IV.4.1. La typologie des contes
éducatifs
Le nombre et la variété des
contes ont amené folkloristes et chercheurs à procéder
à des regroupements des contes afin de les étudier plus
correctement. Mais la plupart des classifications proposées n'ont pas un
caractère scientifique. Leurs auteurs d'ailleurs n'avaient pas toujours
le souci de mettre sur pied un système cohérent de classification
des contes. Ils se sont donnés des outils de travail commode. Ils ont
donc classé leurs contes soit à partir du personnage central,
soit d'après le thème ou la finalité ou le ton, soit
d'après un ou plusieurs traits dominants.
Ceci dit, si nous prenons par exemple les contes africains
recueillis par Equi1becq(1972), nous constaterons que l'auteur fonde sa
classification sur plusieurs éléments à la fois, le ton,
le personnage, le thème, la finalité. Il a réparti les
contes en sept catégories qu'il a pris soin de bien définir tout
en précisant que « cette division en
catégories n'a rien de relatif, et pour l'établir, j'ai du ne
tenir compte que du caractère le plus marqué du récit
à classer, alors que par ces caractères accessoires, le
même récit pourrait se voir ranger dans une ou deux autres
catégories ». C'est ainsi que l'auteur classe ses contes
en 7 catégories : il s'agira notamment :
1) « les légendes cosmogoniques,
ethniques, héroïques et sociales »
Il s'agit là essentiellement des récits de
genèse qui expliquent l'origine d'un peuple, de l'univers, l'histoire
d'un héros fabuleux.
2) Les contes de sciences fantaisistes
Ces récits, explique-t-il, ne prétendent
nullement pas à la science et c'est consciemment qu'ils procèdent
de l'imagination de leurs conteurs. Les auditeurs ne les tiennent guère,
non plus, pour scientifiques et leur demandent un amusement bien plus qu'un
enseignement. Le plus souvent, ces contes donnent la cause originelle à
des particularités physiques de certains animaux .....
En effet, cette catégorie de contes constitue ce qu'on
appelle les contes explicatifs ou contes étiologiques.
3) les récits (merveilleux ou non) de pure
imagination sans intention didactique
Comprenant les récits merveilleux et les contes
anecdotiques et romanesques.
4) Autre catégorie, nous avons lescontes à
intentions didactiques, comprenant les contes de morale pure ou
théorique et les contes de morale pratique. Cette dernière peut,
au point de vue forme, se diviser en apologue symbolique (on parlera peut
être des paraboles) ou en contes proprement dits.
5) Il parlera également des fables qui se
distinguent des contes proprement dits parce que leurs principaux acteurs sont
des animaux.
6) les contes égrillards humoristiques et à
combles. Par « contes à combles », l'auteur
entend les récits d'exagération puérile ou la
drôlerie résulte du caractère excessif des actes
prêtés à ceux qui y figurent.
7) les contes- charades : ici, il s'agit des
récits qui conduisent à des discussions.
Comme on peut le constater dans ce cas précis, les
critères de différenciation des contes sont divers.cependant,l'on
constate quela classification d'Equi1becq n'est pas rigoureuse et ne peut donc
pas servir de base à une typologie générale des contes.
Par ailleurs, la question que l'on pourrait se poser serait
celle de savoir comment classer par exemple les contes qui sont à la
fois moraux, merveilleux et étiologiques ? La réponse
à cette question ne nous a pas été donnée.
Prenons maintenant un autre système de classification
plus simple. Selon Denise Paulme (1976 :19), la plupart des
travaux récents classent les contes d'une autre façon :
c'est ainsi que l'on voit des contes merveilleux, contes de moeurs, contes sur
les animaux. Cette c1assification reprend en fait la division proposée
par V.F. Mil1er. Cette classification qui simplifie les choses est tout
à fait séduisante et semble apparemment juste. Mais,on constate
que notre auteur pèche par excès de simplification, car il
laisse arbitrairement de côté les sous-genres.
C'est dans cette simplification que l'on constate par exemple
que, les contes mythiques, étiologiques, humoristiques etc... n'ont pas
de place dans cette répartition. De plus, la distinction entre contes
d'animaux et contes merveilleux n'est pas pertinente, car il ya des contes sur
les animaux qui contiennent des éléments de merveilleux et
inversement certains animaux ont un rôle important dans les contes
merveilleux. Alors, où donc classer, par exemple, le conte dans lequel
le lézard ridiculise le coq,ou courroucé par les attaques de
lézard, le coq décide d'en découdre avec lui en lui
donnant des coups de bec sur la tête. S'agit-il de conte d'animaux ou de
conte merveilleux?
Par ailleurs, étant donné que
« les contes, attribuent les mêmes actions aux hommes, aux
choses et aux animaux », la distinction entre contes de moeurs
et contes d'animaux dans ce cas paraît artificielle.
En outre, dans les contes africains, certains animaux sont des
personnages allégoriques car leurs habitudes et leurs comportements sont
ceux des hommes auxquels s'adresse en fait la morale de ces récits,
c'est par exemple le contes des poussins têtus.
De même par exemple, quand le lièvre ridiculise
le lion ; personne n'est sans savoir qu'il s'agit là d'une satire
des puissants, des rois autoritaires. Il arrive aussi que certains contes
soient à la fois merveilleux et moraux, c'est le cas du conte de la
fille désobéissante qui se laisse entrainer par des
garçons malgré les conseils des parents et se fait avaler par
le génie des eaux. Comme on peut le constater, il parait difficile de
classer les contes d'après la division de Miller, parce que, certains
contes appartiennent en fait à plusieurs catégories à la
fois. Selon Propp, « chaque chercheur qui déclare
effectuer la classification d'après le schéma proposé
opère en fait autrement. C'est justement parce qu'il se contredit que ce
qu'il fait est exact ». En effet, il classera tel conte dont les
auteurs sont des animaux, dans la catégorie des contes merveilleux parce
qu'effectivement, il voit bien qu'il ne s'agit pas là d'une simple
fable, d'un conte ordinaire sur les animaux.
Cette classification non plus ne permet pas d'établir
une typologie correcte des contes de l'enfant, qui relèvent de plusieurs
catégories.
Considérons maintenant la classification internationale
d'Aarne-Thompson(1964)). Les auteurs de cet index distinguent quatre grands
groupes de contes :
1. - Les contes sur les animaux
2. - Les contes proprement dits ou contes merveilleux
3. - Les anecdotes
4. - Les contes-charades
Les contes merveilleux se subdivisent en sept
catégories
1.- L'adversaire surnaturel;
2. - L'époux (épouse) surnaturel
3. - La tâche surnaturelle,
4. - L'auxiliaire surnaturel
5. - L'objet magique;
6. - Le pouvoir surnaturel
7. Autres éléments surnaturels.
Malgré cela, Propp reconnait à cet index le
mérite d'avoir introduit les sous-classes, mais cette classification non
plus ne permet pas d'effectuer une typologie claire; car à
l'intérieur, ne serait-ce que des contes merveilleux, certains contes
n'ont pas de place dans les subdivisions. Alors, « Que
faire » interroge Propp des contes où la tâche
surnaturelle est exécutée grâce à un auxiliaire
surnaturel ou bien les contes où l'épouse surnaturelle est
justement l'auxiliaire surnaturel » ?
Si l'index d'Aarne-Thompson n'est pas non plus satisfaisant,
en tant que modèle de classification, il a au moins l'avantage
d'être un outil de références intéressant, de
portée internationale, qui permet de voir l'universalité de
certains contes.
Néanmoins, l'on constate que la démarche de
Propp peut s'appliquer aux contes africains à condition, dit Denise
Paulme, « d'assouplir la méthode et d'observer quelques
distinctions ». Alors que pour le savant russe , il y a une
sorte de nécessité absolue dans l'enchainement des
séquences entre elles, de sorte qu'une interdiction est toujours
transgressée, un défi toujours relevé, une épreuve
toujours subie, un combat toujours victorieux, Denise Paulme affirme que dans
l'étude des contes dans la tradition orale, on peut constater les
variantes d'un même conte et que, il peut exister des alternatives, des
bifurcations, « des fonctions-pivot », et que
l'ordre des séquences n'est pas nécessairement immuable ; qu'une
ou plusieurs peuvent se développer jusqu'à former une histoire
à part à l'intérieur de la narration elle-même, et
dans ce cas , on parlera en quelque sorte, des récits dans le
récit.
Après une lecture critique de tout ce qui a
été dit plus haut, l'on dira que, l'analyse des contes africains
doit tenir compte de toutes ces considérations. Cependant, en
s'appuyant sur la démarche proppienne, on doit chercher à coder
le sens du ou des mouvements que comporte le conte. Le sens de chaque mouvement
est ascendant ou descendant, positif ou négatif, selon que son terme est
la réussite ou l'échec du héros, l'amélioration ou
la dégradation d'une situation.
Ainsi donc, le découpage des contes en mouvements et
leur codage positif ou négatif permettent de les classer en deux grandes
catégories (le type ascendant et le type descendant) à partir
desquelles se forment tous les autres types de contes, suivant la
manière dont se combinent les mouvements des récits. On obtient
ainsi plusieurs schémas structuraux composés par exemple de
mouvements ascendants ou descendants, des mouvements cycliques, des mouvements
symétriques et de sens inverse, des mouvements plus complexes etc...
Reprenant les travaux de Propp, Denise Paulme a établi
que toute structure narrative comporte une série de situations, le
passage d'une situation à la suivante étant rendu possible par
une modification. D'après elle, un grand nombre de contes africains
peuvent être considérés comme la progression d'un
récit qui part d'une situation initiale de manque (causée par la
pauvreté, la famine, la solitude ou une calamité quelconque) pour
aboutir à la négation de ce manque, en passant par des
améliorations successives.
La démarche inverse se rencontre aussi, il s'agit des
contes qui débutent par une situation stable, qu'un
événement quelconque (le plus souvent une faute du héros)
vient troubler; ce qui crée la rupture d'équilibre qui se
traduira par la punition, qui peut aller jusqu'à la mort, d'un ou de
plusieurs personnages.
Tout compte fait, notre préoccupation majeure n'est pas
l'étude de la structure des contes africains ; aussi, nous
contenterons-nous des conclusions de l'analyse de cette spécialiste de
la littérature orale africaine qu'est Dénise Paulme. Elle
distingue grosso modo sept combinaisons courantes des contes africains.
Mais, après analyse de chacun des contes de notre
échantillon, nous sommes arrivés à la conclusion que les
contes portant sur l'éducation de l'enfant, n'ont pas de structures
particulières ou spécifiques; ils se rangent parfaitement dans
les types de contes connus.
Le problème qui est le nôtre est de savoir dans
quels types de contes se rangent plus volontiers les contes et les mythes en
pidgin qui parlent de l'éducation de l'enfant dans la
société traditionnelle. Il s'agit donc pour nous d'analyser les
structures des contes de chaque type d'enfant et de les classer dans les types
de contes africains. Cette répartition permettra de mettre en
évidence les schémas structuraux les plus courants.
Eu égard à toutes ces observations, on peut
enfin affirmer que, le critère d'une bonne classification des contes
africains est le critère de la dynamique interne : entre la
situation initiale et la situation finale, il ya-t-il eu amélioration ou
dégradation ? On peut alors distinguer, avec Denise Paulme
(1976 :19-50) huit combinaisons essentielles, toutefois, nous n'allons pas
parcourir ces différentes combinaisons, on s'en tiendra essentiellement
à ce qui nous concerne.
Ø Type ascendant
Il s'agit des contes à un seul mouvement qui
amène la réussite du héros. C'est le cas de tous les
récits qui, partant d'une situation initiale de manque, aboutissent
à la liquidation de ce manque en passant par une amélioration.
Prenons un exemple de conte ascendant intitulé :Dylim
children.
Schéma structural :
manque-------------amélioration----------------manque comblé
Conteur : Histoire
Public : Raconte
Conteur : Il était une fois, une femme qui
vivait paisiblement avec ses trois enfants. Elle tomba malade et sachant
qu'elle n'en avait plus pour longtemps, elle fit ses adieux à ses
enfants. Elle leur remit une graine de melon à planter et leur demanda
d'aller habiter là où cette graine arrêtera de pousser. La
graine arrêta de pousser à côté de la maison de la
nommée Kfukfu et les enfants suivirent la dernière volonté
de leur défunte mère.
Malheureusement pour eux, Kfukfu ne les aimait pas. Elle se
mit plutôt à les maltraiter. Ces enfants servirent de la
main-d'oeuvre pour elle.Ce sont eux qui allaient chaque jour chasser les
oiseaux du champ de maïs de Kfukfu. Une tâche difficile pour ces
orphelins affamés et fatigués. Les cultivateurs d'autres champs
qui venaient à passer par-là étaient obligés de les
rappeler ce pourquoi ils étaient en brousse en ces termes :
« oh, les enfants, venez chasser les oiseaux sur le
maïs ». En y allant, ils avaient toujours chanté cette
mélodie en pleurant :
« Narrator: Dylim- ee-e Endede ndee, laan kebaa ndu
ndaa Kfukfu.
Audience: Endede ndee ndee.
Narrator: Eh lamk ban eh fo kekong se ghes.
Audience: Endede ndee ndee
Narrator: Eh chite mbas eh fo itie se ghes.
Audience: Endede ndee ndee-ee laam kebaa ndu ndaa Kfukfu
endede ndee ndee».
Traduction du refrain: Lorsqu'elle prépare le
couscous, elle nous donne la croute. Lorsque ce sont des légumes, elle
nous donne tiges. C'est la graine de melon qui nous a conduits dans la maison
de Kfukfu.
Un jour, l'un des passants suivit cette chanson, il alla voir
Kfukfu et lui demanda la signification de cette mélodie, mais elle fut
incapable de lui répondre. Alors,il réussit à convaincre
Kfukfu de se rendre au champ avec lui.
Une fois sur place, le cultivateur demanda aux enfants de
chasser les oiseaux sur le maïs ences termes: « oh, les enfants,
venez chasser les oiseaux sur le maïs ». Et comme d'habitude,
les enfants chassèrent les oiseaux en chantant la même
chanson :
Narrator : Dylim- ee-e Endede ndee, laan kebaa ndu
ndaa Kfukfu.
Audience: Endede ndee ndee.
Narrator: Eh lamk ban eh fo kekong se ghes.
Audience: Endede ndee ndee
Narrator: Eh chite mbas eh fo itie se ghes.
Audience: Endede ndee ndee-ee laam kebaa ndu ndaa Kfukfu
endede ndee ndee».
Kfukfu se mit à pleurer et elle regretta d'avoir
maltraité ces enfants car, ils n'étaient autres que les enfants
de sa défunte soeur.
Moralité : l'enfant n'est pas uniquement
celui du géniteur, c'est celui ou celle qui s'occupe de ce dernier qui
en est le véritable parent de cet enfant. Faire du bien à un
enfant a un effet bénéfique pour sa propre progéniture.
· L'analyse du conte
La structure de ce conte est très simple et peut se
résumer ainsi qu'il suit : les enfants de Dylim sont frappés
d'un grand malheur. En effet, leur mère très malade est mourante.
Cependant, avant de mourir, elle leur donne une graine de melon et leur demande
de la planter, tout en les conseillant d'aller vivre où la graine
arrêtera d'ex- croître. Ce récit peut se diviser en quatre
séquences.
1- -situation initiale (Situation de manque),
c'est-à-dire que les enfants perdent leur mère.
2 - situation d'amélioration : (il ya un processus
qui certainement changera la situation de ces jeunes orphelins). Avant de
mourir, la mère leur donne une graine de melon et leur demande d'aller
habiter là ou la graine arrêtera d'ex croître.
3 -les enfants ont suivi les conseils de leur mère
(curieusement, cette plante arrête d'ex-croitre chez Kfukfu qui est en
fait leur tante).
4-situation finale : Les enfants qui au
départ connaissaient une situation de manque voient leur manque
comblé par la présence d'une nouvelle mère à leur
coté, mère qui n'est autre que leur tante.
La situation qui, au départ est marqué par un
manque (séquence 1) est à la fin comblée (séquence
4), après des améliorations progressives (séquences 2 et
3).
Ce mouvement ascendant est de sens positif: d'un manque, on ne
peut aboutir par détérioration à une situation normale ;
autrement dit le mouvement de ce récit est à sens unique.
Manque comblé
(retrouvaille d'une nouvelle maman)
La figure graphique de ce conte est la
suivante :
3
2
Améioration
1
Situation initiale (manque : perte de la maman)
Ø Type descendant
Le type descendant est évidemment l'inverse du type
ascendant. Le conte part d'une situation stable, normale, pour aboutir à
une situation dégradée, déséquilibrée. C'est
le cas de tous les récits d'un seul mouvement qui amènent
l'échec du héros. Le mouvement est négatif à sens
unique.
Conte :la jeune fille
désobeissante
En ce temps -là un homme et sa femme eurent trois
enfants : Ngo Maliga, Ngo Yii et Ngo Lipem.
Ils les élevèrent du mieux qu'ils purent dans la
stricte observation des lois de la tribu et des interdits de la tradition. Les
parents s'étant apercus qu'elles atteignaient l'âge nubile, les
appelèrent un jour et leur prodiguèrent des conseils en ces
termes :
-Vous êtes de la tribu des Ndog- Béa. Toutes les
filles Ndog-Béa sont vos soeurs et tous les garçons sont vos
frères ou vos cousins. Autrement dit, vous avez le même sang. La
moindre frivolité entre les membres du clan est sévèrement
réprimée par les ancêtres. Quant au mariage avec eux, il ne
faut pas y songer. C'est une chose impossible. L'avez-vous compris ? Les
enfants répondirent :
-Père, nous avons compris.
Le père poursuivit :
-Vous êtes des jeunes filles, donc des femmes,
c'est-à-dire destinées au mariage. Mais tout mariage, pour
être béni, doit être précedé par un ensemble
de rites que le jeune prétendant doit accomplir dans la famille de la
personne qu'il aime. Ainsi dans vos pomenades et vos voyages, ne vous offrez
pas au premier venu, sans le consentement de vos parents.
Un jour, on annonca qu'une fête de mariage aurait lieu
au village voisin, de l'autre coté de la rive.Ce fleuve était
large, si large qu'on n'apercevait pas l'autre bout. Son eau était noire
comme la nuit et profondecomme un abîme. On eût dit qu'elle ne
coulait pas tant le sens du courant était imperceptible.
Ce fleuve n'était pas simplement un fleuve.
C'était le domicile du gardien de la tradition qui n'était autre
qu'un genie qui dictait aux hommes la voix des ancêtres. Tout le monde
savait qu'on ne pouvait pas traverser deux fois de suite ce fleuve sans
confesser ses fautes et jurer de ne plus les commettre. N'avait-on rien
caché, on traversait sans encombre ; sinon arrivé au milieu
du fleuve, on était englouti dans les eaux noires et profondes.
Ngo maliga, Ngo Yi et Ngo Lipem le savaient.Invitées
aux noces, elles s'apprétèrent comme il convient en pareille
circonstance. Elles furent reçues avec joie par leurs hôtes et
prirent part à la fête. De temps en temps, on interrompait les
danses pour manger ou pour faire passer une annonce, et on recommencait
à danser.
Minuit approchait, la fin des cérémonies aussi.A
ce moment, quelques jeunes gens s`approchèrent de nos trois convives.
Ils s`adressèrent d'abord à Ngo Maliga et lui demandèrent
la main. Ngo maliga fit trente mines et elle repondit enfin :
« je refuse ! ». Ils se retounèrent vers Ngo
Yi. Celle-ci fit moue, fronca le sourcil et sans mot dire, leur tourna le dos
et s'en alla.Les jeunes gens abordèrent enfin la cadette des trois
filles qui accepta le plus facilement du monde leurs avances. En vain, ses
soeurs lui rappelèrent les recommandations de leurs parents.La jeune
fille fit la sourde d'oreille et elle suivit ses nouveaux amis.
Le matin venu, elles se rassemblèrent pour rentrer chez
elles. Avant la traversée, chacune devait se confesser.
L'aînée Ngo Maliga s'engagea sur le tronc d'arbre en
chantant :
Fleuve de mes aïeux, kekédi !
Je reviens du mariage, kékédi !
Je rentre à Minka, kékédi !
J n'ai pas commis de faute, kékédi !
Ngo Maliga traversa le fleuve sans histoire. Elle embrassa son
père et sa mère. Puis vint le tour de la suivante. Ngo Yi mit les
pieds sur le tronc d'arbre qui servait de pont et chanta comme sa
soeur :
Fleuve de mes aïeux, kekédi !
Je reviens du mariage, kékédi !
Je rentre à Minka, kékédi !
J n'ai pas commis de faute, kékédi
La jeune fille atteignit aisement l'autre rive. Elle embrassa
son père et sa mère qui pleurèrent de joie en la
retrouvant saine et sauve.
Restait Ngo Lipem. Elle aussi s`engagea sur le tronc d'arbre
en chantant :
Fleuve de mes aïeux, kekédi !
Je reviens du mariage, kékédi !
Je rentre à Minka, kékédi !
J n'ai pas commis de faute, kékédi
A peine avait-elle mis les pieds sur le tronc d'arbre que
l'eau commenca à monter. Elle couvrit ses pieds et atteignit ses
chevilles, puis les genoux. Avant d'arriver au milieu du fleuve Ngo Lipem avait
déjà l'eau jusqu'à la poitrine ! Elle continua de
chanter et d'avancer. Mais l'eau montait, montait toujours. Elle atteignit les
épaules, puis le cou, la bouche. Bientôt, elle ne put plus
chanter. Quelques pas encore, seuls les cheveux frottaient au- dessus de la
masse noire de l'eau.
De loin, la famille rassemblée sur l'autre au bord de
la rive, assistait, impuissante, à cette effroyable scène.
Morale : C'est depuis ce temps-là qu'il
arrive malheur à tous les enfants qui désobeissent à leurs
parents.
La structure de ce récit : elle
est simple et peut se résumer ainsi :
-Châtiment d'une jeune fille qui désobéit
à ses parents.
Nous avons quatre séquences.
1- situation initiale : normale
2-équilibre menacé : (du fait de la
désobéissance et du mensonge de la jeune fille)
3-Dégradation de la situation (menace de mort par
l'épreuve de la traversée)
4- situation finale: mort de la jeune fille
désobéissante et souvenir.
La dégradation totale de la situation résulte de
l'entêtement de la jeune fille. C'est dans ce type de conte qu'on classe
les récits où un enfant, par suite d'une
désobéissance ou d'une bêtise, est puni. On part d'une
situation normale pour aboutir à une situation dégradée,
à un manque, à un châtiment ou à une mort).
La représentation graphique est la suivante :
Situation 1
initiale (normale)
Equilibre menacé
(désobéissance et
mensonge de la jeune fille)
2
Situation 3
Finale : dégradation totale (mort de la jeune fille
désobéissante)
Ø Type cyclique
Ce type de récit part d'un mouvement ascendant pour
revenir à l'état initial par un mouvement descendant. La
démarche inverse se rencontre aussi. La situation finale ressemble
à la situation initiale mais, il ya une différence à cause
des épisodes intermédiaires .Il s'agit bien d'un cycle complet
qui peut être positif ou négatif selon qu'il se termine par la
réussite ou l'échec du héros, l'amélioration ou de
la détérioration de la situation.
Le type cyclique comprend donc deux mouvements de sens
opposés. Dégageons la structure de ce type de conte à
l'aide de cet exemple.
Conte : Les poussins
têtus
La mère poule avait cinq poussins: LULU, TITI, KUKU,
DUDU, et FIFI.
Elle les emmenait manger tous les jours. Elle les nourrissait
d'insectes, d'herbes, de graines, et de fruits. Avant de les sortir, elle les
demandait toujours de bien suivre ses conseils. Elle leur disait:
« Si je fais Co-ko-co-ko-ko-koo, cela veut dire que
l'aigle, notre ennemi, n'est pas si loin. Vous devez courir et venir vous
cacher sous mes ailes. Si vous ne vous cachez pas sous mes ailes, l'aigle vous
emportera avec lui. Il vous emportera et fera un bon festin avec sa
famille».
Parmi ces cinq poussins, FIFI et DUDU étaient les plus
têtus, ils n'écoutaient pas leur mère. Chaque fois que la
mère poule apercevait l'aigle, elle faisait Co-ko-co-ko-kokoo ;
trois de ses poussins: KUKU, TITI et LULU l'écoutaient. Ils couraient et
se cachaient sous les ailes de leur mère.
La mère poule était toujours en colère
contre DUDU et FIFI. Elle leur disait : « s'il vous plaît les
enfants, n'allez pas loin quand nous allons manger. Ecoutez-moi, sinon un jour
l'aigle vous attrapera ».
DUDU et FIFI ne voulaient pas écouter leur mère.
Un jour pendant qu'ils mangeaient, monsieur l'aigle est revenu. Aussitôt
que la mère poule a aperçu l'aigle, elle a fait
Coko-co-ko-ko-koo. Les trois poussins obéissants, LULU, TITI et KUKU ont
couru et se sont cachés sous les ailes de leur mère. Mais DUDU et
FIFI étaient très loin. Quand ils ont vu le danger, ils ont
essayé de courir pour se cacher sous les ailes de leur mère, mais
il était trop tard. L'aigle a rapidement attrapé DUDU.
FIFI a couru vers la mère poule en pleurant :
« Mère, mère, l'aigle a attrapé DUDU».
La mère poule et les autres poussins ont entendu Dudu
pleurer là-haut dans le ciel en disant:« Si j'avais
écouté les conseils de ma mère, je n'aurai pas
été pris par l'aigle. »
FIFI en voyant la scène, s'est adressé à
sa mère en pleurant: « Mère, je t'écouterai toujours.
Monsieur l'aigle ne m'attrapera pas comme il a attrapé mon frère
DUDU. J'ai vu l'aigle déchiré mon frère dans les airs
».
Le lendemain, ils sont allés manger. Cette fois-ci,
FIFI ne s'est pas éloignée, elle est restée à
quelques pas de sa mère. L'aigle affamé est revenu. Mais, il
n'attrapa aucun poussin. Quand la mère poule a vu l'aigle, elle a fait
Co-ko-co-ko-koo. Tous les poussins, y compris FIFI, l'ont entendu et sont venus
se cacher sous ses ailes. Monsieur l'aigle était très
déçu. Il s'en est allé chercher ailleurs les poussins
têtus à attraper.
L'analyse du conte: les petits poussins
têtus
La structure de ce conte peut se résumer de cette
façon : un enfant entêté est Châtié, mais
sauvé de justesse.
Nous avons deux mouvements : le premier est négatif,
descendant. Il comprend trois séquences :
1- Situation initiale :situation normale, mais
l'équilibre devient instable à cause de la conduite inhabituelle
de DUDU et de FIFI (mère poule éduque ses poussins sur tout ce
qui peut être susceptible d'entrainer leur perte. Elle les conseille de
ne pas s'éloigner d'elle car, l'aigle, leur pire ennemi rode dans les
parages, n'attendant qu'une seule occasion pour se déployer sur sa
proie).
2- Dégradation de la situation par
désobéissance ou indiscrétion. (Les poussins têtus
persistent dans leur entêtement malgré les reproches et les
conseils de leur mère. Ils s'éloignent pendant que leurs
frères LULU, TITI, et KUKU restent auprès de leur mère).
3- Danger couru du fait de leur mauvaise conduite (FIFI et
DUDU étaient trop éloignés, et constituaient ainsi une
proie facile pour l'aigle. DUDU causa sa perte, le jeune poussin fut
emporté par l'aigle).
4-Situation à nouveau normale : (en fait plus
stable, puisque FIFI change complètement de conduite et devient
obéissante suite à la mort de sa soeur causée par leur
désobéissance).
Au bout du compte, le cycle est complet : à partir
d'une situation plus ou moins stable au départ, le héros
désobéissant ou indiscret se trouve transformé à la
fin après le grave danger auquel il a échappé. La
situation est rétablie après avoir été
dégradée.
Schémastuctural du type cyclique positif :
Situation :
normale .........détérioration..... Manque.........amélioration ......situation
stable (réussite).
Situation initiale normale 1
Représentation graphique:
Situation à
nouveau normale
(Fifi change complètement de conduite et devient
obéissante 4
Dégradation de la situation (désobéissance
et indiscrétion de Dudu
et de Fifi
2
Dégradation (mort de Dudu)
3
Comme on vient de le voir, « les contes
africains sont structurés et ne sauraient plus longtemps
être tenus pour l'assemblage capricieux de modèles choisis au
hasard ». (Denise Paulme, 1976 :44). Appliquée aux contes
en pidgin, l'analyse structurale permet de mettre en évidence les traits
qui leurs sont propres. C'est sans doute pour cette raison que l'on
conviendrait avec Denise Paulme ( 1976 :44) lorsqu'elle affirme :
« l'analyse morphologique n'est pas une fin en soi mais, un moyen
pour mieux comprendre l'esprit humain tel qu'il s'exprime à travers une
création particulière , qui est , ici, l'oeuvre
littéraire » .
L'étude des structures en effet peut permettre
d'établir aussi une relation analogique entre la structure de la
narration et la structure sociale ou même la structure de la
pensée, dans la mesure où le conte, tout comme le mythe, et
comme toute littérature, sont tributairesde la société
qui les produit et par conséquent, révélateur des
valeurs idéales du groupe social. Faut -il encore mentionner ici que,
c'est le recours à l'analyse morphologique qui permet
véritablement de voir les ressemblances et les différences
réelles entre deux contes.
Il faut donc convenir avec nous qu'une typologie des contes ou
des mythes qui ont des thèmes majeurs à partir des personnages
principaux, si elle est commode ; n'a pas un caractère
scientifique, car elle repose sur des critères conjoncturels, caducs.
Seule une analyse structurale, tenant compte de la grammaire narrative des
populations africaines, permet de mettre en évidence la
spécificité des divers contes et la différence
réelle entre des récits apparemment identiques.
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