsi la vieille femme rencontrée symbolise la
compassion, la bonté, la protection maternelle tandis que la
marâtre incarne la méchanceté, la cruauté, et l'on
peut soi-même, à partir des conduites rapportées,
dégager les leçons qui s'imposent.
Si nous prenons cet autre exemple, l'on se rendra compte que
l'indiscrétion est stigmatisée dans les contes de l'enfant.
L'attitude inhospitalière, la dureté de coeur sont
fustigées dans les contes du pianique tandis que les contes de l'enfant
malin revè1ent la valeur de l'intelligence. Ainsi donc les vertus sont
exaltées et les vices condamnés.
C'est fort de cela que nous adopterions les pensées de
Mahamadou Kane (1968 :20) qui dit que le conte
Constitue un genre vivant qui guide les premiers pas de
l'enfant africain qui y puise les règles de morale pratique et lui
permet ainsi de faire l'apprentissage de la sagesse. Il renforce chez l'adulte
l'expérience de la vie et constitue une sorte de vaste répertoire
de conduite à bannir ou à adopter et à partir desquelles
il lui sera loisible de guider sa vie.
Dans cet extrait, l'auteur voudrait nous faire comprendre
que l'enseignement des contes est essentiellement un enseignement de morale
pratique ayant prise directe sur la vie. Car l'enfant ou même l'adulte
a
besoin d'éducation qui subtilement,
uniquement par des sous-entendus lui fasse avoir des avantages d'un
comportement conforme à la morale non par l'intermédiaire des
préceptes éthiques abstraites mais par le spectacle des aspects
tangibles du bien et du mal qui prennent alors pour lui toute leur
signification (B.Bettelheim, 1976 :16).
Sans doute, il s'agit de donner une éducation telle que
tout individu puisse s'intégrer sans heurt dans la
société. Il s'agit encore de lui inculquer un sens moral et
particulièrement une morale telle qu'il puisse se conduire dans
l'intérêt de la communauté.
En revanche, ce n'est pas par hasard si bon nombre de nos
contes concernent effectivement les relations humaines, les rapports sociaux;
rapport entre les frères, rapport entre parents et enfants, rapport
entre marâtre et orphelin. Rapport entre le roi ou le chef et les sujets,
rapport entre la communauté villageoise et l'individu
déshérité ou malade etc.
En tout état de cause, c'est à travers la
critique des relations humaines que se dégage la portée morale
des contes qui n'échappe pas à l'auditeur. Cette critique
paradoxalement devient un élément indispensable pour
l'apprentissage et le développement des qualités humaines. Cela
nous amènera à dire sans risque de nous tromper que les contes
sont extrêmement formateurs.
o Fonction sociale du conte
A côté de l'éducation purement morale
qu'il assure, le conte, tel qu'il se pratique dans les villages a aussi une
fonction d'ordre social : il aide au renforcement des relations
interpersonnelles, à la cohésion du groupe auquel il enseigne les
mêmes normes morales ; il crée et développe
également l'esprit d'amitié, de fraternité et de
solidarité, il est aussi facteur de continuité de la tradition.
Et parlant justement de continuité, Roland Colin (1966)
dira à ce propos que : « c'est un ciment puissant non
seulement entre une pierre humaine d'une même époque de
l'histoire, mais entre les cycles de l'histoire qui se reproduisent entre hier
et demain ».
Notre auteur voudrait tout simplement dire que le conte sert
de véhicule qui permet de transmettre de génération en
génération une part importante du patrimoine culturel. Autrement
dit, il s'agit de transmettre les idéaux et les principes qui soutendent
et maintiennent l'ordre social. Le conte reflète une sorte de
mémoire collective que chacun contribue à entretenir, car il
n'est pas une femme, un homme, un enfant, qui ne connaisse un certain nombre de
contes.
C'est sans doute pour cette raison que Struyf, cité par
P. Erny (1972 :173) aura noté en exagérant un peu que
« ces histoires sont retransmissent d'une
génération à l'autre mot à mot. Chacun en connait
des centaines depuis son enfance ».
Etant donné que la transmission des contes se fait
oralement, le répertoire de contes que certaines personnes
possèdent est la preuve que le conte contribue au développement
de la mémoire et de l'attention soutenue, car il faut bien une
mémoire exercée pour retenir tant de contes et surtout des contes
dans l'ordre des séquences. Ainsi, dirions-nous que la séance de
conte constitue donc un exercice de mémoire et une occasion de faire
preuve de cohérence et de 1ogique.
Sans vouloir pousser le bouchon plus loin, l'on dira que, par
les images et les émotions qu'ils impriment en chaque auditeur
(spécialement l'enfant) les contes concourent à la formation de
la sensibilité. En effet, les contes avec un enfant pour héros ne
peuvent laisser indifférent. L'on est particulièrement sensible,
par exemple, aux souffrances de l'orpheline chez une marâtre cruelle,
à ses aventures, seule, dans un monde étrange. C'est avec
soulagement et une grande joie que l'on la revoit, à son retour,
comblée d'abondance et debonheur. L'on est également
touché par l'attitude méprisante et inhospitalière des
villageois qui chassent l'enfant pianique (P.N'Dak, 1984)et l'on approuve
instinctivement le châtiment qui leur est infligé à la fin.
Les malheurs de l'enfant désobéissant intéressent plus
d'un enfant et le message du conte s'imprime profondément dans le coeur
de chaque auditeur. L'on prend part à l'affliction et à la
désolation de la femme stérile qui perd son unique enfant qu'un
génie bienveillant lui a donné. De même, l'on se
réjouit de la victoire de l'enfant terrible sur les puissants, les rois,
les ogres. Comme nous pouvons le constater, les contes déclenchent chez
l'enfant (ou même chez l'adulte) une résonance affective telle
qu'il sympathise spontanément avec le héros et finit par
s'identifier à lui.
A propos de cette identification, Charles Perrault (1968)
écrivaitau17° siècle « il n'est pas
croyable avec quelle avidité ces âmes innocents (...)
reçoivent ces instructions cachées ; on les voit dans la
tristesse et dans l'abattement tant que le héro et
l'héroïne du conte sont dans la malheur ».
Et pour emboiter le pas à Perrault, Bruno Bettelheim
(1976 :20), l'un des plus grands spécialistes de la psychologie
enfantine de notre temps écrit à cet effet :
à cause de cette identification, l'enfant
imagine qu'il partage toutes les souffrances du héro au cours de ses
tribulations et qu'il triomphe avec lui au moment où la vertu l'emporte
sur le mal. L'enfant accomplit tout seul cette identification et les luttes
intérieurs et extérieurs du héro impriment en lui le sens
moral.
Toutefois, pour une compréhension plus approfondie, il
convient de faire une petite mise au point sur cette notion d'identification.
Si l'enfant s'identifie avec tel ou tel héros du conte; c'est parce
qu'il se reconnait en lui ou l'admire ou simplement parce que plus prompt
à s'apitoyer, à s'émerveiller, à s'émouvoir,
à sympathiser.Il "épouse" l'autre et se substitue à lui.
Mais, faut-il relever l'équivoque en insistant sur le
fait que,cette identification ne signifie nullement que le conte s'adresse
à l'enfant et d'abord à lui. Ce n'est pas parce qu'un enfant
pleure ou admire le héros du conte ou se prend pour ce personnage
qu'il comprend mieux l'enseignement proposé par le narrateur. Cen'est
pas non plus parce que le héros, d'un conte, d'un film ou d'une
piècede théâtre est un enfant que ce conte, ce film, cette
pièce s'adressent àl'enfant qui, sentimentalement s'identifie
naturellement aux héros.
Cependant, il faut signaler et cela sans risque d'offusquer
les uns et les autres sur le fait que la plupart des contes visentd'abord les
adultes mais, il est indéniable qu'ils concernent également
lesenfants sur lesquels ils agissent nettement. Grâce aux contes,
l'enfant apprend à participer par symbiose affective aux souffrances et
aux joies des autres. Autrement dit, il développe en lui le sens de la
fraternité humaine.
Fort de tout ce qui précède nous pouvons
conclure que toute école, qu'elle soit moderne ou traditionnelle, dans
ses finalités doit permettre à l'enfant de posséder
à la fin de sa formation un certain nombre de savoirs que nous
regrouperons en quatre: un savoir (sur le plan psycho cognitif) ; un
savoir-faire (sur le plan psychomoteur) ; un savoir-être (sur le plan
psychoaffectif) et un savoir-vivre (sur le plan psycho-environnemental). Voyons
à présent en quoi le conte apporte, comme une école, ces
savoirs à l'enfant.
Ø Un savoir (sur le plan psycho
cognitif)
Entre la connaissance et l'intelligence il n'y a qu'un pas.
Les contes, dans le cas particulier des contes de l'enfant malin comme par
exemple: les contes, Sense pass king ou encore Trahoré
et le mauvais chef,ces récitssuscitent et encouragent chez
l'enfant l'intelligence. L'apologie de cette vertu atteint son paroxysme dans
ces récits et est présentée aux enfants comme le seul
moyen susceptible d'apporter des solutions adéquates aux
difficultés qu'ils rencontrent dans la vie. Ici, les héros
intelligents sont présentés aux plus jeunes et leurs exploits
devant les chefs et les rois méchants qui leur tendent des
pièges sont brandis comme des modèles.
Par ces actes intelligents, la société
traditionnelle africaine, par le canal des éducateurs publics que sont
les conteurs, informe les enfants sur des faits indispensables et aptes
à développer chez eux non seulement l'intelligence,mais une
capacité d'adaptation à la vie et surtout à la
connaissance.
Cette connaissance, le conteur l'apporte aux enfants par le
canal des contes étiologiques qui dévoilent l'origine de tel ou
tel événement.
La connaissance est aussi véhiculée par le canal
des contes généalogiques qui offrent un enseignement profond de
l'histoire des membres de la famille de l'enfant. Ces contes permettent de
connaître les liens de parenté ou des alliances qui se sont faits
entre les familles afin de faire connaître aux enfants les limites
à ne pas dépasser lorsque, le moment venu, ils décideront
de prendre femme.
Parce qu'ils sont dits le plus souvent en langue vernaculaire,
le conte permet aux enfants de cultiver l'éloquence mais aussi, il leur
permet de maîtriser les nuances et les fluctuations de leur langue
maternelle.
Mais le conte, par l'objectif premier qu'il a de donner aux
enfants la connaissance des normes sociales, des manières subtiles
d'agir et d'être, amène l'enfant à asseoir un certain
nombre de pré requis utiles à sa propre intelligence. Dans le
conte Sense pass king, le jeune enfant qui porte le nom du conte se
sauve plusieurs fois des pièges tendus par le méchant roi ceci
non seulement, par son intelligence hors du commun, mais surtout par sa
connaissance profonde de la tradition.
D'ailleurs, la société africaine toujours par le
canal des contes, présente la plupart du temps les héros
enfantins, très jeunes et très intelligents pour amener les
enfants à penser qu'ils peuvent eux aussi, s'ils le veulent, être
à l'image des héros qui leur sont présentés comme
modèles.
Aussi, les contes ont une manière subtile de susciter
l'intelligence. Ils racontent des événements fantastiques dans
des mondes féeriques et merveilleux pour transporter l'enfant dans
l'imaginaire qui, comme nous le savons tous, est souvent un
élément très important dans le développement de
l'intelligence. L'imagination permettant à l'enfant « qui
a besoin d'échapper parfois au monde de l'adulte, où
tout est réglementé pour entrer dans un monde où il
devient puissant » (A Dienget als, 1996 :10)elle permet
de plus à l'enfant, de penser l'impossible pour le rendre possible.
Ø Un savoir-faire (sur le plan
psychomoteur)
S'il est parfois très difficile de montrer en quoi le
conte apporte à l'enfant un savoir-faire, il reste vrai que lorsqu'on
prend le conte comme un art qui nécessite des techniques qui peuvent
être apprises à l'enfant par l'entremise d'un artiste ou d'un
conteur, cela devient très aisé.
Ce savoir-faire peut aisément se réaliser
lorsqu'on sait que chez l'enfant: «il
y a une période pour apprendre, une période
pour avoir l'explication et une période pour enseigner à
son tour» A Hampaté bä, 1994 :334).
Autrement dit, le jeune enfant apprend d'abord l'art du contage en
écoutant le conteur, pendant les veillées éducatives, au
clair de lune, autour du feu. Puis, il peut s'exercer tout en recevant des
explications sur la manière de procéder. Enfin, il pourra par la
suite maîtriser l'art du contage et se mettre à diffuser le conte
comme le faisait autrefois le conteur professionnel.
Etant donné que l'art du contage est une technique que
possède le conteur, sa maîtrise peut donner à l'enfant un
savoir-faire qui peut l'amener non seulement à s'intégrer dans la
société mais aussi à avoir une sorte d'estime et de
réalisation de sa personne.
Dans une moindre mesure, l'écoute de l'art du contage
peut permettre à n'importe quel enfant de posséder des rudiments
indispensables à la narration de n'importe quel événement
qu'il était donné de faire connaître aux autres. De sorte
que l'art de narrer les faits, était une qualité et parfois le
sens commun arrivait à conclure que cet art était plus qu'une
qualité mais un don.
Ø Un savoir-être (sur le plan
psychoaffectif)
Entre susciter chez l'enfant des émotions, des affects
nécessaires à son équilibre moral et affectif et le former
moralement pour lui permettre d'avoir des modes de conduites conformes aux
normes sociales, il n'y a qu'un pas. Le conte africain traditionnel a une
manière bien particulière d'agir dans la conscience de l'enfant
afin de susciter en lui des émotions et des sentiments. Il
présente des personnages divers qui, à cause des
évènements malencontreux se trouvent par la force des choses
orphelins, invalides, prisonniers de la méchanceté des forces qui
les dépasse. Par cette présentation, les enfants ressentent les
douleurs, les peines et les souffrances de leurs héros. Avec eux, ils
vivent dans le même monde, connaissent les mêmes
péripéties. C'est dans ce sens qu'Amadou HampateBA a pu dire
qu'entrer à l'intérieur d'un conte, c'est un peu entrer à
l'intérieur de soi-même. Un conte en un sens pouvant être un
miroir où chacun peut découvrir sa propre image.
Devant le récit que constitue l'histoire du conte,
l'enfant est amené à prendre conscience des peines humaines.Il
est amené à prendre conscience de ses attributs d'homme et dans
ce sens le conte l'amène à se dire que l'histoire qu'il
véhicule peut aussi se manifester dans sa propre vie. Il devra dans ce
cas vivre intensément le périple de son héros, retenir
l'action mise en jeu par celui-ci pour triompher du mal, pour se sortir
lui-même du pétrin dans lequel il pourrait se trouver un jour.
Mais, surtout le conte aura contribué à lui montrer que:
«la lutte contre les graves difficultés de la vie est
inévitable, mais que si, au lieu de se dérober, on
affronte fermement les épreuves inattendues et souvent injustes, on
vient à bout de tous les obstacles et on finit par emporter la
victoire » (propos de Bettelhein, repris par PNdak,
1984 :169).
Au-delà des émotions, des affects que suscite le
conte chez les enfants, il y a en plus et surtout une formation sur le plan
moral qui entraîne un savoir-être nécessaire à la
formation de l'être spécifique de l'enfant: sa
personnalité. Dans ce sens, le conte est le véhicule par lequel
la société tout entière présente les conduites
à tenir, les normes sociales à respecter. Dans le conte La
jeune fille désobéissante, c'est la formation
morale dans le strict respect des traditions qui est véhiculée.
Dans L'orpheline et la vieille femme, on amène les
enfants à être serviable. Enfin, dans le conte Les trois
frères, le conteur insiste sur la nécessité pour
chaque enfant de respecter les paroles des parents. Ce n'est que le respect
scrupuleux des règles et recommandations qui préservent l'enfant
du mauvais sort. Et dans ce sens Ngo Lipem dans le conte La jeune
fille désobéissante est présentée comme un
anti-modèle.
Ø Un savoir-vivre (sur le plan psycho
environnemental)
Susciter chez l'enfant des émotions, des affects qui
l'amènent à se comporter en stricte conformité avec les
valeurs morales et l'amener à agir avec intelligence en lui donnant d'un
même élan des connaissances qui lui serviront plus tard dans sa
vie d'adulte ne sont pas les seules missions du conte. En un sens on peut dire
que ces missions sont des préalables au savoir-vivre dans
l'environnement aussi bien social que physique de l'enfant.
Après avoir suscité chez l'enfant un
savoir-être, le conte a pour principale mission de l'amener à
vivre avec d'autres membres de la communauté et ceci d'une
manière harmonieuse: c'est en quoi consiste le savoir-vivre.
Pour cultiver ce savoir-vivre chez l'enfant, le conte
véhicule les idéaux tels que l'union, le partage, l'esprit de
communauté au détriment de l'égoïsme et de
l'individualité. Dans le conte Un jeune enfantsauve
l'humanité, c'est le comportement de Ngoulétama, l'homme qui
n'avait jamais cru qu'en lui-même qui est ici proposé comme
anti-modèle. L'individualisme conduit à la mort comme le montre
ce conte. C'est plutôt l'union à travers le conte L'union fait
la force, la camaraderie entre la soeur du mauvais frère et son
amie dans le conte Le mauvais frère qui sont proposées
comme des modèles de savoir-vivre dans la communauté.
Au-delà d'un savoir-vivre social, le conte suscite chez
l'enfant le savoir-vivre dans son environnement physique. La plupart des contes
n'opposent en aucun cas l'environnement physique et environnement social, les
animaux et les hommes. C'est que dans l'esprit de l'Africain traditionnel tous
ces milieux ne font qu'un. L'homme pour se réaliser doit s'accomplir
dans ces deux environnements étant donné qu'ils vivent tous deux
une relation de présupposition bilatérale.
Ainsi dit, le conte est une école de la vie. Il permet
à l'enfant de posséder des savoirs qui l'aideront non seulement
à vivre harmonieusement dans la société mais aussi, ces
savoirs lui permettront de s'accomplir dans tous les aspects. C'est dans cette
optique qu'à présent nous allons parler des vertus
enseignées et des vices combattus dans la société
traditionnelle africaine.
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